Schultheiß siégeant, gravure de Jost Amman (1589)
Bâton du prévôt et passe sanitaire...
... cueilli dans un compte-rendu de Conseil du Magistrat...
A.M.R. BB 39 (f. 11 v) 22 septembre 1626
Den 22 Septembris Anno 1626 ist abermahln ordinari Wochenrath gehalten / fuerunt absentes Reÿher et Weckherlein
Herr Schultheiß referirt er seÿe willens nacher Strassburg zu reÿssen, komme vor Sontag nit wider, hatt dem Achtjar den Staab anvertraut, beneben von der Statt für seinen Sohn und Hans Niclaus Miller ein schein von der Statt das es alhie guet Lufft seÿe und man sie wolle sicher passieren lassen
# ist bester weiss zu verfertigen bewilliget
Traduction:
Le Schultheiß, (prévôt) Appolinarius Dideneÿ, fait part au conseil de son intention de se rendre à Strasbourg et informe qu’il ne sera pas de retour avant le dimanche. (le 22 septembre 1626 est un mardi, jour hebdomadaire des Conseils ordinaires du Magistrat. Il sera effectivement de retour et présidera un conseil dimanche 28 septembre. Mais nous n’apprendrons rien des motifs de son déplacement.)
Dans cette perspective il confie, le temps de son absence le Staab, l’insigne de sa charge et de son autorité, à Hans Achtjahr, Burgermeister, comptable de la Ville.
Il demande également que soit établi, pour les deux personnes qui l’accompagnent dans ce déplacement, son fils et Hans Niclaus Miller, un document de la Ville attestant que l’air de Rouffach était sain, document qui devait leur permettre de circuler en toute sécurité...
Ce petit extrait mérite qu’on s’y attarde et suscite deux remarques: la première au sujet de ce Staab, la seconde au sujet de cette étrange attestation qui devait servir de laisser-passer pour le déplacement à Strasbourg.
Le Staab du Schultheiss…
Rappelons que la ville a à sa tête un Schultheiß (prévôt) et un Stattschreiber (greffier municipal), nommés tous deux par le seigneur de l'Obermundat.
Ce prévôt préside les séances du Magistrat, une assemblée formée de 15 élus qui sont à la fois conseillers (des Raths) et gèrent les affaires courantes de la ville, mais aussi jurés de tribunal (des Gerichts) dans les affaires de basse et de haute justice. Ce sont eux qui, avec le prévôt, les représentants de l’évêque et du grand chapitre et les deux officiers de la Régence, l’Ambtschaffner, receveur du bailliage et l’Amtschreiber, greffier du bailliage, composent le tribunal appelé Malefitz Gericht, qui juge les affaires criminelles: assassinats, vols dans les églises, adultère, inceste, sodomie et sorcellerie, etc.
Le Schultheiß est un personnage essentiel dans la vie de la cité, il représente le seigneur de l’Obermundat et agit en son nom. C’est à ce titre qu’il porte l’attribut de représentant de l’autorité judiciaire et de l’autorité seigneuriale, le Staab. Et s’il est amené à s’absenter de la Ville, il confie cet insigne à un autre membre du Magistrat qui se verra ainsi investi de l’autorité.
Staab, ou Stab dans l'orthographe moderne, désigne une tige, un bâton, un morceau de bois, écorcé ou non, qui deviendra progressivement plus luxueux, cylindre de bois recouvert de velours, et bâton d’or émaillé pour les plus hautes fonctions.
Beaucoup de souverains et de grands de l’Europe sont représentés porteurs d’un bâton de commandement et les maréchaux de France se voient confiés, à leur nomination, leur bâton de maréchal.
On retrouve le même objet dans les tribunaux : celui qui préside le tribunal porte le "Gerichtsstab", le bâton de justice, qui lui confère l'autorité et le droit de justice. (d'où le nom actuel bâtonnier: Jusqu'à la Révolution française, le bâtonnier était le chef de la Confrérie des avocats. Il détenait un bâton qui symbolisait sa charge.). Lorsque le tribunal prononçait une peine capitale, il était d'usage de rompre "la baguette de justice", de rompre ce bâton et d'en jeter les morceaux au sol...
Un juge brise le bâton de justice au-dessus d'un condamné enchaîné (Neues Rathaus Hannover)
Le bâton des sergents-jurés de la Ville.
Parmi les charges distribuées lors de l'assemblée annuelle du Magistrat du jour de l'Epiphanie, figurent les charges de Boten, Poten ou Potten, que l'on traduit généralement en français par "sergents-jurés". Il s'agit d'une fonction très importante dans la vie de la Ville : ils sont les intermédiaires entre la bourgeoisie de la Ville et l'autorité, représentée par le Bailli, le Schultheiß ou le Magistrat, dont ils diffusent les ordres, les décisions prises. Ils sont des officiers de la ville, et à ce titre ils portent également le signe qui symbolise leur autorité, ils "portent les bastons".
Un pass-sanitaire pour voyager ?
En second lieu, attardons-nous sur le passage: « ein schein von der Statt das es alhie guet Lufft seÿe und man sie wolle sicher passieren lassen » la nécessité d’un document qui attesterait qu’ici, c’est-à-dire à Rouffach, l’air était sain. Cette obligation de se munir d’un « passe-sanitaire » pour se rendre à Strasbourg pourrait-elle être en rapport avec les troubles de la Guerre de Trente Ans ? C’est peu vraisemblable : nous sommes en 1626 et les combats ne commenceront véritablement en Alsace qu’en 1621, lorsque Ernst von Mansfeld envahit le Nord de l'Alsace, notamment les régions d'Haguenau, Saverne et Wissembourg. Les pires destructions se dérouleront lorsque les troupes protestantes du roi de Suède, Gustave II Adolphe, déferlent sur le Saint Empire en passant par la Saxe, la Thuringe, la Franconie et passeront finalement par l'Alsace et la Lorraine en septembre 1631. Rouffach sera assaillie et tombera entre les mains des troupes suédoises le 15 février 1634. (https://obermundat.org/vie-quotidienne/58-1634-la-ville-de-rouffach-est-prise-d-assaut-par-les-suedois)
Guet Lufft ne signifierait-il pas plus simplement air sain, non contaminé par les miasmes d’une épidémie, la peste, par exemple ?
En 1628, deux années plus tard, un protocole du Magistrat rend compte d’une pestilentisch Infection, qui sévirait dans la ville et se répandrait rapidement. A la demande du Curé, on prendra des mesures sévères pour que l’épidémie ne s’étende pas davantage. S’agissait-il de la peste ou d’une autre maladie contagieuse ? Dans ces années 1626-1628, la peste reste très locale en Alsace, principalement dans le Nord avec quelques foyers, véhiculée par les soldats de la guerre de Trente Ans, en particulier ceux de Mansfeld.
Y aurait-il eu à Rouffach, déjà en 1626,, un foyer d’épidémie ? Et quelle instance, sur le chemin vers Strasbourg aurait bien pu être chargée du contrôle de ces laissez-passer ? Un contrôle aux portes de Strasbourg? Et quelles auraient été les sanctions encourues ? Rien pour l’instant ne permet de répondre, et ces questions resteront en suspens. La lecture minutieuse du registre des délibérations A.M.R. BB 39 de l’année1626, ne m’a permis d’en savoir plus sur la destination précise et les raisons du déplacement du Schultheiß, ni de trouver de renseignements sur les conditions de ce voyage…
Désolé ! Et je n’ai pas trouvé, pour l’instant, d’autres mentions de "laissez-passer sanitaire" dans les protocoles des réunions du Magistrat conservés aux archives de Rouffach que j’ai lus. Mais il en reste encore beaucoup à éplucher et les réponses s’y trouveront peut-être !
Sources :
- Histoire de bâton… le bâton de police dans tous ses états in Société Lyonnaise d’Histoire de la Police http://www.slhp-raa.fr/
- Laurent Bastard Le bâton des Schultheiss alsaciens et allemands in Centre de recherche sur la canne et le bâton LE BATON DES SCHULTHEISS (PREVOTS) ALSACIENS ET ALLEMANDS | Centre de Recherche sur la Canne et le Bâton (crcb.org)
- Signes du pouvoir militaire : de l’épée de connétable au bâton de maréchal in Bulletin du Centre de recherches du château de Versailles Signes du pouvoir militaire : de l’épée de connétable au bâton de maréchal (openedition.org)
Gérard Michel
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