Winzer Register zue Ruffach de Anno 1617
(A.M.R. CC 102 / 1)
Les archives municipales conservent les registres dans lesquels sont consignées les nombreuses amendes distribuées par les banwarten, gardiens du ban, gardes-champêtres de l’époque, qui sanctionnent toutes sortes de délits, que nous dirions mineurs aujourd’hui, petits chapardages d’une grappe de raisin, de quelques poires ou d’une poignée de noix...
Nous proposons dans cet article quelques extraits de l’un de ces registres, daté de 1617, tenu par un garde particulièrement zélé et sévère…
Ces registres sont tenus par des bourgeois désignés par les quatre corporations, et reconnus par elles comme Stattwinzer. Dans le présent document, ce Stattwinzer est Friderich Müller de la Bürgelin Zunftt, la corporation Au Châtelet (zum Bürgelin) qui rassemble essentiellement les agriculteurs. Mais quelle est sa fonction ?
Der Statt Winzer, gardien du vignoble…
Winzer désigne habituellement le vigneron, celui qui exerce une activité en rapport avec la culture de la vigne et l’élevage du vin.
Or, à la lecture des registres tenus par les Winzer, on constate que cette définition ne correspond pas à la fonction qu’ils exercent et le Stattwinzer n'est pas le vigneron municipal ! C’est que, dans beaucoup de localités en Alsace, le mot Winzer pouvait également désigner un garde du ban viticole, adjoint aux garde-ban titulaires, engagé pour la police du vignoble, le temps des vendanges ! (voir Wörterbuch der elsässischen Mundarten de E. Martin - H. Lienhart de 1889 réédité 1974, où on trouve la définition suivante: Hilfsbannwart zur Zeit der Traubenreife.)
Le Stattwinzer traque le moindre délit champêtre, il tient un registre dans lequel il note soigneusement l’identité du contrevenant et fixe le montant de l’amende. Il est, pour le temps des vendanges, le gardien du vignoble, un gardien assermenté, au service de l’Einungspott chargé de centraliser toutes les amendes de la Ville. L’Einungspott remettra sa collecte et ses registres au Burgermeister, l’économe de la ville.
Un « fonctionnaire » zélé et sans pitié !
Pour preuve de ce zèle, voici quelques infractions relevées dans le registre de Friderich Müller, Stattwinzer en 1617. On pourra constater qu’il a étendu son domaine de compétence bien au-delà du simple vol de raisin :
- le fils de Hans Zenckhel a, le jour de la saint Bartholomé, avant la Messe, volé des noisettes : 5 schillings d’amende !
- le fils de Martin Sontag, de Westhalden, son complice pour le même délit : 5 schillings d’amende
- le fils de Geörg Tröstlin a arraché trois raves dans un champ de raves près de la Lange Brücke : 5 schillings !
- le fils de Diebolt Maurer a laissé paître son âne dans un champ de betteraves près de la Ziegelbrücke : 2 schillings
- Jacob Wüter, le fils du porcher, a gaulé des noix près de la Lange Brücke : 5 schillings.
- la servante de Chrisostome Billich a volé des grappes de raisin et tout un tablier (ein fürtuech) plein de noix derrière le château
- a fait paître deux bœufs sur la Schindlach : 1 ½ schilling
- a volé une grappe de raisin : 5 schillings
- a volé tout un tablier plein de poires près de la carrière (ein fürtuech voll Büren) : 5 schillings
- a roulé avec cheval et chariot à travers un pré non loin du Vogelbrunnen : 10 schillings
- a volé de l’herbe dans un pré près de la scierie (Sagemühle) : 10 schillings
- a passé sur les semis dans la Schindlach : 2 schillings
- a ramassé 8 poires (acht büren uffgehebt) : 5 schillings
- a roulé avec son chariot et deux chevaux sur de jeunes semis : 10 schillings, ohne Gnaden, sans possibilité de grâce !
- a volé 4 grappes de raisins, dimanche, avant la messe, près de la Herren Mühle 10 schillings…
Rien ne lui échappe ! Et pour cause : 1/3 des amendes revient à la hohe Obrigkheit , à la haute autorité, celle de l’évêque ! Le reste est partagé entre la Ville et les Potten eux-mêmes. Il semblerait toutefois que ces amendes n’étaient pas toutes encaissées, puisque le registre précise que l’une d’elles ne devait bénéficier d’aucune clémence… Le barème appliqué à ces contraventions pour de petits délits devait surtout avoir un rôle dissuasif pour empêcher que celui qui vole un raisin ne soit tenté de récolter toute la parcelle ! D’ailleurs comment ces pauvres gens, contraints à voler pour subsister, auraient-ils pu payer une amende de 10 schillings ? Allait-on punir aussi lourdement un chapardage de gamins ?
De la paperasse, déjà !
Mais en bon « fonctionnaire » le Winzer Pott remplit consciencieusement son registre qu’il remettra à son « chef de service » l’Einungs Pott qui vérifiera les comptes et les reportera dans un autre registre qu’il transmettra à son « supérieur hiérarchique » le Statt Schaffner ou le Burgermeister …
Et nous qui pensions que notre siècle avait inventé la paperasse !
Note : Pot, Pott, Bot, Bote, l’homme à tout faire…
La charge de Pott est une des charges municipales concédées par le Magistrat. On rencontre notamment les charges du Herrenpott, du Ratspott, du Kirchpott et celle de l’Einungspott.
- le Herrenpott est au service du bailli ou de ses représentants dans le bailliage, comme le receveur ou le greffier du bailliage
- le Ratspott est attaché au Conseil
- le Kirchpott est attaché à l’église et à la fabrique de l’église
- l’Einungs Pott est chargé du contrôle des amendes et des infractions et de leur recouvrement
La traduction la plus communément utilisée pour Pott est valet ou sergent juré : valet du bailli et du château, valet ou sergent du Conseil, valet de l’église, et valet de la recette des amendes. Son rôle est celui d’un intermédiaire, d’une « courroie de transmission » entre deux « services » : porteur de messages, de convocations, collecteur d’informations, de documents… Il est un peu l’homme à tout faire de l’institution qui l’emploie. Il est assermenté et dans sa fonction il porte le Stab, le bâton qui symbolise son autorité.
Gérard MICHEL