Rouffach est la capitale de l’OBERMUNDAT, ou Haut Mundat, une seigneurie épiscopale dont le seigneur temporel est l’évêque de Strasbourg. Mais cette seigneurie fait partie, au plan religieux et spirituel, de l’évêché de Bâle, une situation particulière qui n’est pas sans créer des tensions et des situations parfois cocasses.
L’Obermundat, ou Haut-Mundat, est une seigneurie ecclésiastique dont la capitale est Rouffach. En dehors de leurs domaines de la Basse Alsace, les évêques de Strasbourg possèdent comme seigneurs temporels dans la Haute Alsace, les baillages du Mundat Supérieur, détachés de la juridiction des comtes royaux et donnés comme terre affranchie emunitas, mundatum à l'évêque de Strasbourg.
Rouffach est donné aux évêques de Strasbourg au milieu du 7ème siècle, le territoire de Soultz intègre le Haut Mundat en 1015 et Eguisheim sera rattaché au Haut Mundat en 1225.
L’Obermundat, se compose, en 1568, des localités suivantes : Rouffach (et la moitié de Westhalten), Soultz, Eguisheim, Soultzmatt, Gueberschwihr, Pfaffenheim, Gundolsheim, Orschwihr
Les évêques de Strasbourg, seigneurs temporels du Haut-Mundat, fin 16ème et début 17ème siècle :
Erasme de Limbourg, évêque de 1541 à 1568
Jean IV de Manderscheid-Blankenheim de 1569 à 1592
Charles de Lorraine, cardinal, de 1592 à 1607
Leopold archiduc d’Autriche de 1607 à 1625 qui résigne ses évêchés et épouse en 1626 Claude de Médicis dont il aura trois enfants. Il avait été nommé coadjuteur de l'évêque de Passau en Allemagne à l’âge de 11 ans, coadjuteur de l'évêque de Strasbourg en Alsace à 12 ans, évêque de Passau à 19 ans et évêque de Strasbourg à 21 ans, le 24 novembre 1607.
Léopold II Guillaume d’Autriche de 1625 à 1662, neveu du précédent, est archiduc d’Autriche, duc de Bourgogne, de Styrie, de Carinthie, de Carniole, de Wurtemberg, archevêque de Magdebourg, évêque de Strasbourg, Passau, Halberstadt, Olmütz et Breslau, abbé des abbayes d’Hersfeld, de Murbach et de Lure, chanoine de Mayence et de Cologne, grand-maître de l’ordre teutonique, administrateur général de l’ordre de Malte, landgrave d’Alsace, comte de Habsbourg, de Ferrette, de Kybourg, du Tyrol et de Goricie, général des armées de l’empereur, gouverneur des Pays Bas espagnols…Il s’intéresse peu à son évêché de Strasbourg, trop occupé à faire la guerre contre les suédois et ne viendra jamais en Alsace !...
Ils sont administrateurs laïcs et perçoivent les bénéfices de leur(s) diocèse, la charge du diocèse étant portée, en réalité, par le doyen du Grand-Chapitre.
Les relations entre seigneur et sujets ne sont pas toujours très chaleureuses, comme le laisse entendre la relation de l’entrée de l’archiduc Léopold d’Autriche à Rouffach le 19 avril 1612, le jeudi avant le jour de Pâques : (traduction de A.M.R. BB 31 folio 54)
Le jeudi avant le saint jour de Pâques, grünen Donnerstag sa très gracieuse seigneurie Léopold d’Autriche, évêque de Strasbourg, de Passau, etc., Landgrave d’Alsace, notre très honoré prince, est arrivé à la porte de Froeschwiller accompagné de 150 personnes et 130 chevaux, a traversé la place pour se rendre à son château d’Isenbourg. Le Magistrat assemblé a souhaité en témoignage de son obéissance et de sa soumission lui souhaiter la bienvenue. Auparavant il s’était informé humblement auprès de son honorable seigneurie, le comte de Salm, Statthalter, administrateur ou gouverneur général, si ce geste était le bienvenu. Il lui fut répondu que le prince ne le souhaitait pas, disant que de toutes façons il allait revenir souvent à l’avenir et que le Magistrat devait s’éviter ces frais et cette peine…
Ainsi sa seigneurie ne fut pas reçue par la ville et il ne lui fut rien offert à cette occasion !
L’évêque se déplace à chaque visite avec sa cour, ici 150 personnes et 130 chevaux, sa garde personnelle et sa domesticité : tout ce monde loge en partie au château mais la plupart sont logés en ville, le plus souvent chez les bourgeois de la ville. Ce qui ne manque pas de provoquer des incidents, des rixes, des bagarres entre fils de bourgeois et gens du seigneur !
On remarque, curieusement, qu’après chaque séjour du seigneur à Rouffach, le Magistrat prend des décisions pour exclure les prostituées et éradiquer la prostitution dans la ville…à la suite de bagarres où étaient impliqués les gens de la cour épiscopale. Faut-il croire que les prostituées étaient du convoi ou suivaient de peu le convoi dans ses déplacements ?...
Les institutions de la seigneurie et les institutions de la ville
En 1616, les représentants de l’autorité seigneuriale à Rouffach sont les suivants :
le comte Herman Adolph von SALM, Genéral Statthalter, gouverneur général,
Egon de FURSTENBERG , Vogt, bailli
Niclaus BONA , Marschalck
Johann REINHART, Burgvogt
Polleronus DIDENHEIM, Amtschaffner, receveur du baillage
Niclaus MÜLLER, Landtschreiber, greffier du baillage
Michel KREYENRIEDT, Schultheiss, prévôt,
Instructions donnée au Schultheiss de Rouffach
(traduction de A.M.R. AA 11 (Urbaire pages 246 -249)
Le Schultheiss est le chef de la commune, il en représente les intérêts et doit veiller à la conservation de ses droits et traditions. Il doit faire serment au conseil, assister fidèlement au conseil dans ses doubles fonctions de cour administrative et judiciaire, maintenir les anciennes et bonnes habitudes, veiller au bien de la commune, faire rendre la justice à qui justice est due et faire exécuter promptement et fidèlement les jugements.
Il doit avoir soin de donner lecture annuelle, le jour du serment, le 6 janvier, (am zwölften Tag , le 12ème jour qui suit Noël), aux bourgeois de la commune des décisions et ordonnances concernant leurs devoirs, les faire exécuter ponctuellement et faire punir les contrevenants.
Il doit faire en sorte que les comptes de la ville, de l’hôpital, de la maladrerie, du Burgermeister, membre élu du Magistrat, comptable de la ville, et autres soient rendus annuellement, veiller au bon emploi des finances, éteindre les anciennes dettes, faire rentrer les impôts et les taxes, augmenter les revenus et entretenir la paix et l’union entre les bourgeois.
Le Schultheiss, après avoir prêté serment de sanctionner le mal et de soutenir le bien, pouvait porter le Stab, bâton ou baguette de justice, en signe de l'autorité déléguée par le Seigneur, un Stab qu’il confie à un autre membre du Magistrat lorsqu’il doit s’absenter de la ville.
Les conseillers élus du Magistrat.
Pour être éligible au Magistrat, l’assemblée des conseillers élus, la condition première est de faire partie de la Burgerschaft, c'est-à-dire d’être bourgeois de la ville, avec son corollaire, être membre de l’une des corporations de la ville.
Mais être bourgeois ne suffit pas pour être admis dans la société dirigeante de la ville. Il faut être admis dans une corporation et donc justifier d’un métier certes, mais il faut aussi que le métier puisse permettre de se libérer de son échoppe ou de son commerce, pour siéger plusieurs fois dans la semaine dans les nombreuses assemblées du Magistrat, leur présence étant obligatoire sous peine d’amende... Ce ne peuvent donc être que des maîtres, riches propriétaires d’un atelier occupant des compagnons et des apprentis ou les propriétaires d’un commerce... Ou encore des propriétaires fonciers qui vivent des rentes que leur rapportent leurs propriétés et leurs terres... Ce qui fait que les membres du Magistrat sont issus le plus souvent d’une petite minorité qui rassemble de riches et puissantes familles qui se partagent les charges et se les transmettent de génération en génération.
L’examen des compositions successives du Magistrat permet de dire qu’un certain nombre des conseillers semblent inamovibles et que ceux dont le mandat n’est pas renouvelé, pour une ou deux années, reviennent après un temps de « repos ».
Wolf BARTOLOME sera au magistrat de 1576 à 1587, date à laquelle il sera remplacé par Jacob BARTHOLOME qui y restera, avec quelques interruptions, jusqu’en 1613, soit 25 ans !
Melchior KNECHTLIN apparaît au Magistrat en 1581 et y est encore en 1610, il y sera resté près de trente ans, avec toutefois quelques interruptions et en 1610, un autre KNECHTLIN occupe les fonctions de Amtschaffner.
Jonas KROTZ restera Raths Pott de 1587 à 1612, 25 ans également…
Et ce n’est pas le niveau d’instruction qui est le critère indispensable qui permet d’accéder à cette charge : une supplique adressée à l’archiduc d’Autriche, un document non daté mais de la première moitié du 17ème siècle (A.M.R. FF 11), au sujet d’un verdict rendu à l’issue d’un procès criminel, révèle que beaucoup des élus du Magistrat ne savaient ni lire ni écrire et que par conséquent, puisqu’ils ne pouvaient pas lire le Code de procédure pénale, ils ne pouvaient être tenus pour responsables d’une erreur judiciaire ! C’est tout au moins ce qu’ils prétendaient, pour ne pas être obligés de payer l’amende dont on les menaçait !
… seind wür schlechte einfeltige Leyern die nicht studiert und theils weder schreiben noch lesen kennen, auch mehr gerüerte Halss Gerichts Ordnung nie gehört….
Les non élus qui siègent au Magistrat:
- le Schultheiss, prévôt, nommé par l’évêque de Strasbourg
- le Stattschreiber, greffier municipal est Johann Andres WILLEMAN, mais celui qui rédige la plupart des protocoles est son aide, sein Diener, Hans Jacob SANDTMEYER
Les élus du Magistrat:
Ils sont quinze élus, renouvelables chaque année, qui se partagent les différents offices de la ville. Parmi ces offices, cinq sont dits « offices les plus importants » :
- Gewerfer : receveur de la taille Gewerf
- Umgelter : receveur de l‘Umbgelt
- Kirchenpfleger : administrateur des biens et des revenus de l’église
- Spithal Pfleger : administrateur des biens et des revenus de l’hôpital
- Gutleüth Pfleger : administrateur des biens et des revenus de la léproserie
Les différents offices dans le Magistrat
Un membre du Magistrat est à la fois conseiller, c'est-à-dire qu’il siège dans les assemblées qui gèrent les affaires courantes de la ville mais aussi juré dans les assemblées, le plus souvent les mêmes, qui jugent les délits mineurs qui relèvent de la police de la ville : déplacement de bornes, litiges au sujet de clôtures ou de murs, pâturage sur des terres non autorisées, injures, coups et blessures... A d’autres moments il peut également être amené à siéger comme juré dans des affaires criminelles : vols, vols dans les églises, impudicité, adultère, assassinats ...et sorcellerie. Le Magistrat a donc une double fonction : celle d’une cour administrative et celle d’une cour de justice.
Bien souvent, dans des actes notariés par exemple, le même conseiller peut être désigné - ou alors il signe lui-même - tantôt par …des Raths… tantôt par …des Gerichts… apposé à la suite de son nom : Jacob FISCHER des Raths et Jacob FISCHER des Gerichts, Jacob FISCHER membre du Conseil ou Jacob FISCHER membre du tribunal.
Les 15 conseillers élus sont donc tous jurés de tribunal et ils sont affectés chacun dans un Gericht , une commission de justice, das erste, das andere, das dritt de 5 membres chacun.
Chacun des conseillers se voit également chargé d’un ou plusieurs offices. Ainsi, en 1595 (A.M.R. BB 125):
Statthauptman und sein Leutenampt, capitaine et lieutenant de la milice
Oberwachtmeister: chef du guet
Schaumeister, au nombre de deux, contrôleurs (des viandes par ex.)
Waldmeister: maître des forêts
Zunftmeister, chef de tribu. Les chefs des quatre Tribus sont en 1616:
Adam HEINLIN, zum Helfant, à l'Eléphant
Jacob FRICK, zum Bürglin, au Châtelet
Ludwig ICHAR, zum Einhorn, à la Licorne
Hans BÜRKLIN der Jung, zur Gilgen, à la fleur de Lys
Weÿser: aborneurs et arpenteurs au nombre de 6 dont un Weidmeister, inspecteur des paturages
Waag: visiteur ou contrôleur des balances, au nombre de deux
Ell(e)n: visiteur ou contrôleur des aulnes
Sigler: scelleur
Stettlösung: receveur du droit des amendes pour la part de la ville
Botten:
Ratspott: sergent du magistrat
Herr(en)pott: valet de ville
Kirchpott: valet de l’église
Eÿnungs Pott: sergent, valet des amendes
Les sessions du magistrat :
Wochen Rhatt ou ordentlichen Rhatt, le conseil ordinaire qui a lieu habituellement tous les mardis de l’année, en dehors des mardis de la période des moissons, des vendanges ou ceux qui tombent sur des jours de fête.
Le lundi qui précède des conseils ordinaires, il est d’usage que le sergent du Conseil der Rathsbodt se rende le lundi qui précède le Conseil, au matin, muni de son Stab aux maisons de chaque conseiller du magistrat pour leur annoncer la tenue du Conseil, et leur rappeler avec tout le respect qui leur est dû, d’y être présents zue rechte Zeit…à l’heure !
Là aussi le Stab est le signe de l’autorité déléguée par l’instance supérieure, ici le Schultheiss.
Mais le conseil se réunit à d’autres occasions et il n’est pas rare que certaines semaines il y ait deux, trois, quatre, voire cinq réunions !
Erkauffter Rhatt, lorsqu’il y a „urgence“ à traiter une affaire et qu'on ne peut pas attendre le conseil du mardi!
Gastgericht
Freyheits Rhat oder Marckt Sachen, au lendemain des 4 grands marchés annuels, Jahr Markt :
- celui du 14 février : le jour de la Saint Valentin
- celui du 7 mai : le jour de l’Invention de la Croix
- celui du 15 août : le jour de l’Assomption de la Vierge Marie
- celui du 8 septembre : le jour de la Nativité de Marie
des marchés importants où il vient des marchands de Colmar, de Mulhouse, Schuemacher, Hossenstrickher, Weissgerber, Seckler, Kürscher (Kürschner : le fourreur, le pelletier), Kibler (Kübler : qui font des récipients plus petits que le Kieffer, le tonnelier), Rothgerber et même des marchands venus de Bâle, Eisen Krämer…
Ces marchés sont évidemment une source de revenus importants pour la ville qui touche des droits de place, mais aussi une grosse source d’ennuis, puisqu’il a fallu « inventer » une réunion du Magistrat rien que pour traiter les litiges survenus ces jours-là !
Einung und Ungericht
Fronfasten Rhat
Extraordinarii und Frefel Rhat
et aussi pour des Hauschatzung (estimation de la valeur d’un bien, au moment d’un partage consécutif à un décès) et de Hausbesichtigung (visites de maisons pour en vérifier l’état, notamment celui des cheminées…) ou encore l’ensemble du Magistrat se déplace en forêt, pour plusieurs jours et donne rendez-vous au Magistrat des autres communes pour vérifier les limites du ban… certains, ceux de Munwiller par exemple, sont rarement au rendez-vous !
Toutes les réunions du Magistrat sont l’occasion de libations et sans doute de beuveries dont les dépenses sont soigneusement notées dans les comptes du Bürgermeister en 1616: un total de plus de 80 livres, ce qui est beaucoup quand on sait que le Magistrat alloue pour l’année, pour die armen Leüthen, pour les indigents, 68 livres et 7 schillings.
Les membres du Magistrat formaient une corporation dont le poêle était justement la maison de ville, qui possédait son propre débit de boisson, die Raths Stube, tenu par ein Stuben Knecht et dans lequel sont consommés des quantités impressionnantes de vin, autant et souvent plus que dans certaines auberges de la ville…
(extraits d’une conférence donnée dans le cadre de la société d’histoire du bailliage de Rouffach, intitulée Vivre à Rouffach en 1616, histoire(s) et vie quotidienne du Rouffach d’antan, à la veille de la Guerre de Trente Ans, animée par Gérard MICHEL, le vendredi 17 février 2012 à 20 heures à l’ancien Hôtel de Ville de Rouffach)
fin de la première partie, à suivre