“Libera nos, Domine, a bello, a fame, a peste : libère nous, Seigneur, de la guerre, de la faim et de la peste”.
Deux extraits de protocoles de délibération du Magistrat, le premier daté du 28 novembre 1628 et le second du 31 janvier 1629 nous renvoient à notre actualité, celle de l’épidémie du Covid19.
Dans ces deux passages, il est fait mention de Pestilenzische Infection : Pestilenz renvoie toujours à une maladie infectieuse responsable d’une épidémie sans que l’on sache toujours de laquelle il est question mais le mot est le plus souvent utilisé pour la peste. À la lecture de ces deux mentions il ne semble pas que la maladie ait connu une grande diffusion dans la cité. Il ne s’agit peut-être que de cas isolés qui ont réveillé des terreurs passées et le Magistrat, alerté par le curé de Notre-Dame, décide de prendre des mesures énergiques d’isolement et de confinement pour éviter la propagation de l’infection.
Document 1 :
Pestilenzischen Infection betreffend dans Ordinarÿ Wochenrath gehalten Zinstag den 28ten November 1628 folio 189 verso:
Sonsten hat Herr Pfarrer heüt ein Zedel in Rath geschickt und denselben beÿ Irem Gewissen ermahnt, weilen die pestilentisch Infection anfange zue blühen starckh einreissen, man wölle doch ein Ordnung machen, dass die Sucht nit weiters einreise; zu dem Ende er etliche Puncten die Cristligkheit berierendt in Schrüfften verfassen überschikht
# erkandt man soll Heüt ein Gebott halten und diese auch andere vorm Jahr gemachte Ordnung vorhalten und reiteriren: welcher sich deme wider setzen und nit nachkhomen werde, derselbe soll mit genugsamber Straff angeschen werden, und weilen der Sonnenwürdt wider alles Gebott aus seinem inficiert Haus wandert, also ist erkhandt Ihme solle 4 Wochen aus der Statt gebotten werden und der Schildt abgeworffen, auch die Herberg zugeschlossen sein. Ebenmessig auch dem Einungspotten ein Zettel überliefert, darauf die Inficierte Häuser begriffen, dass er dieselbe mit einem Mahlschloss zu beschließen soll.
... Par ailleurs Monsieur le Curé a fait envoyer aujourd’hui-même un billet dans lequel il rappelait les Conseillers du Magistrat à leur conscience, parce que l’infection pestilentielle se répandait fortement, et demandait qu’on prenne des mesures pour que l’épidémie ne s’étende pas davantage… à cette fin il a rédigé quelques réflexions au sujet de l’esprit chrétien…
# Réponse du Conseil :
Il a été décidé qu’on devait prendre des mesures pour que l’épidémie ne s’étende pas davantage et appliquer les règles qui avaient été décidées l’année dernière : tous ceux qui ne respecteraient pas ces règles seraient punis avec sévérité. L’aubergiste Au Soleil qui, au mépris de tous les règlements, circule librement hors de sa maison touchée par l’infection, doit être exclu de la ville pour quatre semaines, l’enseigne lui sera jetée à terre et son auberge fermée.
Il a également été remis au sergent responsable des amendes, un document listant les maisons infectées, avec pour mission de fermer ces maisons par un cadenas…
Document 2 :
Kranckhen im Spithal. Conseil du 31 Janvier 1629 folio 197 verso:
Es ist erkhandt, es solle nun hinfüro jeder Burger alhie, deme jemandt in seinem Haus kranckh würdt, insonderheit wegen der INFECTION, selbten in der Behausung behalten und nit wie bishero beschehen, gleich in den Spithal schikhen…
Malades de l‘hôpital
... Il a été décidé que dorénavant chaque bourgeois de la ville dans la maison duquel se déclare un malade, en particulier à cause de l’Infection, devait garder ce malade dans sa maison et non pas l’envoyer tout de suite à l’hôpital comme cela se faisait jusqu’à ce jour…
Quelle est cette pestilence ? S’agit-il bien de la peste ? Depuis la grande épidémie de peste noire qui ravagea l’Europe de 1348 et qui, en l’espace de cinq ans a fait 25 millions de victimes humaines sur une population totale d'environ 75 millions d'habitants, soit un tiers des Européens, la terrible maladie ne disparut jamais complétement jusqu’à la première moitié du XIXème siècle et les épidémies resteront récurrentes en Alsace jusqu'en 1670.
En 1628 et 1629, dates de nos documents, elle sévit en Normandie et en Bretagne, mais elle reste locale en Alsace, terre de passage, véhiculée par les soldats de la guerre de Trente Ans, ceux de Mansfeld en particulier : à Rouffach elle n’est évoquée dans les comptes-rendus des conseils du Magistrat que ces deux fois, en novembre 1628 et en janvier 1628.
Peut-être les Conseillers jugeaient-ils qu’il n’était pas dans leurs attributions de débattre de ce sujet… laissant au curé le soin d’inscrire les victimes dans les registres de décès, dont une lecture attentive pourrait sans doute nous apporter des éléments de réponse sur la nature, la durée et le bilan humain de cet épisode infectieux.
Gérard Michel
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