Vischer A.M.R. AA 4
Dans la recherche en histoire, comme dans toute recherche, rien n’est jamais définitif : ce qui est sûr un jour peut être remis en cause le lendemain par une nouvelle découverte: vestige archéologique, chronique ou journal, document iconographique, écrits, imprimés, etc.
Ainsi deux documents redécouverts récemment dans nos archives photographiques, nous permettent de corriger mais surtout de compléter notre article publié dans ces pages le 27 mai 2020 sous le titre Règlement des pêcheurs professionnels de la Lauch (1564). Il s'agit de deux pages conservées aux archives municipales de la Ville de Rouffach:
- la première, extraite de A.M.R. AA 4 qui consigne les droits et les coutumes de la ville de Rouffach est datée de 1439.
- la seconde, de la série A.M.R. BB 122 (administration communale, Gemeine Ordnungen) non datée, mais d'avant 1580
Vischer AA 4 (cahier des droits et coutumes de la ville de Rouffach)
Es ist ze wissen dass unser Vischer keinem fremden Vischer söllent helffen sine Visch verköuffen und söllent in einer milen weges von Rufach kein Visch umb sie kouffen. Ouch sol kein heymsche Fröuw Visch ze Banck veil haben. Wel Vischer Nasen [1] har bringet, er sÿ heymesch oder frömbd, die sol er von den andern Vischen scheiden und sie uff einem sondern Bank feil haben, oder er bessert…Diese vorgeschribene Stuck sint by Neglins Ziter gesetzet.
Item dar noch, uff Zinstag nach dem Meigtag Anno XXXIX (1439) hant auch Vogt, Schultheiß und Ratt zu Rufach einhelliglichen bekannt von den Visch wegen, dass alle Vischere die heymisch sint, mit den Ussern kein Gemeinschafft haben söllen usswendig noch innwendig, es were denn dass ir zwen oder drig mit einen Garn mit einander zugent ungeverlich, mögent sÿ mit Erlöubung verköuffen sust kein Gemeinschafft haben und sol auch kein Wirt ein Visch Verköuffer sin, noch töte Visch verköuffen ungeschöuwet und auch kein Fröuw ze Banck ston Visch feil haben die heymsch ist, wer das brichet von Fröuwe, der bessert V Sch. und sust die Mann an ire Stuck X Sch.
[1] dans Grimm : Nasenfisch, m. cyprinus nasus
Le hotu, parfois aussi appelé nase (et dont le nom scientifique est Chondrostoma nasus) est un poisson potamodrome et rhéophile (qui vit dans le courant) des bassins de la Meuse, du Rhin, de la Seine et du Danube.
Le hotu ou Nase commun
Traduction:
Il est à savoir que nos pêcheurs ne doivent aider aucun pêcheur étranger à vendre ses poissons et ne doivent acheter d'eux aucun poisson à une lieue (4,8 kilomètres) de distance de la ville.
Aucune femme de la ville n'est autorisée à vendre du poisson à l'étal des poissonniers.
Celui qui propose à la vente des Nasen, des Nases, qu'il soit de la ville ou d'ailleurs, devra séparer ces poissons des autres poissons et les présenter sur un autre étal. S'il ne le fait pas, il sera puni d'une amende.
Item, le mardi qui a suivi le Jour de Mai de l'année 39, le Bailli, le Schultheiss et le conseil de Rouffach ont décidé à l'unanimité qu'aucun pêcheur de notre ville ne devait avoir de relation avec un pêcheur étranger, que ce soit dans la ville ou hors de la ville, sauf dans le cas où il serait nécessaire de s'entraider pour tirer un filet: dans ce cas seul ils pourraient être autorisés à vendre le produit de cette pêche. En dehors de ce cas, ils ne doivent pas se fréquenter.
Et aucun aubergiste ne doit vendre de poisson ni servir du poisson qui n'ait été vu auparavant par un inspecteur juré.
Une femme de la ville n'est pas autorisée à vendre du poisson à l'étal des poissonniers, sous peine d'une amende de 5 schillings.
Commentaires:
A vrai dire, ces deux paragraphes posent plus de questions qu'ils n'apportent de réponses. Ils répètent des interdictions que nous avons déjà rencontrées par ailleurs:
- l'interdiction, répétée deux fois, pour les femmes de la ville de se tenir derrière le bank, l'étal des poissonniers et d'y proposer du poisson à la vente. Pour quelles raisons cette interdiction?
- l'interdiction d'entretenir une quelconque relation avec des pêcheurs étrangers, ni au moment de la pêche, sauf exception, ni au moment de la vente du poisson: l'étranger est celui qui n'habite pas la même seigneurie, et donc un pêcheur de Herrlisheim ou de Hattstatt, qui pêche pourtant dans la même rivière, est un étranger qu'il est interdit de fréquenter! Et là aussi, qu'est-ce qui motive cette interdiction?
On apprend également qu'on pêche des Nases, et ces Nases ne doivent pas être mélangés aux autres poissons mais présentés sur une étal différent: poisson de luxe, ou au contraire poisson de qualité médiocre qui ne doit pas être proposé au même prix que les autres?
Dans ce document apparaît une fonction importante que nous retrouverons dans un prochain article dans lequel il sera question de la vente du poisson à l'étal: avant de pouvoir être proposé à la vente, le poisson doit être examiné par un Schauer, littéralement une "regardeur", un inspecteur-juré qui décidera s'il est ou non propre à la consommation. La D.G.S.V. déjà... qui assurait la qualité et la sécurité des denrées proposées à la vente... Parmi les offices de la Ville figurent des Fischschauer, mais également des Brotschauer et des Fleischauer, inspecteurs des poissons, du pain, de la viande...
A.M.R. BB 122 (Gemeine Ordnungen, page 41 vers 1580)
Item, es haben Vogt, Schultheuß und Rath erkhant das hinfurter ein Jeder, er seÿ wer er well, Man oder Weibs Person, Jung oder alt in dieser Statt wonend, jeder Zeit des Jors in der Wochen nit mehr dan drÿ zween einen Tag vischen sol, namlich Zinstag Dornstag unnd Freÿtag. Es sol auch niemand, in Zeit der Ernd, von Sanct Johanns bis Sanct Jacobs Tag in der Lauch, Ombach oder Thur vischen, allein die so Kerb setzen ußgenomen.
Welchs solchs verpricht, pessert jeder Mol …………………1 Lib.
Traduction:
Item, le Bailli, le Schultheiß et le conseil ont décidé qu’à partir de ce jour chacun, quel qu’il soit, homme ou femme, jeune ou vieux, qui habite cette ville, ne devra pas être autorisé à pêcher plus de trois, deux, * un jour par semaine, à savoir le mardi, le jeudi et * le vendredi.
De plus, personne ne sera autorisé à pêcher dans la Lauch, la Thur ou l’Ombach pendant la période de la moisson, de la saint Jean** à la saint Jacques**, à l’exception de ceux qui posent des paniers.
*rayé dans l'original
**saint Jean-Baptiste, le 24 juin
***saint Jacques le Majeur, le 25 juillet
A.M.R. BB 123 p 41
Item, es haben Vogt, Schultheiß und Rath erkhanndt, welcher hinfürter ein Vischer sein will, unnd Klingen[1] haben will, der soll an Fischtägen sein selbs gefangne, oder vom Rhein erkauffte Fisch
veil haben, am offenem Fischbannck. Welcher das nit thuet, der soll der Vischer Zunfft beraubt sein und darzue jedermann Macht haben, ohne einiche Entgeltnuß, in deßelben Tungen und Weid zu fischen, unnd soll derselbig nit desto münder meinem Herrn Vogt Schultheißen und Rath dreÿ Pfundt zu Straff verfallen sein und verpessern.
Traduction:
Item, le Bailli, le Schultheiß et le conseil ont décidé, que dorénavant celui qui voulait exercer la profession de pêcheur et avoir son secteur dans la rivière, devra, les jours de vente de poisson proposer à la vente sur l’étal des poissonniers, uniquement le poisson de sa propre pêche ou le poisson du Rhin qu’il aura acheté.
Je n’ai pas trouvé la traduction de Tungen. Par contre, Weide selon Grimm, peut désigner le produit de la pêche, der Ertrag de Fischzugs, ou le secteur, le canton : es soll auch keiner dem andern sein Geschürr in sein Weide stellen Schlettst. stadtr. (1596). Je propose donc, sous toutes réserves, la traduction suivante:
Celui qui ne respecterait pas cette décision se verra exclu de la corporation des pêcheurs et tout un chacun sera alors autorisé, sans devoir la moindre compensation, de pêcher dans ses eaux
De plus ce pêcheur sera puni d’une amende de 3 livres à notre bailli, au Schultheiß et au Conseil.
Commentaires:
Cet article ne devait pas être bien respecté, puisqu’une note en marge précise que désormais, par ordre du bailli, la surveillance serait accrue aux portes de la ville et que les contrevenants seraient punis de l’amende de trois livres, sans possibilité de grâce !
La pêche n’est autorisée qu’un jour par semaine, le vendredi. Ne sont pas concernés ceux qui posent des paniers, des nasses. Cet article s’adresse-t-il également aux pêcheurs professionnels ? Si l’on en croit ce document, tout un chacun, habitant Rouffach, a l’autorisation de pêcher un jour par semaine, le vendredi. Quel type de pêche ? A la ligne, au filet ? Dans quelles eaux? Qu’en est-il alors des cantons alloués et réservés aux pêcheurs professionnels?
Personne n’a le droit de pêcher pendant le temps de la moisson, sauf ceux qui pêchent avec des paniers et cette interdiction concerne la Lauch, l’Ombach et la Thur. C’est la première fois qu’est évoquée la pêche dans la Thur (la vieille Thur)… quant à pêcher dans l’Ombach, les rouffachois n’y ont, en principe, pas droit, la pêche étant réservée au Seigneur… Qu'est-ce qui peut bien justifier cette interdiction?
[1] Klinge zum Fischfange : Klinge peut désigner un cours d’eau ou un secteur (canton) dans un cours d’eau. D’après le Duden: Klinge (landschaftlich) tiefe, enge Schlucht (origine de Klingenthal ?)
Après ces articles sur les règlements de la pêche professionnelle dans les eaux de la Lauch, le prochain article s'intéressera au règlement de la vente sur les étals des marchés au poisson de Rouffach: on y reparlera des Schauer, des variétés de poissons proposés à la vente et de leur prix...
Gérard Michel