Le canal Vauban (photo Wikipedia)
Jean Simon Müller raconte la construction du Canal Vauban dans l'Urbaire de la Ville de Rouffach, Urbarium Rubiacensis Civitatis 1727 A.M.R. Fonds A série AA n° 11 page 79
Jean Simon Müller est une personnalité rouffachoise incontournable pour tous ceux qui veulent écrire l'histoire de Rouffach. Dans des articles précédents nous avons largement puisé dans le précieux ouvrage dont il a été le rédacteur à partir de 1727: l'Urbaire de la Ville de Rouffach, conservé aux Archives municipales de Rouffach sous la Cote AA 11.
Jean Simon Müller est né à Rouffach le 28.10.1678 : en 1699, au moment où on entreprit la construction du Canal dit Vauban, il avait 21 ans.
28 ans plus tard, il relate dans l’Urbaire deux épisodes qui l’ont particulièrement marqué dans sa jeunesse:
1. La construction de la ville neuve de Breÿsach :
Anno 1698, als durch den Rÿswickhischen Fridten Schluss die Stadt Breÿsach, sambt dem gantzen Breÿsgaw, dem römischen Keÿsser, widter von der Cron Franckreich ist abgetredten wordten; so hadt der König in Franckreich ein newe Stadt Breÿsach diseits des Reihns anfangen zu bawen, undt wurdte Anno 1699 der Canall alhier in Ruffach angefangen, gienge zue Pfaffenheimb umb die Steingrub odter Bihl herumb, alhier auff Ruffach undt von Ruffach auff newen Breÿsach; es arbeitet gar vil Volck an disem Canall, dan in Ruffach lagen continuierlich 3 odter 4 Badtaillion Soldaten so beständtig arbeiteten, so dan ebenmässig in Pfaffenheim und Geberschweÿr, undt in allen Dörffern bis auff Breÿsach lage alles voll Volck; diese Völckhe schafften Klaffter Weiss, undt wurdten braff undt wohl bezalt. Dieser Canall kame in kurtzer Zeidt zu seiner Vollkommenheit und füehrte man die gröste Schüff, so dan auch die gröste Last in solche Schüffen, von hier und Pfaffenheimb von Stein, Holtz, Kalch undt allen Materialen auff Newen Breÿsach, welches verursacht das New Breÿsach in kurtzen Jahren erbawen ware.
So wurdte noch ein kleiner Canall, von Ruffach nach Gebwiller, undt hindter Gebwiller gemacht, auff welchem Canall aus dem murbachischen Thall das Brennhorlz zue dem Kalch zue brennen inn große quandtitet auff Schüffen nach Breÿsach gefüehrt wordten.
Der grosse Canall wurdte über die Lauch undt über die Ill gericht, undt lüffen diese beÿdte Wasser undt (unter?) dem Canall durch, die Thur undt der Müllbach von Ensisheimb lüeffen in den grossen Canall undt köndte man von solchen beÿdten letsten Bächern so vil Wasser in Canall lassen so vil man darin vonethen (von nöthen haben) hädte, das übrige lüesse man hindurch lauffen durch Schuffbredter so mit Schrauben auff undt zue gemacht kendten werdten, undt seindt etliche Clussen von hier bis auff Breÿsach gemacht wordten.
Damahl ist alles sehr theür gewessen, undt gülte in Anno 1699 ein Fiertel Weitzen 16 Pfundt, Mahlkorn 14 Pfundt, Gersten 10 Pfundt, Habern 7 Pfundt.
Ein Ohmen alter Wein 14 Pfundt, ein Ohmen newer Wein aber, weillen derselbe gar saur, golte nur 3 Pfundt.
A la suite des traités de Ryswick de l’année 1698, la ville de Breisach et l’ensemble du Breisgau furent cédés par la couronne de France à l’empereur d’Allemagne. C’est pour cette raison que le roi de France entreprit la construction d’une nouvelle ville de Breisach, de ce côté du Rhin (rive gauche). En 1699, on entama les travaux du Canal, ici à Rouffach : il allait de Pfaffenheim, contournant la carrière de pierre nommée Bihl, jusqu’à Rouffach et de Rouffach à la ville nouvelle de Breisach. Une multitude de gens travailla à ce Canal : à Rouffach étaient stationnés en permanence 3 ou 4 Bataillons de soldats qui travaillaient sans discontinuer. Il en était de même à Pfaffenheim et Gueberschwihr et dans tous les villages, où logeait une grande quantité d’hommes, jusqu’à Breisach. Tous ces hommes travaillaient Klaffterweise 1 et étaient bien payés. Ce Canal fut achevé en peu de temps et on y transporta sur les plus gros bateaux les plus grasses cargaisons depuis ici et Pfaffenheim jusqu’à Neuf-Brisach : pierres, bois, chaux et toutes sortes de matériaux. C’est ainsi que la construction de Neuf-Brisach fut achevée en peu d’années…
1 klaffterweise : le klafter est une ancienne unité de mesure (en français la toise) qui correspond à l’envergure des bras (elle a comme base la distance entre les bouts des doigts, les deux bras étendus, environ 1 mètre 80). Est-ce que klaffterweise pourrait signifier que les hommes travaillaient au creusement de ce canal, séparés les uns des autres d’une distance d’une toise ?
On construisit en outre un petit canal, entre Rouffach, Guebwiller et la vallée de Murbach pour amener à Brisach la grande quantité de bois de chauffage nécessaire aux fours à chaux.
Le grand canal avait été conduit par-dessus la Lauch et l’Ill et ces deux cours d’eau passaient sous le canal. La Thür et le Muhlbach d’Ensisheim alimentaient le grand Canal en eau et l’on pouvait, lorsque c’était nécessaire, contrôler la quantité d’eau de ces deux rivières qui rejoignaient le Canal , à l’aide de vannes constituées d’un tablier de planches (montées dans des glissières guides) que l’on pouvait actionner par des vis, le trop plein se déversant dans les deux rivières. On avait aménagé également plusieurs écluses entre ici et Brisach.
A cette époque, tout était devenu très cher : en 1699 un quartaut de blé valait 16 livres, le méteil (Mahlkorn, mélange de seigle et de blé) 14 livres, l’orge 10 livres (Gersten) et l’avoine 7 livres.
Un Ohmen de vin vieux valait 14 livres, un ohmen de vin nouveau (le vin de l’année) ne se vendait que 3 livres, parce qu’il était très aigre (saur).
2. L’inondation catastrophique de l’hiver 1709:
Tout au long de son cours, le canal est bordé de deux talus supportant les chemins de halage… A certains endroits le canal lui-même est rehaussé et creusé dans un talus, pour compenser les dénivelés du terrain (encore visible en bien des endroits, à Oberhergheim ou le long de la route D1Bis qui mène à Weckoltzheim, par exemple).
En 1709, dix ans après les débuts des travaux du Canal Vauban, Jean Simon Müller note dans l’Urbaire :
Anno 1709, den 6ten Januarii, ist ein so unleidendtenliche Kälte eingefallen, das vil Leüth erfroren, diese Kälte hadt gewehrt bis auff Pauli Bekehrung, als den 24ten dito als der Mon voll war, da hadt sich das Wedter geendert unndt ist warm wordten, da hadt es ein so großes Gewesser abgeben, das man alhier von den Thoren über alles Velt, mit Schüffen hadt kennen bis auff die Hardt fahren.
Das Wasser schwelte sich am Canall hoch auff, das man gezwungen wordten in etlichen Orthen durch zuehawen. Oberhercken ist in großer Gefahr gestandten, dan das Wasser alda ware so groß das man mit Schüffen in die Gärthen, über die gestandene Rebsteckhen gefahren, ja was zue verwundtern in deme die Kürch hocherbawen, und in der Höhe umb den Kürchhoff herumb ein Maur, so ist doch das Wasser so hoch gewesen, das es über selbe Mauren des Kürchhoffs gangen, und ist den gueten Leüthen, welche sich in die oberste Gemach ihrer Heüsser retrüert, auch in die Kürch auff den Thurn, durch die Collmarer Schüffleüth Lebens Nahrung zuegefüert worden, undt seindt solche mit ihren Schüffen über die Maur so umb den Kürchhoff geht, hinüber gefahren.
Le 6 janvier 1709 est arrivé un froid si rigoureux que beaucoup de gens sont morts gelés. Ce froid a duré jusqu’au jour de la Conversion de saint Paul, le 24 de ce mois. A la pleine lune, le temps a changé et s’est adouci : il s’en est suivi de grosses inondations, au point qu’à partir des portes de la ville on pouvait circuler par-dessus les champs sur de petites embarcations.
Les eaux grossissaient, arrêtées par le talus du canal, et on a été obligé d’y percer des brèches. Oberhergeim se trouvait en grand danger car l’eau y était si haute qu’on pouvait passer avec des bateaux dans les jardins, au-dessus des échalas des vignes. L’église y est bâtie en hauteur et son cimetière est entouré de murs, mais l’eau était si haute qu’elle passait par-dessus ces mêmes murs.
Les braves gens s’étaient réfugiés à l’étage de leur maison ou même dans le clocher de l’église et les bateliers de Colmar leur apportaient des vivres, en passant, avec leur bateau, par-dessus les murs du cimetière !
Aujourd'hui, il ne reste de ce canal qu'une vingtaine de kilomètres, entre Oberhergheim et Neuf-Brisach: le grand projet de Vauban qui était de lui donner une utilité commerciale après l'achèvement du chantier de Neuf-Brisach ne se réalisa donc pas...
Gérard Michel
Pour en savoir plus:
Pour l'histoire de la construction du Canal Vauban, le lecteur se reportera à l'excellent et très complet article sur le sujet, rédigé par Romain Siry, président de la Société d'Histoire de Rouffach, paru dans Le bulletin municipal d'information J’aime Rouffach n°43 de décembre 2017 pages 30 et 31 (Cliquez sur le lien pour retrouver ce bulletin)
Un autre lien sur l'histoire et la construction du Canal Vauban ou Canal de Neuf-Brisach: Histoire et patrimoine des Rivières et Canaux cliquez ici