Bien visible à l’angle Sud-ouest de l’église Notre-Dame de l’Assomption de Rouffach, la méridienne Adam est un dispositif gnomonique qui a sans doute intrigué plus d’un passant, avec sa courbe en 8 graduée selon les mois de l’année. Lorsqu’il y a du soleil, l’ombre d’un disque percé en son centre nous donne la date courante à 13 heures 31 (ou 12 h 31 en hiver) !
Mais quelle peut bien être l’utilité d’un tel cadran solaire qui par beau temps, ne donne l’heure qu’une fois par jour ? Et si les rouffachois sont fiers de leur jolie méridienne, les habitants de Gueberschwihr ne le sont pas moins de la leur…. ont-ils remarqué, les uns et les autres, que l’on en trouve un autre exemplaire, sortie du même atelier sur un contrefort de la collégiale Saint-Martin de Colmar ?
L’horloger colmarien Urbain Adam les fabriquait en série. Il en posait une sur le mur de l’église chaque fois qu’il installait un mécanisme d’horlogerie dans un clocher. La méridienne servait à contrôler le bon fonctionnement de la grande horloge et aussi à la remettre à l’heure si d’aventure elle s’était déréglée.
La courbe de Fouchy
La méridienne Adam est caractérisée par une courbe en 8 appelée courbe de Fouchy en mémoire de Jean-Paul Grandjean de Fouchy, un astronome qui a tracé vers 1730 la méridienne du Palais du Luxembourg à Paris.
Si le lecteur veut comprendre le tracé de cette courbe, il devra en passer par quelques considérations astronomiques… d’abord que, chaque matin, le Soleil se lève, et qu’il se couche le soir et qu’entre ces deux instants, il décrit dans le ciel une trajectoire symétrique par rapport à son point le plus haut ou apogée toujours dirigé vers le Sud. L’instant du passage du Soleil à son apogée marque le milieu de la durée du jour ou midi. Le mot midi peut d’ailleurs prendre un sens chronologique ou géographique : la projection au sol du rayon de soleil de midi nous donne le méridien, une ligne dirigée vers le Sud, parfois appelé midi.
Jusque vers la fin du XIXe siècle, on vivait ainsi au rythme du Soleil, chacun voyant midi à sa porte, c'est-à-dire que l’heure de Rouffach était différente de celle de Paris ou celle de Berlin. Les progrès de la gnomonique (science des cadrans solaires) avaient permis de partager la durée entre deux passages du Soleil au méridien en 24 heures de durées quasiment égales. L’heure donnée par le cadran solaire était alors le temps vrai local. Cependant dès le XVIIIe siècle, le mouvement régulier de certaines horloges de précision mettait en évidence que la durée entre deux passages du Soleil au midi n’était pas rigoureusement constante, mais sujette à des variations saisonnières…
Pour comprendre ces variations, il faut changer de point de vue : le mouvement du Soleil dans le ciel n’est qu’apparent, en réalité, c’est la Terre qui tourne autour de son axe (mouvement de rotation) et plus lentement autour du Soleil (mouvement annuel de révolution). Dans son mouvement de rotation uniforme, la Terre fait un tour complet en 23 heures 56 minutes et 4 secondes, mais il lui faut encore environ 4 minutes de plus pour compenser son déplacement autour du Soleil et remettre le méridien en face de lui.
Ainsi, c’est au bout de 24 heures environ que l’observateur terrien reverra passer le Soleil au méridien. Malheureusement, le mouvement de révolution de la Terre autour du Soleil n’est pas exactement uniforme et de plus, il se produit dans un plan, le plan écliptique, qui n’est pas orthogonal à l’axe de rotation de la Terre.
Effet de l'excentricité:
La vitesse de déplacement de la Terre autour du Soleil est régie par la deuxième loi de Kepler qui veut que la Terre parcoure une distance journalière plus grande en janvier lorsqu’elle est plus proche du Soleil qu’en juillet, quand elle en est plus éloignée. Ainsi, en janvier la durée séparant deux passages du Soleil au méridien sera de 24 heures et quelques secondes de plus, la différence angulaire à combler étant un peu plus grande, alors qu’en juillet ce seront quelques secondes de moins.
Sur cette figure, l’excentricité de la trajectoire elliptique de la Terre autour du Soleil est considérablement exagérée pour illustrer la deuxième loi de Kepler ou loi des aires : le rayon Soleil-Terre balaye des secteurs d’aires égales en des intervalles de temps égaux.
Effet de l’obliquité de l’axe de rotation de la Terre :
L’axe de rotation de la Terre n’est pas orthogonal au plan écliptique : il est incliné de 23,5°. De ce fait, un déplacement de 1° dans le plan écliptique ne correspond pas forcément à un déplacement de même angle dans le plan équatorial et la direction du Soleil à une date donnée s’en trouve affectée.
La figure suivante montre une projection du mouvement de révolution de la Terre sur un plan parallèle au plan équatorial passant par le centre du soleil :
Les effets dus à ces deux causes s’ajoutent en automne et en hiver, alors qu’ils s’opposent au printemps et en été, l’effet de l’obliquité étant alors prépondérant sur celui de l’excentricité. Ainsi l’heure solaire peut cumuler un retard sur l’heure moyenne de l’horloge qui atteint ¼ d’heure en février et, à partir de septembre, une avance qui atteint ¼ d’heure en novembre. La différence entre l’heure solaire et l’heure moyenne est appelée équation du temps [1].
Pour résumer, on pourra observer l’image ci-dessous qui a été obtenue par superposition de 12 photographies du Soleil à midi (heure locale moyenne) en un même lieu.
Comme on regarde vers le Sud, l’Est est à gauche et l’Ouest à droite. Ainsi, l’heure solaire est en retard sur l’heure moyenne en février et en août et elle est en avance sur l’heure moyenne en mai et en novembre. Tracée sur la voûte céleste, la courbe qui relie ces 12 positions du Soleil s’appelle analemme du Soleil. Pour obtenir la courbe en 8 de la méridienne, il faut projeter ce tracé sur une plaque verticale à travers l’œilleton du disque percé du dispositif de Monsieur Adam.
Urbain Adam (1815-1881)
Horloger à Colmar, soucieux du travail bien fait, Urbain Adam était un humble admirateur de Jean-Baptiste Schwilgué, le réalisateur de l’horloge astronomique de la cathédrale de Strasbourg. Selon ses biographes, ses qualités professionnelles n’avaient d’égales que sa modestie et sa discrétion[2]. Urbain Adam a fabriqué de nombreuses horloges d’édifice dans le Sud de l’Alsace dont celle de l’église Notre Dame de l’Assomption de Rouffach qui est une véritable œuvre d’art:
Elle date de 1859 et elle est inscrite à l’inventaire des Monuments historiques dans la catégorie des éléments mobiliers sous la référence PM68001575 (base Palissy) depuis 2001.
Très souvent, Urbain Adam complétait l’installation de ses mécanismes d’horlogerie par la pose d’une méridienne sur un mur de l’église. Cela faisait partie de sa prestation, la fonction de la méridienne étant de permettre à chacun de contrôler la justesse de l’heure affichée par l’horloge : l’heure moyenne locale. Elle permettait aussi de procéder au réglage précis de la grande horloge si une correction était nécessaire. On compte encore au moins 22 méridiennes Adam dans le Haut-Rhin ou dans le Territoire de Belfort (voir le recensement photographique de Michel Lalos sur son site Internet).
La deuxième moitié du XIXe siècle fut marquée par le développement des moyens de communication. Avec l’essor du chemin de fer, l’heure locale fut remise en question : la gestion des horaires des trains mit en évidence la nécessité de définir une heure de référence à l’échelle des pays [3]. La France adopta l’heure moyenne de Paris en 1891 et en avril 1893, l’empire allemand tout entier y compris l’Alsace-Lorraine se mit à l’heure de Görlitz qui correspond à GMT+1. À Rouffach, le recours à la méridienne Adam tomba en désuétude : compte tenu de la longitude locale, le rayon de soleil passait sur sa courbe en 8 vers 12 heures et 31 minutes, heure légale. Au cours du XXe siècle, les soubresauts de l’histoire ont voulu que l’on change d’heure encore plusieurs fois. Actuellement, si notre méridienne est bien ajustée, le passage du rayon de soleil sur la courbe de Fouchy marque 12 h 31 en hiver et 13 h 31 à l’heure d’été.
La restauration de 2006
Nous ne savons pas dans quelles circonstances la méridienne Adam de Rouffach avait disparu au cours du XXe siècle. D’après le site Internet de l’Office du Tourisme, il ne restait plus que les boulons de fixation à son emplacement. Dans les années 2000, Pierre-Paul Faust, archiviste et conservateur du musée de Rouffach était en relation avec Jean-Pierre Rieb [4], un universitaire strasbourgeois qui s’intéressait à l’histoire des horloges. Aussi, lorsque ce dernier trouva une méridienne Adam chez un brocanteur, Monsieur Faust plaida pour que la Ville en fasse l’acquisition. S’agissait-il de la méridienne d’origine ? C’est peu probable, mais elle lui était en tous points semblable puisqu’elle sortait du même moule : c’était un objet fabriqué en série. La méridienne Adam de Rouffach fut donc restaurée remise à sa juste place en août 2006, quelques jours avant la fête paroissiale avec l’assistance des services techniques de la Ville [5]. L’étude gnomonique préalable avait été menée par Messieurs Jean Balthazard et Jean-Marie Poncelet de l’association Dasypodius.
Comme d’autres cadrans solaires de la ville ou des environs, cet objet détient une part de notre histoire. Une visite à la méridienne pourra nous incliner à une certaine humilité : elle nous rappelle d’abord que nous sommes à la merci des caprices de la météo et aussi que quelle que soit l’agitation sur la place publique, la Terre continuera de tourner, suivant invariablement les lois du Cosmos.
Jacques Mertzeisen, août 2019
Je remercie Messieurs Bernard Guiot et Gérard Michel pour leur aide documentaire.
Illustrations :
- La méridienne Adam de Rouffach, photo : ©Michel Lalos
- Schémas astronomiques, Jacques Mertzeisen.
- L’analemme du Soleil et la méridienne Adam de Lautenbach, photos : ©Serge Bertorello et ©Michel Lalos.
- Le mécanisme de l’horloge Adam de l’église Notre-Dame de l’Assomption de Rouffach, photo : ©patrimoine.horloge.fr
Notes:
[1] On trouvera des compléments sur la page Wikipédia Équation du temps.
[2] On pourra consulter la page Wikipédia qui lui est consacrée.
[3] Voir Lucien Baillaud, Les chemins de fer et l’heure légale, Revue d’histoire des chemins de fer 35, 2006.
[4] Pierre-Paul Faust, Jean-Pierre Rieb : Les horloges de l'église Notre-Dame de Rouffach, Cahiers alsaciens d'archéologie, d'art et d'histoire, tome 47, 2004.
[5] Articles de presse dans l’Alsace du 1er et du 7 septembre 2006.