Bancs-clos de l'Eglise Saint-Pierre de Thimert- Gâtelles (Eure et Loir)
Nous avons déjà évoqué dans ces pages l'héroïsme des femmes de Rouffach qui leur aurait valu la place privilégiée qu'elles occupent encore aujourd'hui, à droite dans notre église paroissiale, une place réservée traditionnellement aux hommes.
Nous proposons dans cet article un extrait du protocole du Magistrat du 26 février 1726 qui confirme que la place des hommes était bien à gauche, face au chœur, mais qui ne dit toujours pas quelles sont les véritables raisons du privilège accordé aux femmes de Rouffach !
A.M.R. BB 96 fol. 39 b. Protocole des délibérations du Magistrat 26. Februar 1726.
Ein Ehrsamer Rath, auf Begehren der Beckh, Miller und Schuster alhiesiger Stadt, hat den Banck in alhiesiger Pfarrkirchen, rechterhands am Eingang von der kleinen Thüren gegen der Metzig, nach altem Gebrauch, wie sie selbigen von alten Zeiten innegehabt, abermahlen placediert undt selbigen mit einem Thürlein beschlißig zu machen erlaubt, volgentlich allen andern Handwerkhs Leuthen oder Burgern besagten Stuehl wärenden Sonn undt Feurtäglichen Gottesdiensten oder anderen Zeiten, wo besagte Handwerckher sich versamblet einfinden werden, zu gebrauchen verbotten, bei willkürlicher Straff.
Les greffiers de l’ancien régime semblent n’aimer ni les majuscules ni les signes de ponctuation, en particulier les virgules et les points ! Il n’est pas rare en effet de rencontrer des pages entières sans aucun signe de ponctuation, ce qui n’en facilite pas la lecture. Dans ce document nous avons rajouté les majuscules nécessaires et les virgules pour en faciliter à la fois la lecture et la compréhension.
La syntaxe elle aussi ne facilite pas toujours la compréhension : il faut ici par exemple, chercher le verbe à bonne distance du sujet.
le sujet : ein Rath (un Conseil)
le verbe : hat…zu machen erlaubt (a autorisé la confection)
le C.O.D.: der Banck (le banc)
les Compléments Circonstanciels de lieu :
- in alhiesiger Pfarrkirchen (dans l’église paroissiale du lieu)
- rechterhands am Eingang von der kleinen Thüren gegen der Metzig (à main droite en entrant par la petite porte face à la Metzig (la boucherie)
Il s’agit donc de la confection, ou plutôt du remplacement par un banc neuf, d’un banc d’église dont ils ont toujours eu la jouissance depuis des temps immémoriaux, à la demande (auf Begehren) des boulangers, des meuniers et des cordonniers. Ce banc se trouve, selon la tradition ancienne, à droite en entrant par le portail Nord en face à la boucherie (Metzig). Il devra être muni d’un portillon qui en fermera l’entrée et en interdira l’accès aux bourgeois d’autres corps de métier lors des offices du dimanche, jours de fêtes et autres occasions où les boulangers, meuniers et cordonniers s’y retrouveront réunis. Toute infraction sera punie !
Ce banc est donc un banc-clos, fermé par un portillon, peut-être clos par une serrure ou un cadenas, strictement réservé aux membres d’une corporation. On peut imaginer, mais nous n’en avons aucune preuve pour l’instant, que les bancs des premières travées de l’église étaient également des bancs-clos, jalousement réservés au « gratin » de la bourgeoisie rouffachoise. Ainsi, une large part de la société établie s’approprie une portion de l’espace de l’église, le banc clos permet à tous d’identifier le rang dans la hiérarchie sociale de ceux qui y sont assis.
On se doute bien qu’un seul banc ne suffirait pas à contenir tous les boulangers, meuniers et cordonniers de Rouffach, maîtres, compagnons, ouvriers et apprentis : c’est que ce banc ne recevait sans doute que les maîtres et chefs de tribus (Zunftmeister), les dimanches, jours des grandes fêtes religieuses ou à d’autres occasions comme la fête du saint patron de la corporation ou lors des obsèques d’un membre de la corporation.
Les anciens rouffachois se souviennent sans doute des bancs réservés dans l’église Notre-Dame où chaque place était marquée d’une petite plaque en laiton gravée au nom de son allocataire. Cette place était attribuée contre une redevance annuelle au conseil de fabrique de l’église. Et gare à l’inconscient qui se permettait de prendre place dans un banc réservé, même si ce banc n’était occupé que par une seule personne !
Ce banc, réservé aux hommes des corporations des boulangers, meuniers et cordonniers, se trouve donc du côté gauche de l'église, face au choeur, le côté qu'occupent tous les hommes. Par conséquent, les femmes se trouvent bien à droite! .... C.Q.F.D. !
Ce qui ne nous dit toujours pas ce qui a valu aux femmes le privilège d'occuper la partie droite de l'église...
Gérard Michel