Dans le mur sud de l'église Notre-Dame de Rouffach, à droite de la porte donnant sur la place, est encastrée une dalle funéraire: il s'agit de l'épitaphe de Serena, la première épouse de Ludwig Horneck von Hornberg, bailli épiscopal de Rouffach de 1533 à 1537.
Th. Walter dans Die Grabschriften des Bezirkes Oberelsass von den ältesten Zeiten bis 1820, page 48 n° 158 Guebwiller 1904) transcrit l’inscription qui figure sur le pourtour de cette dalle:
Anno-domini-M-D-XXX-V-ior-uf-den-heiligen-iors-oben-ist-die-edle- vrow-S….von-Hornberg-vogttin-zu-Rufach-von-dieser-welt-verscheiden-Gott-sei-der-Selen-gnedig.
page 42 n° 142
Il note que les armes et une grande partie du texte qui figuraient sur cette dalle auraient été bûchées par les révolutionnaires. Si cette dalle était déjà dans cet état en 1904, d’où Th. Walter tire-t-il le texte qu'il ne pouvait plus lire à cette époque?
En l’an 1535, la veille du saint jour de l’an, la noble Dame, S… de Hornberg, épouse du bailli de Rouffach, a quitté de monde. Que Dieu prenne son âme en pitié …
les armes de la famille Horneck von Hornberg, dont on peut encore reconnaître la partie supérieure sur la dalle funéraire...
A quelle date cette dalle a-t-elle été insérée dans le mur de l'église?
D'abord, d'où peut-elle bien provenir ?
Rappelons-nous, l'église elle-même était un lieu d'inhumation et son sol était, comme celui de nombreuses autres églises, dallé de pierres tombales sous lesquelles gisaient les dépouilles de prêtres, de religieux ou de notables de la cité. Plusieurs chartes conservées aux archives attestent du vœu exprimé par ces personnes d'être inhumées dans l'église, un vœu toujours assorti d'un legs ou d'une donation plus que généreux à l'Oeuvre Notre-Dame... Cette pierre proviendrait-elle de l'intérieur de l'église ? C'est peu probable: elle a été vandalisée par les patriotes de 1793 mais se sont-ils attaqués aux épitaphes qui figuraient sur les dalles du sol de l'intérieur de l'église ?
Pourrait-elle provenir de l'ancien cimetière attenant à l'église ? Se trouvait-elle déjà, en 1793, dans le mur de l'église, à sa place actuelle? A la regarder de près, on a l'impression, mais ce n'est qu'une impression, que " l'artiste" qui a si méticuleusement fait disparaître tout ce qui pouvait rappeler l'ancien ordre social a " travaillé " à la massette et au burin (et non pas au pic ou à la masse!) sur une pierre dressée et non pas couchée... Mais alors, pourquoi cette pierre était-elle dans ce mur, déjà avant la Révolution ?
Des graffitis, déjà !
En l'observant attentivement, on aperçoit dans le bas, à gauche, des graffitis gravés dans la pierre tendre: l'un en particulier sur lequel on distingue nettement les initiales H.M.G. et la date 1664. Canular ou réalité ? Si cette date de 1664 et celle de l'autre graffiti, sur laquelle on peut encore lire 16-4, correspondent à une réalité, cela voudrait dire qu'à cette époque, cette dalle était déjà verticale. Qui donc en effet s'amuserait à graver un graffiti sur une dalle couchée au sol, dans une église ou sur la tombe d'un cimetière?
-o-o-
Qu'en est-il de la Taufkapelle, ou baptistère, mentionnée par Th Walter ?
Dans le paragraphe qu’il consacre à cette épitaphe dans l’ouvrage cité plus haut, Th. Walter écrit :
Rufach, rechtes Seitenportal der Pfarrkirche, wo früher die Taufkapelle war. Die Wappen sind vollständig und die Schrift zum größten Teile von den Revolutionsmännern zerstört worden. Ludwig von Hornberg, der Gemahl der Verstorbenen, war von 1533 – 1537 bischöflicher Vogt in Rufach.
Walter situe donc cette épitaphe à côté du portail latéral droit de l'église paroissiale, là où se trouvait autrefois la "Taufkapelle", la chapelle des baptêmes, c'est à dire le baptistère. Une fois encore, d'où Walter prend-t-il ses sources, quels sont les documents qui attestent l'existence de ce baptistère, côté sud de l'église?
Dans sa courte histoire de l'église Notre-Dame qui introduit l' Urkundenbuch der Pfarrei Rufach (1900), Th. Walter propose même un plan sur lequel figure cette chapelle au n° 6, Taufkapelle:
La référence au n° 64 de l' Urkundenbuch der Pfarrei Rufach , donnée par Th. Walter, ne correspond pas et ne confirme pas l'existence de cette chapelle. Mais si Th. Walter mentionne cette chapelle, c'est qu'il a dû trouver des traces ou des témoignages de son existence. Mais où ?
Voilà qui pourrait permettre un nouveau regard sur cette porte Sud et son riche décor.
Rêvons un peu...
Laissons courir l'imagination: le mur Sud est le mur de la nef romane primitive. Elle était couverte d'un plafond plat en bois et ne sera voûtée de pierre qu'après sa reconstruction à la suite d'incendies. Ces voûtes ont exigé la construction des actuels contreforts qui devaient soutenir les nouvelles charges.
Sur cette photo, on constate bien que le contrefort (gothique) de gauche "empiète" sur le piédroit (roman) qui soutient le départ de l'arcade de la porte romane et qu'il le recouvre en partie.
Ne pourrait-on pas imaginer que cette porte ne soit pas une porte qui permet d'entrer à l'église depuis l'extérieur mais soit une porte, intérieure, pour entrer dans l'église depuis une construction aujourd'hui disparue, qui aurait été ce baptistère ? Ceci avant la reconstruction de l'église, la construction des voûtes de pierre et des contreforts.
La richesse de l'ornementation de cette porte, les bas-reliefs et la délicate frise qui la surmontent prendraient alors une signification tout autre... cette porte, aujourd'hui porte d'entrée dans l'église, serait alors la porte d'entrée dans l'Eglise, pour le nouveau baptisé...
Mais on rêve, absolument rien ne permet d'étayer cette hypothèse. Il faudrait attendre d'hypothétiques sondages ou fouilles pour retrouver d'improbables vestiges d'une telle construction ! Rien dans les murs, aucune trace d'arrachements d'une ancienne construction, n''en confirme l'existence.
Le décor sculpté autour de cette porte et la frise qui, curieusement, s'arrête juste à l'aplomb de cette porte, [*] ne sont pas, comme on l'a dit et écrit, des pièces rapportées, des réemplois d'éléments récupérés sur l'église romane: ils semblent parfaitement à leur place. Pourquoi cette porte latérale d'une église, de plus donnant sur un cimetière, aurait-elle été le portail d'entrée d'église, habituellement richement décoré? Il n'y a pas vraiment de raison que le portail principal de cette église romane n'ait pas été à l'ouest, aucun obstacle naturel ne s'y oppose. Alors, pourquoi une pareille ornementation à une porte qui aurait été "secondaire" ?
[*] on retrouve une frise semblable au-dessus de la porte latérale nord, et elle s'arrête également à l'aplomb de l'un des piédroits !
Note:
Le lecteur lira avec profit l'article très complet et très documenté de Jean Philippe Meyer, L'église romane de Rouffach, architecture et décor sculpté au début du XIIème siècle, dans Cahiers alsaciens d'archéologie, d'art et d'histoire 2018 tome LXI, édité par la Société pour la conservation des monuments historiques d'Alsace.
L'auteur y réaffirme notamment que les quatre dalles sculptées qui ornent actuellement la porte sud de l'église sont des réemplois. Il n'évoque pas l'existence possible d'une Taufkapelle, d'un baptistère, à cet endroit...
Gérard Michel
photos G.M.