Dans le transept sud de l'église Notre-Dame de Rouffach se trouvent les fonts baptismaux, une œuvre magistrale du XVème siècle, exécutée en grès jaune de Rouffach.
Le Ministère de la Culture leur consacre une fiche sur son site www.culture.gouv.fr :
Fonts baptismaux en grès jaune et couvercle avec potence et mécanisme de levage (cuivre, fer forgé). Les fonts reposent sur un socle octogonal moderne, lui-même surélevé par un emmarchement. Le pied de même plan et flanqué de huit colonnettes comporte un socle très important constitué d'une succession de plans octogonaux ou en étoile, moulurés ou en Astwerck entrelacs de rameaux et de branchages; posé chacun en biais par rapport au suivant, leur périmètre décroît de bas en haut. La cuve proprement dite n'est pas moins ornée ; toujours de plan octogonal, elle est formée d'une succession de gâbles en accolade s'imbriquant les uns dans les autres ; chaque gâble est coiffé alternativement d'un ou de deux pinacles. Les huit pinacles redoublés retombent en culots et sont sculptés. Le couvercle de plan octogonal est en cuivre, à huit panneaux ; les cordons séparant chaque champ se rejoignant en une couronne surmontée d'une croix. L'instrument de levage comporte un bras de levier fixé au mur, et permettant de soulever le couvercle par l'intermédiaire d'une potence.
Dimensions h = 125 (Dimension sans le couvercle et le socle) ; Dimension du bord de la cuve : la = 9
Iconographie Instrument de la Passion ; rosette ; feuillage
Commentaire iconographique: Décor de la cuve : les culots des huit pinacles sont sculptés des instruments de la passion, des armoiries de l'évêque et du petit écu de la ville de Rouffach ; les arcs simples retombent sur un culot un peu moins important, sculpté d'une rosette ou d'Astwerk très ajouré. Le bord de la cuve est souligné d'un remarquable travail de sculpture ajourée mêlant les branchages et les feuillages. Les huit panneaux du couvercle sont ornés de feuillages néo-gothiques en relief. La potence est ajourée de soufflets et de mouchettes inscrits dans des cercles.
Historique : La ville et le bailliage de Rouffach dépendaient de l'évêché de Strasbourg depuis Dagobert II. Les fonts baptismaux portent les armoiries de Guillaume de Honstein, évêque de Strasbourg de 1506 à 1541 ; mais selon les archives locales, les fonts dateraient de 1432 environ. Le service de l'Inventaire les date du début du 16e siècle, peut-être 1508, date figurant sur la voûte du bras sud du transept. Quant au couvercle et à la potence, ils ont été ajoutés lors de la grande campagne de restauration de l'édifice menée entre 1867 et 1900. La grille qui clôture les fonts doit dater de la même époque. On trouve quelques chaires, portant le même type de décor que la cuve baptismale, à Strasbourg (cathédrale, chaire de J. Dotzinger, 1453, Saverne...). Aucun mécanisme de ce type n'a encore été recensé en Alsace. La protection se justifie d'autant plus que les fonts baptismaux de Rouffach ne sont plus en usage depuis longtemps. Le couvercle est probablement l'œuvre du sculpteur Klein ou Klem. (il est effectivement, ainsi que la potence qui permet de le soulever, une oeuvre du sculpteur Klem de Colmar.)
Hans REINHARDT dans son article, La grande église de Rouffach, avance des idées séduisantes mais difficiles à prouver en l’état actuel des recherches : l’auteur de la chaire disparue, celui des fonts baptismaux de l’église Notre-Dame et l’auteur de la célébrissime chaire de la cathédrale de Strasbourg, la chaire du prédicateur Jean Geiler de Kaysersberg seraient une seule et même personne!
Voilà un extrait de cet article :
« Comme ailleurs, cette période de la fin du Moyen Age est celle de l'enrichissement des installations intérieures. En 1491, on décida de faire ériger une nouvelle chaire à prêcher. Elle fut exécutée l'année suivante conformément au dessin sur papier présenté par Hans Murer, prévoyant trois statuettes de pierre et des fleurs savamment modelées. Il semble permis d'identifier ce maître avec Hans Hammer qui fut chef de chantier, puis maître d'œuvre de la cathédrale de Strasbourg, de 1485 à 1490, poste qu'il quitta pour se rendre à Milan, afin d'y diriger les travaux de couronnement du dôme. Mais trouvant en rentrant la charge du maître d'œuvre de Strasbourg occupée par Jacques de Landshut, il entra au service de l'évêque qui l'occupa à Saverne et probablement aussi dans son domaine de Rouffach. C'est en 1512 seulement que Hammer put retourner à Strasbourg. On sait que c'est à lui que l'on doit la magnifique chaire de la cathédrale, élevée en 1485 ; celle qu'il fit et signa à Saverne, en 1495, est bien plus simple, mais celle de Rouffach, selon le devis, devait être d'une belle prestance. On regrettera d'autant plus sa démolition, en 1820, pour des raisons inconnues. Aurait-on toutefois conservé deux de ses œuvres ? Serait-ce à lui que l'on pourrait attribuer la lanterne, adossée à la seconde pile forte du côté nord de la nef et abritant une belle statue de la Vierge à l'Enfant en bois des environs de 1500, fortement redorée ? La haute flèche d'architecture flamboyante, finement ciselée et incurvée à son sommet, sous la courbe de la voûte, nous fait penser que Hammer a également érigé le tabernacle de la cathédrale de Strasbourg, tourelle d'une forme analogue, dont le dessin à la sanguine est conservé au Musée de l'Œuvre. Et c'est son fils Frédéric qui a sculpté le superbe tabernacle qui se dresse encore dans le chœur de Saint-Georges à Haguenau. D'autre part, on découvre dans le croisillon sud, à côté de la haute niche du XIème siècle, les anciens fonts baptismaux en grès jaune de Rouffach, entourés de façon surchargée d'arcatures flamboyantes, suspendues à l'instar de stalactites. Mais en l'absence de date et de signature on ne voudrait pas se prononcer. »
Hans Reinhart attribue donc, prudemment et avec beaucoup de réserves, la réalisation de la chaire à prêcher, la lanterne surmontant la statue de la Vierge à l’enfant ainsi que les fonts baptismaux au même artisan tailleur de pierres, sculpteur, maître d’œuvre et architecte Hans Hammer. Comment en est-il venu à imaginer que Hammer et Murer sont une même personne ?
(Hans Hammer, (*1440–1445; † Sommer 1519) maître d'oeuvre de la Cathédrale de 1510 à 1515 serait également Hans Meiger von Werde, et est aussi appelé Hammerer.)
Mais laissons les historiens d’art à leurs hypothèses et attardons-nous à admirer cette œuvre exceptionnelle. Une œuvre qui va d’ailleurs rapidement poser une nouvelle énigme : la fiche des Monuments historiques évoque des culots sculptés qui terminent les huit pinacles et qui seraient décorés. La grille de Klem, dangereusement ornée de piques et de volutes métalliques ne permettant pas de s’approcher suffisamment, il a fallu retrouver l’antique clé qui ouvre les portillons : et c’est là enfin que ces sculptures se révélèrent:
- le petit écu de la Ville de Rouffach
- les armes de l’évêque, Guillaume de Honstein
- les outils de la Passion du Christ : pince, tenaille, les trois clous de la Croix, la lance qui perça le côté du Christ, le roseau et l’éponge…
Ces sculptures ne sont absolument pas visibles pour celui qui est debout face aux fonts baptismaux, ni pour celui qui les verrait du haut de la petite estrade de pierre : pour les voir, il faut se coucher au sol, sur le dos et les chercher au-dessus de soi !
Ce qui pose une première question : quelle signification ont des sculptures que personne ne peut voir ? Le fait n’est pas rare dans nos églises de trouver lors de travaux de restauration des « images » dans des endroits totalement inaccessibles et qui ne semblent avoir été créées que pour la satisfaction de l’artiste… Mais dans ce cas, l’intention nous apparaît plutôt pédagogique : rappeler au fidèle la passion douloureuse du Christ et leur rappeler aussi, sans doute, la puissance de leur seigneur temporel, l’évêque et l’autorité de la Ville.
La seconde question est : pourquoi sur des fonts baptismaux sur lesquels on célèbre l’entrée dans la vie chrétienne, rappeler la passion du Christ et sa Mort sur la Croix ?
Quel que soit l'artiste qui l'a produite, il s'agit là d'une oeuvre majeure de la sculpture gothique, un élément unique dans le décor de notre église Notre-Dame, un trésor qui mériterait d'être mieux protégé et surtout mis en valeur, notamment par un éclairage adapté et un panneau informatif.
(Photos Gérard MICHEL)