La chaire gothique de la cathédrale de Strasbourg
image: Société des Amis de la Cathédrale de Strasbourg
Du mauvais usage des donations…
Dans un article publié le 29 septembre sous le titre La découverte de l’été : les deux tomes manuscrits de Documenta Collecta d'Appolinaire Freyburger, (1813-1901), j’avais relevé un passage de chronique sur la « petite histoire » de la paroisse dans lequel son auteur évoquait des effets indésirables inattendus de l’arrivée du chemin de fer sur la jeunesse rouffachoise…
Quelques pages plus loin, le curé Freyburger égratigne sans tendresse l’un de ses prédécesseurs, le recteur Fritsch, au sujet de l’usage malencontreux qu’il fit de l’importante donation qu’une paroissienne fortunée de Rouffach, Mme Marie-Thérèse Treyer, avait faite à l’église paroissiale. On doit notamment au recteur Fritsch la démolition de la chaire de l’église Notre-Dame, un chef d’œuvre de l’art gothique, remplacé par une chaire en stuc qui sera elle-même démolie cinquante ans plus tard, pour laisser place en 1875 à la chaire actuelle en grès rouge… Il fit également édifier, financés par le même legs, deux autels supplémentaires, en stuc également, pour lesquels il fallut entailler profondément deux piliers de la croisée du transept. Ces autels, superflus selon Appolinaire Freyburger, disparaîtront également en 1870.
Johann Theobald Michaël Fritsch, né le 16 décembre 1787, professeur au grand séminaire, curé à Rouffach et Principal du collège communal de 1819 à 1828, chanoine honoraire et curé de Saint Georges de Sélestat en 1828, décédé le 6 octobre 1867.
Testament de Madame Treyer 17 novembre 1818
Article 1er : Le trésorier de la fabrique de l’église paroissiale de Rouffach, département du Haut-Rhin, est autorisé à accepter la donation, faite au profit de la dite fabrique, par la Dame Marie Thérèse Knaepfler, veuve du sieur Rodolphe Treyer, aux termes de l’acte passé devant Kugler, notaire au dit Rouffach, le 3 décembre 1811, consistant en la rente annuelle et perpétuelle de soixante francs au capital de douze cents francs, due avec hypothèque sur une maison, par le sieur Joseph Treyer, à charge par la paroisse de faire dire tous les ans à perpétuité, une grand-messe et une messe basse pour le repos de l’âme de Rodolphe Treyer, pendant l’octave du saint Sacrement, et de distribuer, chaque fois au jour de l’anniversaire, la somme de dix francs entre les pauvres qui auront assisté au service.
Article 2ème : En cas de remboursement, le capital provenant de ladite rente, sera employé en acquisition de rentes sur l’Etat, à la diligence du Directeur général de la caisse d’amortissement.
Article 3ème : Notre Ministre des Cultes est chargé de l’exécution du présent décret, qui sera inséré au bulletin des lois
Signé Napoléon, par l’empereur, le Ministre Secrétaire d’Etat, signé : le Comte Daru
…/…
Pour copie conforme + J.P. Saurine Evêque
Ceci est mon testament mystique :
Je soussigné Marie-Thérèse Knoepfler, veuve du sieur Rodolphe Treyer en son vivant chef d’escadron, demeurant à Rouffach, ai fait mon testament ainsi qu’il suit :
- je donne et lègue à Reine Mentzer, ma cuisinière, la somme de douze cents francs qui m’est due par Séraphin Walch et Catherine Rueff, sa femme, de Rouffach.
- Je donne et lègue à Lucie Litolff, ma servante, la somme de deux cent quarante francs, à une fois payer
- Je donne et lègue à demoiselle Lugarthe (Leutgarde) Fischer, religieuse, demeurant à Rouffach, la somme de quatre cents francs à une fois payer.
- Je donne et lègue à Dame Marie Agathe Frick, épouse de Maître Jean Ignace Kugler, notaire à Rouffach, ma garde-robe et le linge qui aura servi à mon corps, ainsi que ma tabatière en or.
- Je donne et lègue à Mlle Marie-Cécile Kugler, fille des dits conjoints, ma montre d’or avec la chaîne.
- Je donne et lègue à la fabrique de l’église de Rouffach, la somme de douze cents francs à charge par elle d’un anniversaire perpétuel composé d’une grande messe et de trois messes basses.
- Je donne et lègue la somme de quatorze mille huit cents francs pour ornements, linge et autres objets nécessaires à l’église paroissiale de Rouffach ; cette somme sera remise à M. le Curé de la paroisse qui, seul, à l’exclusion de tout autre, en fera l’emploi qu’il jugera convenable, à charge par lui d’en rendre compte au Conseil de fabrique.
- Je donne et lègue à l’hospice civil de Rouffach, la somme de six mille francs à une fois payer.
- Je veux et ordonne que tout mon mobilier soit vendu, excepté l’argenterie et les vins.
- Je donne et lègue toute mon argenterie, sans en rien excepter, à l’église paroissiale de cette ville, pour être convertie en vases sacrés par M. le Curé, qui en rendra compte au conseil de fabrique.
- Je donne et lègue tous les vins que je laisserai au Sieur Gebel, vicaire à Rouffach.
- Je donne et lègue à Joseph Münchlen, menuisier à Rouffach, la somme de quatre cents francs, qui sera déduite sur ce qu’il me doit.
- Quant au surplus de ma succession, déduction faite des legs ci-dessus et de tous frais, je donne et lègue au séminaire du diocèse dont la commune de Rouffach dépend ou dépendra, à charge par le dit séminaire d’admettre et recevoir annuellement et gratuitement trois sujets intentionnés à devenir prêtres, qui seront natifs de Rouffach ; à défaut de sujets dans cette ville, ils seront pris dans les communes du canton de Rouffach sur la présentation qu’en fera M. le Curé du dit Rouffach, auquel les susdits sujets exhiberont leurs certificats de bonnes vies et mœurs qui leur auront été délivrés par les supérieurs du Séminaire et les professeurs des écoles où ils auront fait leurs études. Quant à l’entretien et à l’habillement de ces sujets, je me rapporte à cet égard à la bonté et à la délicatesse des chefs du séminaire.
- Je décharge Maître Kugler, notaire, susnommé, des sommes qu’il a touchées pour moi et qui se trouvent notées sur son carnet, comme les ayant reçues de lui.
- Enfin, je nomme pour exécuteur de mon présent testament le sieur Antoine Buecher, marchand, demeurant à Rouffach, je le prie d’accepter cette charge ainsi qu’une somme de quatre cents francs que je lui donne et lègue pour ses soins et ses peines.
Si l’un ou l’autre des sujets dont il est question dans l’article 13 ci-dessus, ou tous, venaient à sortir du séminaire et à renoncer à l’état ecclésiastique, je veux et ordonne qu’en ce cas ils fassent immédiatement état au séminaire de toutes les sommes qui auront été employées à leur entretien et à leur habillement.
Note de A. Freyburger: Copié en 1840
Les commentaires d’Appolinaire Freyburger sur l’usage, qu'il juge peu convenable, qui a été fait par le recteur Fritsch, de ces donations :
Voilà donc 14.800 francs et toute l’argenterie mis à la disposition de M. le Curé. On a parlé d’un total de trente mille francs, mais ce chiffre est évidemment exagéré, admettons un total de vingt mille francs.
D’après le n° 7, les 14.800 francs devront être employés pour achat d’ornements, linge et autres objets nécessaires à l’église paroissiale. D’après le n° 10, l’argenterie devra être convertie en vases sacrés. Le curé, seul, à l’exclusion de tout autre, en fera l’emploi qu’il jugera convenable. Il est permis de supposer que Madame Treyer s’était entendue à cet égard, avec M. le recteur Meyer ; les propos tenus par M. Meyer semblent confirmer cette supposition.
M le recteur Fritsch, qui a recueilli cette succession n’a point connu les projets de M. Meyer. Il n’a pas non plus tenu compte des termes du testament de Madame Treyer. Quel emploi fera-t-il de cet argent ?
Il y avait cinq autels à l’église paroissiale : le maître-autel, deux autels latéraux, le petit autel de la sainte Vierge vis-à-vis de la chaire et l’autel de la Croix, près du baptistère. M. le recteur Fritsch a trouvé qu’il n’y avait pas assez d’autels, que ce qu’il y avait de plus urgent à faire, c’était d’établir deux autels de plus. Il fit dont entailler, à vingt centimètres de profondeur, les deux colonnes, à l’entrée du chœur, colonnes qui forment la base des fondations du clocher. Puis il fit plaquer dans ces entailles deux autels en stuc.
Sous l’administration de M. le recteur Stoecklé, ont été exécutés les grands travaux de restauration de l’église. On avait commencé par dégager l’église extérieurement, mais les hommes de l’art ont aussi songé à dégager l’église intérieurement.
Les deux autels, si malencontreusement fourrés à l’entrée du chœur, ont dû disparaitre. Quant aux entailles faites dans les colonnes, on les a reformées en pierres de taille, non pour réparer le tort éventuel fait aux fondations du clocher, mais au moins pour satisfaire l’œil du spectateur.
Fritsch vivait encore à cette époque. Il a pu apprendre comment on avait apprécié l’emploi qu’il avait fait de la donation de Mme Treyer.
Après l’établissement des deux autels à l’entrée du chœur, M. le recteur Fritsch a cru devoir s’occuper de la restauration de la chaire. La chaire était en pierre de taille, sculptée. Elle n’avait pas été appliquée à la colonne ; c’était une extension de la colonne. C’était donc un monument remarquable, au double point de vue de la construction et de l’art. Elle avait besoin d’être réparée, restaurée. Il parait que la restauration en eût été considérable et un peu coûteuse.
Une abominable machine en stuc!
L'église Notre-Dame de Rouffach possédait une chaire à prêcher gothique en grès jaune de Rouffach, une œuvre due à Hans Murer qui la réalisa en 1492. Elle fut démolie en 1820, à la demande du curé Fritsch qui la fit remplacer par une chaire en stuc ,"collée" à l'une des colonnes. Cette chaire, que Charles GERARD qualifiera en 1872 "d'abominable machine en stuc", sera remplacée en 1875 par la chaire actuelle en grès rouge, une réalisation du sculpteur Klem de Colmar. Initialement, l’architecte MIMEY avait prévu en 1873 une chaire en bois sculpté avec abat-voix, escalier et ornements. Mais l’accord entre le curé et le maire ne put se faire : ce dernier avait chargé l’architecte WINKLER de l’élaboration et de l’exécution d’une chaire en pierre, sans consulter le curé.
Le 7 juillet 1875 le projet fut approuvé par l'Oberpresidium de Strasbourg et le 7 août les travaux furent adjugés à KLEM. Le grès rose fut imposé. Les sculptures des panneaux représentent les quatre évangélistes qui apparaissent ici pour la troisième fois dans l’église après les consoles des voûtes du chœur et l’antependium du maître autel.
Article obermundat.org du 18 septembre 2018: La chaire à prêcher gothique de l’église Notre-Dame, Hans MURER 1492 - Obermundat
Le recteur Fritsch avait un frère, prêtre, professeur au collège communal, connu à Rouffach sous le nom de Fritsch Tony : c’est cet oracle qui trancha la question concernant la chaire. A ce prix, fit-il observer à M. le Recteur, à ce prix vous pourrez avoir une chaire toute neuve. « Tu as parfaitement raison, Tony » répondit M. le Recteur. La question était tranchée, on se mit à l’œuvre. L’antique monument fut détruit et remplacé par la chaire actuelle, en stuc, qu’on colla à la colonne.
Le curé Appolinaire Freyburger termine son commentaire par cette note amère sur l'œuvre de son prédécesseur, le recteur Fritsch:
Après un pareil emploi des fonds de la donation de Mme Treyer, on est obligé de se dire que, dans l’intérêt de l’église, il eût beaucoup mieux valu que pareille donation n’eût pas eu lieu !
Gérard Michel
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