L'un des vestiges des peintures murales anciennes de la nef, côté nord: on y distingue un personnage, accoudé à un appui de fenêtre, tenant dans ses mains un phylactère... (photo G.M.)
Alexandre Joseph Straub, né le 19 mars 1825 à Strasbourg et décédé le 27 novembre 1891 dans cette même ville, est un chanoine, vicaire général, archéologue, collectionneur, historien de l’art qui a publié plusieurs ouvrages notamment en allemand et en français.
L'article qu'il a publié dans le Bulletin de la Société pour la conservation des monuments historiques d'Alsace sur les peintures anciennes découvertes dans l'église de Rouffach est un témoignage unique sur la décoration intérieure de l'église Notre-Dame de Rouffach, avant le "grand lessivage" malencontreusement entrepris de 1867 à 1869 par l’entreprise HILLER qui a effectué le décrépissage, grattage, lavage et enlèvement de peinture des murs. Les calques que préconisait l'abbé Straub ont-ils été réalisés? Si oui, où pourraient-ils bien être?
! Le texte qui suit est le texte de l'article publié par l'abbé STRAUB:
La restauration de l’église paroissiale de Rouffach est une des plus importantes qui aient été entreprises en Alsace durant ce siècle ; de grands travaux de substruction viennent d’être exécutés dans le collatéral Nord, pour donner une assiette plus solide à cette partie du monument, dont l’existence paraissait compromise ; le même travail est continué sous les tours de la façade occidentale, qui doit être achevée d’après les dessins de M. l’architecte Memès. (MIMEY?)
Comme la plupart de nos grands édifices religieux, l’église appartient à différentes époques et a été partiellement reconstruite depuis le dixième siècle jusqu’au seizième, où les travaux ont cessé, au milieu des agitations religieuses qui ont troublé la cité. Les deux absidioles latérales et le croisillon nord sont les restes d’une construction remontant au onzième, peut-être au dixième siècle, et rappelant d‘une manière frappante la structure des absides d’Eschau. Les croisées et la nef paraissent être de la fin du douzième siècle ; le dôme, qui s’élève à l’intersection de la nef et des transepts, accuse le style ogival tel qu’il s’est développé en Alsace au milieu du treizième siècle. Je mettrai près de cent ans d’intervalle entre l’achèvement du dôme et la construction du chœur et de la façade occidentale. Le jubé, depuis longtemps démoli, devait remonter à la même époque, à en juger par les élégantes cages d’escalier qui subsistent encore. Le quinzième siècle a laissé pour traces de son activité une grande et belle chapelle ajourée, en forme d’ancien tabernacle ; elle se trouve adossée contre le troisième pilier du côté nord et renferme une image de Notre-Dame de Bons Secours ; une remarquable custode pour la réserve de la Sainte Eucharistie, le baptistère et quelques travaux de sculpture aux tours qui sont restées inachevées. La date 1508, sculptée sur une clé de voûte du croisillon sud, à côté du monogramme de l’architecte, indique l’année de la reconstruction partielle de ce transept.
Toute la nef a été débarrassée de ses couches de badigeon et fait voir son appareil dans sa couleur native. Une partie des voûtes du grand vaisseau présente des peintures murales que le débadigeonnage vient de mettre au jour et dont un calque fidèle devra conserver les lignes, si leur restauration devait être jugée inopportune ; elles appartiennent à deux époque différentes : celles qui décorent la voûte occidentale ne consiste qu’en vigoureux rinceaux s’épanouissant le long des arcs ogives. Cette peinture ne me parait pas antérieure au quinzième siècle ; elle a une grande analogie avec l’ornementation que j’ai observée dans l’une des chapelles ruinées de l’ancien pèlerinage de Dusenbach, dont la construction fut commencée en 1484.
Les peintures de la voûte qui touche au dôme sont plus importantes et méritent un examen sérieux ; elles appartiennent au cycle du jugement dernier, ainsi que très probablement à la vision apocalyptique racontée par saint Jean (chap.VI, 1-9). Malheureusement, tous les sujets ne sont pas visibles. L’opération n’a-t-elle pas été terminée, ou bien une partie des peintures aurait-elle disparu depuis longtemps ? Je ne saurais le dire.
Dans la partie visible du fond de la nef, on aperçoit l’apôtre saint Jean, imberbe comme le représentent les latins, assis sur le siège traditionnel qui paraît si fréquemment dans nos miniatures ou sur les vitraux du douzième siècle ; un livre ouvert porte son nom en grande lettres onciales : S. IOHANNES. Au-dessus de lui, une étoile forme la seule décoration de cette partie de la voûte, dont la seconde moitié ne présente en ce moment aucune peinture.
Dans les parties latérales avoisinant les murs de la nef, on remarque d’un côté, un personnage nimbé, armé d’un javelot ou d’un glaive et lancé au grand galop sur un coursier blanc : c’est la Mort. Vis-à-vis, à la droite du spectateur, un homme sans vêtements, placé au milieu de petits démons, figure l’Enfer. Reste encore la personnification de la peste, de la guerre et de la famine, cachées sous le badigeon séculaire ou enlevées à une époque antérieure. Il serait d’un grand intérêt de trouver en Alsace la traduction authentique du texte si dramatique de saint Jean, qui a fourni à Albert Dürer et au grand Cornélius une des plus belles pages de leurs œuvres.
« Une voix tonnante dit : Venez et voyez. - Et je vis. Et voici un cheval blanc ; celui qui le montait avait un arc ; une couronne lui fut donnée et, vainqueur, il sortit pour vaincre. Et il sortit un cheval roux. Et il fut donné à celui qui le montait d’enlever la paix de dessus la terre et de faire que les hommes s’entretuassent, et une grande épée lui fut donnée.
Et voici un cheval noir, et son cavalier avait en main une balance… Et voici un cheval pâle ; son cavalier se nommait la Mort, et l’Enfer le suivait. Le pouvoir lui fut donné sur les quatre parties du monde pour y faire mourir par l’épée, par la faim, par la peste et par les bêtes de la terre. »
En se plaçant à l’entrée du chœur pour examiner la seconde partie de la même voûte, on aperçoit au milieu, l’archange saint Michel terrassant le dragon infernal, et dans les angles deux anges sonnant la trompette du réveil. Latéralement et à la gauche du spectateur, dans le compartiment de la voûte qui touche l’arc formeret, se dresse un ange, vêtu de l’aube et d’une ample dalmatique à large bordure, tenant d’une main les clous du Sauveur et, de l’autre, une grande croix, au centre de laquelle est fixée la couronne d’épines. Quelques vestiges seulement du personnage qui lui faisait pendant, à l’opposé, paraissent sous le badigeon.
Je n’hésite pas à considérer ces peintures comme contemporaines de la construction des voûtes ; elles remontent probablement à la fin du douzième, peut-être au commencement du treizième siècle. Le dessin, peu correct, a de l’ampleur ; les figures sont sans modelé, les couleurs paraissent en teintes plates, sans aucune trace de dorure.
C’est le second exemple en Alsace d’un jugement dernier représenté à l’entrée du sanctuaire. On sait que le jubé de la cathédrale de Strasbourg, construit par Erwin vers la fin du treizième siècle, était décoré de ce sujet, que les architectes de cette époque plaçaient volontiers sur la façade occidentale. Deux siècles plus tard, le jugement orne le sanctuaire même. Si les indications de Schaedæus sont exactes, ce sujet fut peint dans la coupole du chœur en 1486, et occupa ainsi la place qu’un artiste de la bonne époque du symbolisme chrétien eût assignée à quelque sujet relatif au sacrifice.
Fort probablement, l’église de Rouffach était peinte tout entière ; elle a même dû être repeint à diverses reprises en quelques endroits ; cela se voit dans les absidioles, dont l’examen est très difficile, à cause des échafaudages qui les obstruent. Dans celle du croisillon sud, on n’aperçoit encore que les pieds du Sauveur, reconnaissable aux stigmates ; dans celle du côté nord paraît une seconde représentation des dernières assises du Christ. Le Juge est assis sur un arc-en-ciel ; ses pieds posent sur un second arc. Plus bas, et à sa gauche, les damnés sont jetés dans l’épouvante et sont entraînés par les démons dans le gouffre béant de l’enfer. Il ne paraît presque rien du groupe des justes, qui faisait pendant à cette scène d’horreur, ni de la descente de la croix, qui me semble avoir été peinte au-dessous sur une large bande, beaucoup mieux conservée du côté de l’épître, où elle figure la mise dans le tombeau. On y distingue parfaitement la Vierge douloureuse, le sein percé d’un glaive ; saint Jean, le disciple bien-aimé, manifestant une vive douleur ; sainte Madeleine et une autre sainte femme, portant les vases remplis d’arômes, et deux figures de vieillards, sans doute Nicodème et Joseph d’Arimathie. A en juger par le faire de l’artiste, par la disposition du groupe, par la forme des costumes, toutes ces peintures appartiennent au commencement, peut-être au milieu du quinzième siècle.
Remercions M. l’architecte Memès d’avoir fait procéder avant tant de soin au débadigeonnage des voûtes et des petites absides, et attendons avec confiance la reprise de ces travaux dans le chœur. Nous verrons sans doute reparaître quelques curieuses inscriptions signalées par Schoepflin (Alsat. ill., II, 81) et disparues depuis qu’on a blanchi les murs. Peut-être une plus riche moisson nous y attend, et le sanctuaire ajoutera-t-il quelques pages à l’iconographie chrétienne, à laquelle les peintures de l’église des dominicains de Guebwiller, du chœur de Pfaffenheim, des Unterlinden de Colmar, de la nef de Rosheim, de Rosenwiller, d’Altdorf, de Walbourg et de Saint Pierre et Saint Paul, à Wissembourg ont déjà fourni de précieuses données.
4 février 1868
l’abbé STRAUB
Quelques vestiges du décor ancien, sur les voûtes du bas-côté Nord, autour d'une clé de voûte. (photo G.M.)
Importants travaux de nettoyage dans l’église, en 1603…
D’après un document figurant dans le protocole de la séance du Magistrat du 21 octobre 1603, des travaux auraient été effectués en 1603 dans l’église paroissiale de Rouffach :
- aussputzen : nettoyage
- weissen : blanchiment au badigeon
- bestechen : crépissage
par un maître ou un maçon, Meister oder Maurer, dans la nef et dans le chœur. Au cours de ces travaux, l’autel situé dans le chœur (le maître-autel) a été gravement endommagé : geprochen et verfesslet (zefetzen ?). La question de pose de savoir qui va entreprendre les réparations et surtout qui va en assumer les frais : le Magistrat ou le Grand Bailli, Eberhard von Manderscheid-Blankenheim ?
Dans son article, l’abbé STRAUB fait mention de peintures murales découvertes dans l’église, qu’il date du commencement du treizième siècle et d’autres qu’il date de la première et seconde moitié du quinzième siècle.
En 1869, M.GERARD qui entretient le comité des travaux de restauration à l’église de Rouffach, note la découverte sous le badigeon de plusieurs voûtes de quelques restes de peinture…
Vestiges de rinceaux peints autour de l'autel de la Vierge (photo G.M.)
Qu’est-ce qui a été nettoyé en 1603 et qu’est-ce qui reste encore de ces peintures dans la seconde moitié du dix-neuvième siècle, au moment de la visite du chanoine Straub? Avait-il connaissance des travaux de 1603 à ce moment-là ?
Nous proposons ci-dessous la transcription de ce document dans la version de Th.Walter, dans Urkunden Buch der Pfarrei Rufach :
Als von wegen des Ausputzens und Weissen oder Bestechen der alhiesigen Pfarrkirchen und Chors, der Altar im Chor durch die Rüestungen übel geprochen und verfesslet, und aber unbewüst, ob die Verbesserung desselben im Chor und Erhaltung desselben entweder unserm gd. Fürsten und Herrn, als Herrn Collatoren, oder der Statt alhie zustehe, so ist dafür gehalten, damit die Statt nichts ungewohnlichs auf sich lege oder Ihren hochf. Gn. fürgreifen, das man es Iren gn. Herrn Statthalter oder, dero jetzigen Verreissens, dem Ambtschaffner anzuzeigen und alda die reparation zu suechen, dan Iro gn. herr Graf Eberhardt, so die Ausseuberung der Kirchen in dero Kosten anstellen lassen, splche Verpesserung des verfessleten Altars beschwerlich bekosten und thuen lassen werde, sonsten da es keins Ort verfahen wolle, werde es die Statt woll verschaffen müssen, dann es ja einmhall gemacht sein müsse. Sonsten daneben einem ersahmen Rhat nit zuwider, das man dem Meister oder Maurer, so die Kirch geweisset, theils beschehener Vertröstung nach, weilen er Tags ein halben Batzen mehr begert, weder Graf Eberhardt bewilligt, so den Tag fünfthalben Batzen geben, dafür ein Gulden vier, fünf oder sechs verehren möchte.
21 octobre 1603 A.M.R. BB 28
Gérard MICHEL juin 2018