A la suite de l’article paru dans obermundat.org sur Les fonts baptismaux de l’église Notre-Dame, Monsieur Bernard Guiot, historien et membre actif de l’Espace Histoire du Centre hospitalier de Rouffach m’a informé d’un fait divers survenu en 1842, dont ont été victime ces fonts baptismaux. Il avait découvert l'anecdote il y a quelques années, au cours d'une recherche aux archives municipales de Rouffach. Le dossier de l'affaire comporte trois pièces, deux lettres et un court exposé de quelques pages.
La première de ces pièces est une lettre du 3 décembre 1842, émanant de l’architecte du Département. Dans ce courrier, il soumet au Maire de Rouffach la facture du Sieur Escudé, sculpteur à Colmar pour des travaux exécutés à Rouffach pour la restauration partielle du baptistère de l’église Notre Dame.
La maladresse d'un "pauvre diable"
Le sculpteur précise qu’il ne réclame pas les honoraires qui lui seraient dus pour ses déplacements et frais de voyage, pour ne pas alourdir de 24 Francs le coût de la restauration, environ 500 Francs, qui « résulte de l’imprudent essai de force » d’un « pauvre diable »
La seconde pièce nous apprend que le pauvre diable dont il est question s’appelle Jean Nicolas Grand Claude, natif de Saint-Maurice dans le canton de Ramont-Champ, arrondissement de Remiremont, département des Vosges. Il est le fils de Jean-Dominique Grand-Claude, marchand de comestibles. Le jeune homme a été amené à la Mairie de Rouffach à quatorze heures, conduit par Deubel, membre du Conseil municipal, aubergiste et gourmet. Deubel annonce au Maire que ce Grand-Claude avait été vu vers midi dans l’église paroissiale où il était occupé à « heurter la pierre des fonts baptismaux. ». Grand-Claude ne fait aucune difficulté pour avouer sa faute en présence de M. Freyburger, vicaire administrateur de l’église, de Joseph Zimmermann Sacristain, Michel Moeglin menuisier et Thiébaut Sommereysen cloutier. Il assure qu’il n’avait aucune intention de mal faire que c’était non la méchanceté mais « la curiosité de connaître la construction du monument qui l’a poussé à le toucher et qu’aussitôt un morceau de la ciselure lui est restée dans les mains »
Le père ainsi que son fils sont connus pour être d’une grande probité et le père, Jean-Dominique, se porte caution du fils. Ils s’engagent tous les deux solidairement à faire réparer le dommage causé aux fonts baptismaux par l’homme de l’art qu’il plaira à Monsieur le Maire de choisir.
L’affaire est remontée jusqu’à Paris comme en témoigne un exposé daté du 3 décembre, signé par L. Lejeune, architecte du département, également rédacteur d’un rapport adressé au Ministre de l’Intérieur.
Les choses ont-elles changé, en un siècle et demi?
Cet exposé, la troisième pièce, a des accents qui conviennent parfaitement à la situation actuelle de cette œuvre exceptionnelle dans notre église, et il nous a semblé intéressant de reproduire in extenso le courrier de L.Lejeune:
Dans diverses circonstances et notamment à l’occasion du projet de restauration de l’église paroissiale de la Ville de Rouffach, dans un rapport adressé à Monsieur le Ministre de l’Intérieur, j’ai signalé comme un remarquable objet d’art du quinzième siècle, la pierre des fonts baptismaux placé dans la branche de la croisée de droite de notre église. En effet, le bon goût et la délicatesse d’exécution des ornements, ainsi que la forme de ce petit monolithe en font assurément une des plus jolies choses de notre département.
Une oeuvre inestimable
Ces objets deviennent rares maintenant et ceux qui ont le bonheur d’en posséder doivent prendre à cœur d’en assurer la conservation : lé pénurie de notre époque est un motif de plus pour nous en imposer l’obligation. Il faut bien en convenir, nous ne faisons rien qui soit digne d’intéresser ceux qui nous succéderont : nos prédécesseurs ont écrit leur histoire en caractère durable sur la pierre et cette histoire nous est parvenue en traversant les siècles, mais nous, c’est sur le sable que nous écrivons la nôtre et un souffle suffira pour l’effacer. Si rien ne doit marquer notre passage, conservons au moins avec un respect religieux les précieux objets que nous avons reçus en héritage et dépositaires consciencieux de ces trésors de l’art, mettons tous nos soins pour en assurer la conservation, afin de pouvoir les transmettre à ceux qui doivent nous remplacer.
Une urgence en 1842... et aujourd'hui?
Cette pierre échappée comme par miracle aux désastres d’une époque fatale à tant et de si belles choses vous est restée, mais mutilée, et l’état d’abandon dans lequel vous l’avez laissée trop longtemps, s’il est continué, attesterait le peu d’intérêt que vous portiez à ce monument. Une très faible dépense peut le rendre, sinon à son état primitif, du moins le mettre dans un complet état de conservation. Pour cela, il devient urgent de réparer les parties mutilées en incrustant, comme je viens de le faire exécuter, des morceaux ans la masse pour être ciselés en détail.
La partie qui vient tout récemment d’être rétablie, nous offre une garantie certaine pour la réussite de cette restauration. Et ceci achevé, il conviendra d’enceindre le Baptissaire (sic) d’une grille en fonte dans le style ogival pour le préserver contre les expérimentations des curieux visiteurs tentés de faire essai de leurs forces sur ses délicates parties comme cela vient d’avoir lieu dernièrement.
L. Lejeune, architecte du département
La grille actuelle n’est pas en fonte et elle ne sera posée que bien plus tard par Joseph Klem de Colmar, en même temps qu’il réalisera le couvercle de la cuve baptismale. Quant aux restaurations demandées par l’architecte du Département, elles n’ont apparemment pas été réalisées. Les mutilations aux fines dentelles qui ornent l’œuvre, se sont poursuivies et continuent, jusqu’à très récemment, comme en témoigne une pièce cassée dissimulée maladroitement dans les entrelacs de rameaux et de branchages de pierre blonde des carrières de Rouffach.
Curieusement, la fureur destructrice des révolutionnaires de Rouffach a épargné cette oeuvre en 1793... l'imbécillité de quelques vandales et l'indifférence se chargeront d'en venir à bout...
Gérard Michel octobre 2018
Merci Bernard Guiot, qui m’avez permis de découvrir cet épisode malencontreux de l’histoire de nos fonts baptismaux.