La maison d'accueil du Club Vosgien de Rouffach, au lieu-dit Holzmacheracker (Wintzfelden)
Au hasard de recherches aux archives municipales de Rouffach, je suis tombé sur un épais dossier concernant les maisons forestières de Rouffach : ces documents détaillent des constructions, reconstructions ou agrandissements de 6 maisons « forestales » que la Ville possédait dans ses forêts, un domaine forestier considérable (Rouffach, possède aujourd'hui 1432 hectares de forêt, répartis entre montagne et plaine):
- celle la forêt basse Niederwald,
- celle du Ritzenthal,
- celle du Ruffenaeckerlé (Wasserbourg),
- celle du Laubeck (au Frenckelbach Soultzbach),
- celle du Dornensihl
- celle du Holzmacheracker (Wintzfelden)…
- 1. Construction, reconstruction, aménagements des maisons forestières de Rouffach
- 2. Un dossier à étudier, avis aux amateurs !
- 3. Une affaire fumeuse: la construction de la maison forestière du Holzmacheracker
- 4. On démolit tout et on recommence... avec le même entrepreneur!
- 5. L'architecte Louis Petin est renvoyé sans indemnités et rayé de la liste des architectes communaux...
- 6. Nouveaux travaux d’agrandissement
- 7. Des questions en suspens
- 8. Pièces jointes.
1. Construction, reconstruction, aménagements des maisons forestières de Rouffach
Tous ces travaux, qui représentent une dépense considérable pour la Ville, ont été réalisés dans la première moitié du XIXème siècle. Il semblerait que les installations étaient arrivées à un état de vétusté telle qu’elles étaient inhabitables et irréparables. Il était urgent de remettre en état ces maisons afin de pouvoir y loger des « bangards » ou gardes forestiers :
" … afin de nous mettre à même d’y loger un garde forestal, qui, dans ce moment, devient d’autant plus indispensable que cette forêt, faute de logement pour le garde est, auqu’un peut dire, abandonnée à un pillage affreux et qui finira par être ruinée si l’on n’y prête un prompt remède par le moyen d’une surveillance active et journalière…"
le 20 Messidor, 3ème année de la République (8 juillet 1795) A.M.R. M1 M 33
2. Un dossier à étudier, avis aux amateurs !
Il semblerait donc qu’après les troubles révolutionnaires, la surveillance des forêts se soit considérablement relâchée et qu’une reprise en main énergique s’imposait pour préserver une ressource essentielle pour la ville.
Les documents conservés dans ce dossier sont pour la plupart assez complets et permettraient à un chercheur intéressé de réaliser un travail complet sur ces maisons : on y trouve les études préparatoires, les cahiers de charge, les devis explicatifs, les plans côtés, en couleur et joliment aquarellés !, les litiges, etc. En plus ces documents sont tous en français, parfaitement lisibles. Les plus complets concernent le Holtzmacheracker et le Ritzenthal : avis aux amateurs !
3. Une affaire fumeuse: la construction de la maison forestière du Holzmacheracker
En parcourant les pages concernant le Holzmacheracker, l’actuelle maison d’accueil du Club Vosgien de Rouffach, je me suis rapidement rendu compte que l’affaire n’avait pas été très régulière en son temps…ce qui la rendait d'autant plus intéressante aujourd'hui!
Le 9 avril 1834, le Maire de Rouffach adresse au Préfet une demande d’autorisation de délibérer sur les plans et devis relatifs à la construction d’une maison forestière dans le canton dit Holzmacheracker.
Plan L.Petin 1836
le 6 avril 1836 : tout est chiffré dans les sous-détails des principaux prix
le 14 novembre 1836, le maire donne l’autorisation d’extraire des pierres au canton du Holzmacheracker pour être employées à la construction de la maison forestière.
le 22 novembre 1836, le maire accorde l’autorisation de défricher 20 ares de taillis de chêne pour la construction de la maison forestière
8 avril 1837 : le conseil municipal délibère pour que la maison forestière de Bletzmacheracker (sic) soit élevée d’un étage et que l’escalier soit changé de place
Or, le 11 août 1834 le préfet avait déjà refusé ce projet : « … je pense que la maison forestière telle que le comporte le devis suffit à sa destination, je ne puis donc approuver le projet qui m’a été soumis… »
Le préfet, dans un courrier au Maire de la ville de Rouffach refuse à nouveau la modification au plan initial : « …je ne puis donc approuver le projet qui m’a été soumis… ». La suite de la lettre est surprenante : « … de l’examen du devis supplémentaire, il me semble que l’étage dont on demande la construction est déjà édifié… » Le gros-oeuvre du bâtiment était quasi terminé et hors d'eau! Le préfet a flairé la manœuvre de la Ville et laisse entendre qu’il pourrait y avoir des sanctions, à l’encontre de l’architecte et des conseillers municipaux chargés de la surveillance des travaux !
Les travaux avaient été attribués le 17 mai 1836 par adjudication à Storck, entrepreneur de travaux publics de Rouffach, pour la construction de la maison forestière, d’après un projet de M. Louis Petin, architecte, de Colmar.
Les travaux commencent peu après l’adjudication en juin 1836.
Le 8 avril 1837 le préfet refuse (pour la seconde fois) le rehaussement de la bâtisse, qui, à ce moment-là avait déjà été réalisé !
Le 11 novembre 1837 : Monsieur Griois, architecte du département, constate dans son rapport qu’à l’exception des murs de fondation, de la cave et de la charpente, le bâtiment, déjà sous toit, est généralement mal construit et en plusieurs points n’est pas conforme aux prescriptions du projet qui a servi de base à l’adjudication.
Monsieur L. Petin, (l’architecte), avait exigé de l’entrepreneur qu’il modifiât le projet, il aurait reçu des matériaux défectueux et il n’a presque jamais assisté aux travaux dont la direction lui était confiée !
4. On démolit tout et on recommence... avec le même entrepreneur!
Le 23 avril 1938 : dans une lettre au maire de Rouffach, le préfet du Haut-Rhin signale « … l’état défectueux dans lequel se trouve la construction d’une maison forestière au canton dit Holzmacheracker de la forêt communale de Rouffach.. » L’état de la construction ne permet pas de recevoir les travaux et le préfet décide qu’à l’exception des murs de fondation et de la cave, la construction sera démolie pour être reprise sous la direction d’un architecte que la Mairie devra désigner elle-même, en remplacement de Monsieur L. Petin… »
5. L'architecte Louis Petin est renvoyé sans indemnités et rayé de la liste des architectes communaux...
L’architecte, Louis Petin est renvoyé, sans indemnité et sera même rayé de la liste des architectes communaux. Le nouvel architecte, l’architecte du département Griois, fera démolir les travaux qui lui paraissent défectueux ou contraires aux prescriptions pour être refaits, solidement et conformes au projet initial, tant sur les dimensions que dans la disposition intérieure du bâtiment.
Le 5 décembre 1839, tous les travaux seront terminés, sauf la peinture des portes et des fenêtres. Le 13 décembre 1839 est procédé à la réception des travaux pour la conduite d’une source d’eau dans la forêt et la construction d’une fontaine.
6. Nouveaux travaux d’agrandissement
En décembre 1840, la commune de Rouffach présente un devis pour la construction d’un bâtiment de service, avec bûcher, grenier à foin, buanderie et étable, à la suite de la maison forestale.
Projet pour la construction d'un bâtiment de service, Griois 1839
Le 22 juillet 1846 : la commune de Rouffach dépose un projet d’agrandissement de 5 mètres, à la face latérale sud, avec le même largeur et hauteur que la maison existante. On augmentera également, de la même longueur, les dimensions de la cave.
Projet d'agrandissement 1846
7. Des questions en suspens
De nombreuses questions s’élèvent après la lecture des différents courriers que contient le dossier et dont nous avons transcrit quatre exemples en pièces annexe :
- qui est cet entrepreneur de Rouffach, rapidement innocenté par un maire très complaisante qui le présente comme "un pauvre diable" manipulé par l’architecte Petin ? Qu’est-ce qui lui vaut ces protections particulières dont ne bénéficiera pas l’architecte Petin ?
- qui est cet architecte Griois, qui décrète qu’un bâtiment qui vient d’être construit, par un artisan de qualité consciencieux, selon les dires du Maire, devait être démoli pour être reconstruit ? Et qui, pour la reconstruction, ne voit aucune objection à ce que soit le même entrepreneur qui réalise la reconstruction ?
- pour quelles raisons avait-on décidé (avec insistance, par deux fois) de rehausser d’un étage un bâtiment qui n’était finalement destiné qu’à accueillir un garde forestier et sa famille ?
- pour quelles raisons a-t-on passé outre la décision du préfet ?
- que peut bien signifier la phrase "D’ailleurs qui (sic) avait-il à espérer d’une administration frappé d’anarchie." que l'on trouve dans la lettre du maire, pièce 3?
Nul doute qu’une lecture attentive de toutes les pièces du dossier permettra de répondre partiellement à ces questions. Il faudrait également mettre en parallèle les pièces de ce dossier avec d’autres conservées aux archives, en particulier les protocoles des réunions des conseils municipaux.
Peut-être un lecteur, chercheur, aura-t-il envie de compléter mon travail et publier une étude complète ?
Gérard Michel 2 décembre 2018
8. Pièces jointes.
8.1. Pièce 1.
Colmar le 8 avril 1837
Monsieur le Maire
Par une délibération en date du 13 novembre dernier (1836), le Conseil municipal de votre commune demande que la maison forestière de Bletzmacheracker (sic) soit élevée d’un étage et que l’escalier soit changé de place.
Le conseil municipal a oublié qu’en 1834, lorsqu’il fut question de la construction de cette maison forestière, ce même étage fut demandé et que sur les observations énoncées en ma lettre du 11 août 1834, le projet fut abandonné. (voir le procès-verbal de la séance du 12 octobre 1834.
Les motifs qui avaient déterminé mon refus sont encore les mêmes, aujourd’hui comme alors ; je pense que la maison forestière telle que le comporte le devis, suffit à sa destination, je ne puis donc approuver le projet qui m’a été soumis.
J’ajouterai que de l’examen du devis supplémentaire il me paraît résulter que l’étage dont on demande la construction est déjà édifié, car il est difficile de croire qu’on eut commencé la construction d’une maison en juin 1836 par exemple un mois après l’adjudication et qu’on eut suspendu les travaux au moment de la pose des combles pour rédiger un devis supplémentaire qui n’aurait été présenté que le 3 janvier dernier.
Je désire me tromper, mais si les choses étaient telles que je le présume, l’architecte et les conseillers municipaux chargés de la surveillance des travaux auraient encouru l’application des dispositions prescrites par l’article 23 de mon arrêté du 20 mai 1836.
Je vous retourne, monsieur le Maire, les diverses pièces que vous m’avez transmises en vous priant de me faire connaître à quel point en sont les travaux de cette maison.
…/…
Pour le préfet du Haut-Rhin empêché, le Conseiller de Préfecture
8.2. Pièce 2.
Colmar, 23 avril 1838
Monsieur le Maire
L’état défectueux dans lequel se trouve la construction d’une maison forestière au canton dit Holtzmacheracker de la forêt communale de Rouffach ne permettant pas de recevoir les travaux, j’ai décidé qu’à l’exception des murs de fondation et de la cave, la construction sera démolie pour être reprise sous la direction d’un architecte que je vous prie de désigner vous-même, en remplacement de M. L. Petin.
Je joins ici une expédition de mon arrêté de ce jour qui vous charge spécialement d’instituer une régie au compte du Sieur Storck, dans le cas où il ne consentirait pas à suivre ponctuellement les ordres qui lui seront donnés par le nouvel architecte, tant pour la réparation des malfaçons que pour la suite de la construction d’après le projet que j’ai approuvé…
Je vous prie de suspendre tout paiement à l’entrepreneur jusqu’à nouvel ordre et de m’adresser un état présentant par ordre de date, la situation des sommes qui ont été mandatées en son nom, ainsi que celles qui auraient déjà été payées à M. Petin. La négligence apportée par ce dernier dans la direction des travaux nécessitera d’ailleurs la suppression totale de ses honoraires, vous voudriez donc bien ne délivrer aucun mandat en son nom, et lui donner avis du retrait de la direction des travaux dont il s’agit.
…/…
Le préfet du Haut-Rhin
8.3. Pièce 3.
29 mars (ou mai) 1838
Monsieur le préfet
En conséquence de la lettre que vous m’avez fait l’honneur de m’adresser le 21 du courant, j’ai soumis au conseil municipal de Rouffach les rapports de M.M.Griois et Petin concernant la construction d’une maison forestière dans les forêts reculées de Rouffach, en engageant le Conseil à proposer les modifications dont cette construction est susceptible. Sa délibération qui est ci-jointe en double expédition …. est accompagnée des rapports ci-dessus ainsi que d’une lettre écrite que l’entrepreneur à l’administration locale de Rouffach indiquent (?) les modifications que le Conseil désire.
D’après les informations les plus minutieuses que j’ai prises sur toute cette affaire, j’ai la conviction que l’entrepreneur est plutôt malheureux que coupable, que tiraillé en tous sens par des hommes qui ne connaissent rien au métier où ils prétendaient commander, n’avait que le choix des fautes, il serait donc cruel de faire peser sur ce malheureux père de famille la responsabilité d’une bâtisse dont le plan et le devis était interprété en tous sens.
D’ailleurs qui avait-il à espérer d’une administration frappé d’anarchie?
Pour donc en finir pour une bonne fois, je vous prie de bien vouloir approuver la délibération du Conseil municipal en pardonnant à l’entrepreneur qui, comme j’ai l’honneur de vous le dire est plus malheureux que coupable.
C’est au surplus un ouvrier qui s’est toujours recommandé à la ville par ses antécédents.
Je conviens qu’il y a désordre, que les intérêts de la ville sont lésés sous quelques rapports, mais encore une fois il en faut finir et encore une fois l’entrepreneur n’est pas coupable, il se croit même fondé de provoquer une contre-expertise.
requête non signée.
8.4. Pièce 4.
Rouffach le 29 mars (ou mai) 1838 de la même main que la lettre précédente.
Monsieur le maire
La position fâcheuse et même malheureuse dans laquelle je me trouve placé par suite de la construction que j’ai entreprise de la maison forestière dans le canton Holtzmacheracker des forêts communales reculées de Rouffach, me force à recourir à la justice de l’administration locale de cette ville.
J’avais entrepris cette construction dans la bonne foi que m’avait inspiré le traité ainsi que le devis qui en devait être la base, j’ai pris mes mesures en conséquence et je ne devais pas m’attendre qu’au milieu de mes travaux je serais arrêté par le nouveau plan d’agrandir la maison par un étage. Cet incident a dérangé tous mes travaux, il m’a d’abord arrêté dans la bâtisse, j’étais obligé d’y faire des modifications le tout par ordre car quant à moi j’étais intéressé à me conformer au plan primitif. Le plan de surmonter la maison d’un étage ayant éprouvé des difficultés de la part de l’administration supérieure, je reçus ordre de surseoir aux constructions depuis le mois de juillet jusqu’au mois de septembre et pendant tout le temps j’ai eu le chagrin de voir mes matériaux sur place tout préparés sans pouvoir les employer.
De telles entraves ont dû arrêter mes travaux, me porter un grand préjudice, déranger complètement mes calculs et me mettre dans une fausse position, attendu que d’un côté l’administration supérieure s’opposait aux modifications projetées et que de l’autre on les exigeait de ma part.
J’ai donc dû travailler dans l’incertitude, mais quelque critique que fut ma position, j’ai fait mes travaux de manière à en garantir la solidité. Je réponds de celle des murs, la charpenterie est à l’abri de toute critique, il peut se présenter tout au plus quelques légers défauts qui proviennent de ce que j’avais été obligé de m’écarter du premier plan et de faire dans son exécution des corrections qui ne cadraient pas avec ce plan.
En somme, je me suis conformé dans cette exécution aux indications de l’architecte qui sans doute n’a pas mis dans ses visites l’assiduité convenable et mal guidé les commissions de surveillance.
Je suis donc dans toute l’affaire la victime de circonstances auxquelles j’étais loin de m’attendre et qui étaient telles que je n’osais ni ne pouvais me soustraire.
Voilà, Monsieur le Maire, la vérité. L’administration locale est sans doute trop juste pour ne point s’en pénétrer et pour accabler un entrepreneur de bonne foi qui est père d’une nombreuse famille de la responsabilité que le rapport de M. l’architecte du département ainsi que celui de l’architecte directeur qui en est le provocateur lui impose qu’il peut même à cet égard requérir avec confiance une contre-visite.
Pour terminer l’éternelle bâtisse dont il a eu le malheur de se charger, il sollicite de l’administration locale l’autorisation de l’achever dans son ensemble d’après le plan et devis qui seront jugés nécessaires pour conduire à sa fin la construction et ce aux prix stipulés par le traité du 17 mai 1836.
L’entrepreneur se trouve intéressé à terminer le plus promptement possible cette bâtisse qui sans doute n’éprouvera plus d’ultérieures entraves et à être mis à couvert des fonds qu’il a déjà employés.
sans signature