Ci-dessus: la chouette, figure de ceux qui fuient la lumière de la parole divine...
(façade ouest de l'église Notre-Dame, photo g.m.)
Au touriste qui demande pourquoi la tour sud de l’église Notre Dame de Rouffach, celle de droite, est restée inachevée, il lui est invariablement répondu que les travaux avaient été interrompus par la guerre de 1870…Ce qui n’est que partiellement exact puisque les travaux ont repris au printemps 1872 et se poursuivront sans interruption jusqu’à la réception définitive, en 1879.
Mais il sera laissé à une autre génération le soin de faire élever la deuxième tour de la façade ouest et d’achever le monument, en coiffant les deux tours de leurs flèches…
Le cahier des charges établi par l’architecte parisien Maximilien MIMEY, le 17 avril 1866, définissait dans son premier article les travaux qui devaient être entrepris :
- la restauration de l’église,
- l’achèvement de la façade ouest sans flèches
- la démolition et la reconstruction de la flèche centrale.
Des fondations en mauvais état, reprises en urgence...
Le chantier est ouvert en 1867 par d’importants travaux de terrassement pour la reprise des fondations. Des sondages avaient montré leur mauvais état, surtout pour la tour nord et la flèche centrale. Il s’avéra qu’il était impossible d’établir sur les fondations existantes une tour une fois plus haute que celle existante du côté nord. La nappe phréatique se situait alors, en juin 1867, à 2 mètres 90 (en janvier 1869 elle montera à 1 mètre 70). Pour permettre ces travaux, il sera nécessaire de creuser des fosses autour des fondations existantes, de les étayer et les rendre étanches. Des étayages conséquents sont nécessaires pour maintenir les superstructures fragilisées à leur base par ces travaux et en assurer l’équilibre. Les conditions de travail sont extrêmement difficiles, les ouvriers travaillent dans l’eau, même de nuit et il fait froid.
Du schnaps pour soutenir le moral... et réchauffer les corps!
Pour soutenir le moral, on sert des casse-croûtes au fromage et du vin. Du 1er septembre au 1er novembre 1867 on en consomme pour 520 Fr. En novembre ce sont 554 litres de vin et 21 litres de schnaps qui réchauffent les ouvriers et en décembre 413 litres de vin et 16 litres de schnaps. Le tout fourni par le café-hôtel POINTET, A l'ours noir, voisin du chantier.
Démolition de la tour nord... et reconstruction
Avant de surélever la tour nord, il a été nécessaire de démolir complètement et de reconstruire ensuite tout l’angle nord-ouest de la tour de gauche, puis de creuser des fosses pour dégager les anciennes fondations, les démolir, en évacuer les gravats et en réaliser de nouvelles…. en ayant pris soin au préalable d’étayer la partie restante, pour éviter qu’elle ne s’effondre…
La tour sera reconstruite, sur une assise solide cette fois, en partie avec les pierres récupérées lors de la démolition, le grès jaune des carrières de Rouffach. Du grès de Phalsbourg et de Lutzelbourg sera utilisé pour l’élévation du second étage mais également pour la reconstruction des parties démolies de l’étage inférieur, où leur teinte rouge intrigue l’observateur attentif qui s’étonne de son utilisation à Rouffach.
Façade ouest de Notre-Dame de Rouffach (photo Wikipedia)
Pose de la première pierre…
On posa la première pierre de la tour Nord, le 14 novembre. Le sculpteur rouffachois Joseph BARTA fut chargé de livrer la pierre d’angle avec une inscription gravée et peinte comportant 306 lettres et un plan de l’église. On fit sonner les cloches, le conseil municipal était là au grand complet avec tout le clergé, et la musique des sapeurs-pompiers fit entendre les plus beaux morceaux de son répertoire. Presque toute la population de Rouffach était présente…
Qu’est-il advenu de cette pierre ?
19 juillet 1870, déclaration de guerre...
En 1870, les travaux sont troublés à la suite de la déclaration de guerre, le 19 juillet. La guerre aura pour conséquence un renchérissement important sur le coût de la matière première et de la main d’œuvre, mais elle n'interrompit les travaux que pour une courte durée.
La construction de la tour sud ajournée, indéfiniment…
En juillet 1871, le maire Heimburger suggéra que pour réduire les dépenses et « concilier l’intérêt majeur de la caisse municipale et le grand intérêt attaché à l’église comme monument historique » il serait judicieux de n’élever qu’une seule tour de la façade et d’ajourner « indéfiniment » la construction de la seconde… Il faut rappeler que suite à la nécessité de reprendre les fondations, le devis initial qui avait été de 419.712 Francs s’était vu augmenté de 305.106 Francs et la suppression de l’une des tours de façade permettait de faire une économie de 100.000 francs. Il sera laissé à une autre génération le soin de faire élever la deuxième tour de la façade ouest et d’achever le monument…
Le chantier sera rouvert le 1er avril 1872. En août 1873, Maxililien Mimey, l’architecte parisien chargé des travaux, appelé à Lima, au Pérou, pour la construction d’un pénitencier, démissionne de ses fonctions.
Un évènement important marque l’année 1873 : le jour de Noël, à cinq heures du matin, est célébrée la première messe dans l’église nouvellement consacrée. Le culte était célébré de 1866 à 1873 dans l’ancienne église des Récollets.
Ces travaux ne touchaient pas seulement l’extérieur de l’église. La démolition de la tour nord jusqu’à ses fondations, leur curetage et leur consolidation entraînera également d’importants travaux de terrassement à l’intérieur.
L’orgue installé dans l’église en 1855 par les ateliers Claude Ignace Callinet, démonté pour les travaux, sera réinstallé sur sa nouvelle tribune construite en 1877. Dans le même temps, la croisée du transept faisait l’objet d’importants travaux de terrassement pour refaire les fondations d’un des piliers soutenant la tour centrale octogonale. Au cours de ces travaux, le revêtement du sol de l’église a été déposé et ne sera que partiellement réutilisé et c’est vraisemblablement à cette occasion que disparaîtront les sépultures et les dalles qui les recouvraient.
La réception définitive des travaux est faite en 1879, par l’architecte Winckler, de Strasbourg.
Ces travaux avaient été rendus nécessaires par l'état général du bâtiment, victime d'un entretien négligé, et dégradé par les infiltrations. Il aura tout de même tenu trois siècles, sans intervention majeure sur sa structure, mais il était urgent d'intervenir rapidement, sous peine de perdre l'édifice.
Les traces laissées par ce gigantesque chantier qui aura duré 13 ans, ne faciliteront pas la tâche des archéologues des générations futures qui fouilleront un jour le sous-sol de l’église à la recherche des traces, définitivement brouillées, des fondations des édifices antérieurs…
L'art et la maîtrise des restaurateurs d'aujourd'hui ne permettront bien sûr pas de retrouver les peintures murales du quinzième siècle soigneusement lessivées, ni les vitraux du chœur du 13ème siècle, et encore moins de faire renaître le décor sculpté du portail ouest saccagé en 1793... Mais ils nous rendront une église accueillante et lumineuse, invitant, dans la douce lumière du grès blond des carrières du Strangenberg, à découvrir sa beauté et ses multiples richesses.
Gérard Michel