l'Enfer, tympan du portail occidental de l'église abbatiale Sainte Foy de Conques (Aveyron)
La mort est une préoccupation constante de l’homme du Moyen-Âge, confronté aux maladies, aux épidémies, à la famine, aux guerres… Et par-dessus la mort à laquelle le quotidien finit par l’habituer, les questions sur sa vie dans l’au-delà le hantent : les images du jugement dernier, des flammes de l’enfer, de la gueule dévorante du démon, se rappellent à lui dans les sculptures des tympans des églises, les chapiteaux, les fresques, et les sermons menaçants des prêtres en chaire. Après une vie décrite comme une vallée de larmes, sauver son âme est le but ultime: mais le croyant ne peut aspirer au salut, à la paix et au repos éternels que s’il vit selon les règles divines et respecte les préceptes que lui enseigne l'Eglise.
amour de Dieu, piété ou peur devant un au-delà annoncé effroyable?
La charité, les dons, les aumônes, envers les pauvres, les prêtres ou les moines et les églises, est la première de ces règles. Donner aux pauvres puisque le pauvre est le véhicule du salut du riche : « Dieu aurait pu faire tous les hommes riches, mais il voulut qu’il y ait des pauvres en ce monde, afin que les riches aient une occasion de racheter leurs péchés… », est-il écrit dans une Vie de Saint Eloi, du premier quart du VIIIème siècle.
L’autre obligation est la prière : mais prier pour soi-même ne suffit pas, un intercesseur est nécessaire. Ce sont les prêtres et les religieux, représentants de Dieu, qui exercent cet office et établissent le lien.
l'argent, le nerf du salut!
C’est ainsi qu’on assiste à une accumulation quasi obsessionnelle de prières et de messes pour le salut des âmes des défunts et à la multiplication des dispositions testamentaires réglant l’élection de la sépulture, le déroulement des funérailles mais aussi la célébration, à perpétuité, de messes anniversaires, Vigiles, Miserere... à grand renfort de legs, de donations, de constitutions de rentes qui garantissent la prospérité des églises, des cathédrales et des monastères, à défaut de garantir le salut de l'âme des donateurs...
chartes et obituaires...
Toutes ces dispositions sont consignées dans des chartes munies de sceaux qui en officialisent l’authenticité et garantissent leur exécution. De plus, elles sont inscrites dans les obituaires. Il s’agit en effet de rappeler aux prêtres, chapelains et religieux des couvents, l’obligation qui leur est faite de célébrer, eux et leurs successeurs, à perpétuité, aux dates anniversaires des décès, les offices pour lesquels leur ont été légués un capital ou des biens dont les rentes doivent couvrir les frais afférents à ces offices : appointements de l’officiant, des servants d’autel, de l’instituteur et des écoliers chantres, des sonneurs de cloches, du sacristain, sans oublier les frais pour les cierges.
à perpétuité, c'est combien de temps?
On est étonné aujourd’hui par la foi que nos anciens avaient dans la notion de perpétuité : rentes perpétuelles, concessions à perpétuité, ils ne s’imaginaient pas que le monde changerait un jour et que toutes les dispositions auxquelles ils avaient une confiance absolue puissent être un jour balayées et jetées aux oubliettes. Des familles ont ainsi légué des fortunes, des domaines considérables, maisons, terres, pour assurer le salut et le repos de leur âme…
un exemple de charte instituant une messe anniversaire, à perpétuité...
Comme exemple de ces dispositions testamentaires, nous vous proposons deux chartes qui concernent la famille RETICH :
- la première, de Walther RETICH, Schultheiss de Rouffach, datée de 1436
- la seconde, de l’épouse de Walther RETICH, Katherine HOCHMEISTERin datée de 1419. (dans un article ultérieur)
Traduction en français
Nous, prévôt et Magistrat de Rouffach, déclarons publiquement et faisons savoir à tous par la présente charte, que se sont présentés par devant nous, au cours de notre conseil, l’honorable H. SCHIFFERSTEIN, prêtre, actuel curé de la paroisse de Rouffach, d’une part, et de l’autre part le très humble Walther ZIBEL dit RETICH, notre compagnon au Magistrat et bourgeois de Rouffach.
Ils nous ont fait savoir que le nommé Walther RETICH avait déclaré de son plein et de bonne foi, qu’il avait pris conscience de la fragilité de l’homme et de la courte durée de sa vie dans cette vallée de larmes et que rien n’était sûr sur cette terre hormis l’heure effroyable de la mort. Après cette mort, l’âme, une fois séparée du corps, ne peut trouver la consolation et le secours que si l’homme a, de son vivant sur terre observé les règles chrétiennes… C’est pourquoi, Walther RETICH a décidé, ordonné et fixé par la présente charte, avec l’autorisation et le consentement du curé ci-dessus nommé, pour lui et pour tous ses héritiers, une messe anniversaire perpétuelle célébrée dans l’église paroissiale, pour le salut et le repos éternel des âmes de son père, de sa mère et de tous ses ascendants.
Pour cela il fonde 16 schillings stebler, en monnaie bâloise, dont 18 pfenning pour le chapelain qui dira une messe tous les ans à la date anniversaire, sur l’autel saint Jean de l’église paroissiale. Deux schillings seront donnés à l’instituteur pour chanter avec ses écoliers une messe annuelle pour le repos des âmes, à la date anniversaire. Encore 6 pfennings pour le curé de la paroisse qui devra chaque dimanche appeler en chaire à se souvenir des âmes des défunts et qui devra également d’année en année noter les dates anniversaires dans l’obituaire.
Chaque curé de la paroisse de Rouffach s’engage, lui et les chapelains, à célébrer et à faire célébrer chaque année et à perpétuité, le soir du jour anniversaire, une Vigile après les Vêpres. Ils devront également passer sur ( ?) les tombes des défunts (über Ire Greber gon). Le lendemain, avant la première messe, ils feront lire et chanter Vigile, suivie d’une messe sur l’autel saint Pierre, avant la grand-messe et également passer sur les tombes, chanter et prier Miserere et autres prières qui conviennent, selon les rites et les obligations de la sainte Eglise.
S’il advenait que les prêtres ci-dessus nommés ou leurs successeurs ne célèbrent pas ces messes anniversaires dans les formes ci-dessus définies, l’économe administrateur de la fabrique de l’église a les pleins pouvoirs pour remettre à cette fabrique l’argent et les rentes ci-dessus mentionnées qui étaient destinées au curé ou à toute autre personne.
enterré dans l'église paroissiale
De plus, Walther RETICH dote, par la présente charte, la fabrique de l’église Notre-Dame, d’une rente perpétuelle de dis schillings, monnaie bâloise, pour qu’il soit enterré et repose dans la dite église.
Voici les biens qui garantissent les rentes versées aux prêtres et autres personnes :
- cinq juchart * de champs, y compris les Fuhren (sillons, fossés, fossés d’irrigation ?) sis dans le ban de Rouffach, dont 1 juchart route d’Ensisheim ou d’Entzen (Niederentzen ?) jouxtant les propriétés de Hanns de MERCKENSEN d’une part et de celle des SCHÖNAU, qu’il a acquis de son défunt oncle Burckart ZIBÖLL
- un juchart jouxtant la propriété des héritiers HUNOLT
- un juchart au Herrenweg, jouxtant WERCKLIN, d’une part et de l’autre les terres de SCHÖNAU, qu’il tient également du défunt Burckart ZIBÖLL.
- un juchart sur le Giessen, d’un côté jouxtant des terres appartenant à l’autel saint JEAN, de l’autre les HUNOLT
- plus un juchart au Schiffgraben, chemin de Sainte Croix, d’un côté jouxtant MULLERin, de l’autre RULIN, le tailleur.
* le juchart correspond au journal, c.à.d. la superficie de terre labourable en un jour avec une paire de bœufs (Himly)
La présente charte a été rédigée en présence du curé de l’église paroissiale, avec son assentiment et par sa volonté.
Pour authentifier les décisions prises, le prévôt et le Magistrat ont appendu au bas du document le sceau de la ville, à la demande de Walther RETICH, et nous, curé de Rouffach, attestons que tout ce qui est écrit ci-dessus a été voulu et autorisé par nous et pour que soit fait tout ce qui est dit et écrit, par nous et nos successeurs fidèlement et sans détours, nous avons appendu notre sceau pour plus d’assurance, à côté de celui de la ville de Rouffach.
La présente charte a été signée le samedi précédant l’Ascension de Jésus Christ, l’année où l’on compte 1438 ans depuis la naissance de notre Seigneur.
Il a été réalisé deux exemplaires de cette charte, l’une remise au curé et aux chapelains de Rouffach, l’autre à la fabrique de l’église paroissiale.
Texte original en allemand
Wir, der Schultheiß und der Rätt zu Rufach, bekönnent offenbar und thund Kund allermenglichem mit disem Brieve, dass fur uns kömen sint in offenen Rätt der ersam Herr Heinrich SCHIFERSTEIN Priester zu dieser Zit Kilchere zu Rufach an eym Teile, und der bescheiden Walther ZIBEL genant RETICH, zu dieser Zit unser Rates Geselle und Burger ze Rufach
am anderen Teile und also erzalt der ietz genant Walther RETICH offenbarlichen sins frigen guten Willen unbettwungen, wie dass er mit guter Vernunfft, rechtem Wissen angesehen und betrachtet hatt des Mönschen Blödikeit und des kurzen zergenglichen Zites dis Jamertals und der Mönsche nutzit sicheres ist denn die Stunde des erschröcklichen Todes darnach
der Selen n(a)ch Hinscheidung von dem Libe nutzit tröstlichers noch hilflichers ist denn dass der Mönsche hie in Zit mit Übung guter götlicher Wercken noch cristenlicher Ordenung vollbrocht hat, harumb hab er besetzet und geordent, besetzet und ordent auch in Krafft dis Brieffs, mit Wissen und Willen des öbgenanten Kicheren (sic) für sich und alle sine Erben kröfftetlichen
ein ewig Jorgezit in der Lut Kichen zu Rufach durch sin und sines Vatter und Muter und aller siner Vorderen seligen Selen Heils Willen zu ewiger Ruwe. Des ersten sechzehen Schillinge ewiges Stebler Gelts baseler Münsen, so denn achzehen Pfennig Geltz der vorgenanten Münssen einen yeglichen Capplane der uff Sant Johannes Alter (Altar) in der öbgenanten Kichen (sic) alle
Jore an dem Jorgezit Tage ein Messe sprechen soll und darzu einem Schulmeister zu Rufach zwene Schillinge der vorgenanten Münssen der mit den Schüleren ein Selmess jerlichen uff dem egedachten Jorgezit Tage singen sol. Darnoch sechs pfenning Geltz der selben Münsse einem Kilwarten der die Kerzen uff dem selben Tage enzunden sol. So denne einem
Lutpriester oder Kilcherren zu Rufach vier Schillinge ewiges Stebler Geltz der alle Sonnentage der Selen an der Kanzel Gedencken verkünden und an den Selbrieff von Jore ze Jor schreiben sol. Also mit solichen Furworten und rechter Underscheide dass ein yeglicher Lutpriester oder Kilchherre zu Rufach mit sinen Capplanen in der öbgenanten Kilchen jerlichen
und eweclichen an Irem Jorgezit Tage donor am Öbende noch Vesper Zit ein Vigilie singen und über Ire Greber gon söllent und Mordes früge vor de Frügmesse eine Vigilge lesen und singen söllen und darnoch ein Selmess uff sant Peters Alter vor der Fronmesse singen und auch über die Greber gon und das Miserere und andere Gebette
so darzue gehörent sprechen söllen noch Ordenungen und Uffsatzungen der heiligen Kilchen. Und wer es Sach das die öbgenanten Priester oder Ire Nochkömen dis Jorgezit jerlichen in vorgeschribener Wissen nit begiengent, so hat dar noch Macht und vollen Gewalt, ein yeglicher Kilchen Pfleger unsere lieben Fröwen der vorgenanten Kilchen und Gotzhuses oder
ein Schaffner der selben Kilchen Bu und wir und alle unsere Nochkömen von der vorgenanten Kilchen und Buwes wegen die öbgeschribenen Gelt und Gülte so dovor einem Lutpriester oder den anderen Personen zugeschriben stat, an den vorgenanten unsere lieben Fröwen Bu und Gotzhuse ze ziehen und ze haben one alle Unrecht tun und Intrag mengliches.
Ouch so hat derselb Walther RETICH an den selben Bu unsere lieben Fröwen insunder besetzet, ordent und besetzet auch in Krafft diss Brieffs recht und rödlichen, zehen Schilling ewiges Geltz baseler Münssen umb dass er noch sinem Töde in der vorgenanten Kilchen begraben und ligen sol, die er do geschlagen und versichert hat uff sinem Garten,
nebent der Löuchen gelegen, bÿ der nÿderen Mülen. So sint dis die Gütere dar uff er das öbgeschribene Pfennig Gelt den Priesteren und den anderen als denn vorstat versichert und geschlagen ist uff fünff Jucharten Ackers als mit Fuhren begriffen und in Rufach Banne gelegen sint, der lit ein Juchart am Eisihein Wege an dem inneren
Ranck, neben Hanns von Merckeshenn und stösset uff der von Schönnöw Gut, das er von sinem Vetteren Burckart ZIBÖLLen seligen hat. So dann hin ussbas ein Juchart nebent Walter HUNOLTs Erben. Item aber, ein Juchart an dem Herwege, einsit neben WERCKLIN, andersit neben der von Schönöw Güt, die er auch von seinem Vetter Burckart ZIBÖLLen
seligen hatt. Darnach ein Juchart uff dem Gießen, einsit neben dem Gut das do gehört zu dem obgenanten Sant Johans Alter und andersit neben den HUNOLDen und ze […]geste ein Juchart am Schiffgraben am Heiligen Crütz Wege, einsit nebent Clare MULLERin Gut, andersit nebent Rulin dem Snyder. Diese Ordenung und Besagung ist nu also
von uns in Gegenwertikeit des obgenanten Kilcherren und bÿ sinen Ziten und mit sinem Willen beschehen. Und harüber zu einer woren Urkunde und Vestigung diser Sachen als obstat, so habent wir, der Schultheiss und der Rätt obgenant derselben Statt Yngesigel von Bette und Begerunge wegen des öbgenanten Walther RETICHes öffentlich geton hangen an disen Brieff und ich, der öbgenant Kilcherre ze Rufach bekönne das alles so do öbgeschriben stat, by miner Zit und mit minem Wissen und Wülen
beschehen ist und des also ingangen bin und auch das also in das Selbuch gesetzet und geschriben hab und gereden auch das ze halten für mich und mine Nochkömen getruwlich und ungeverlich und zu noch merer Sicherheit, so hab ich min Yngesigel ouch zu der öbgenanten Stat Ingesigel gehencketan disen Brieff, der geben
wart uff Samstag vor unser Herren Uffart Tage des Jores als man zalt von der Geburt Christo viertzehen hundert drissig und acht Jore . Dieser Brieff sint zwen glich des der Kilcherre und die Capplanen ze Rufach einen hand und unsere lieben Fröwen Lutkilch den anderen.
Gérard MICHEL mai 2018
le parchemin original, conservé aux archives municipales de ROUFFACH (A.M.R.GG 16 ms:394)
(cliquez sur le document pour l'agrandir...)