Cet article présente une conférence donnée par Pierre-Paul FAUST le vendredi 26 janvier 2001 à la salle paroissiale de Rouffach concernant Notre-Dame de Rouffach, une église marquée par les meurtrissures de la Révolution.
L’église Notre-Dame de Rouffach entre dans le 19ème siècle marquée par les meurtrissures de la Révolution, les toitures de la flèche et du transept fortement endommagées par la chute de la croix, précipitée dans le vide sans ménagement en 1794, laissant pénétrer la pluie. Toutes les sculptures et statues accessibles ont été endommagées, les stigmates de la belle façade Ouest, œuvre du maître WOELFELIN de Rouffach, témoignent encore de la fureur révolutionnaire. Le souffle de la Terreur va participer à sa façon au dégagement de l’aire ecclésiale en s’attaquant au cimetière.
La photographie est extraite de L'Alsace photographiée par Adolphe BRAUN en 1859 (archives départementales du Haut-Rhin 2000).
Cet article est décomposé en plusieurs parties : partie 1 (page actuelle), partie 2, partie 3.
- 1. Saccage de l'ancien cimetière
- 2. Le nouveau cimetière
- 3. Démolition de la chapelle-ossuaire Saint Nicolas
- 4. Le cimetière actuel
- 5. 1845 : l’église est classée Monument Historique
- 6. Démolition des baraques autour de l’église :
- 7. La démolition des Fräulein Häuser
- 8. Projet initial de l'architecte MIMEY
1. Saccage de l'ancien cimetière
Dans le compte-rendu de la délibération de la commune de Rouffach, séance publique du 24 frimaire de l’An 2 ( 14 décembre 1793) nous lisons : « Le procureur de la commune a dit qu’en exécution de l’arrêté du département du Haut-Rhin du 6 du présent mois ( 26 novembre 1793), il a fait disparaître dessus le bien destiné à la sépulture des morts, les monuments choquants inventés par la superstition, propagés par l’orgueil et qui blessaient l’œil de l’homme libre, et qui ayant rempli ce devoir, il importait à ses fonctions de requérir à ce que la municipalité désigne un local pour l’inhumation des morts, que ce local soit à une distance de la ville pour que l’air méphitique, une exhalaison corruptueuse ne porte pas atteinte à la salubrité de l’air », une commission spéciale a été nommée à laquelle furent adjoints les « citoyens THOMAS, médecin physicien et DIEDERICH, chirurgien juré de Rouffach ».
2. Le nouveau cimetière
Le terrain retenu se situait contre le mur d’enceinte N.O. de la ville, entre le château d’Isenbourg et la porte Riss. Ce terrain ne sera utilisé que provisoirement, sa superficie étant jugée insuffisante pour la ville. On voulut reprendre l’ancien terrain, malgré l’interdiction du décret impérial du 23 prairial (12 juin 1804) interdisant les cimetières dans les agglomérations.
3. Démolition de la chapelle-ossuaire Saint Nicolas
Le médecin THOMAS insista pour reprendre l’ancien terrain qu’il disait pouvoir être agrandi par la démolition de l’ancienne chapelle-ossuaire de Saint Nicolas qu’il qualifie de vieille masure. Son avis fut malheureusement suivi et Rouffach perdit un de ses plus antiques monuments. Le cimetière ne fut plus repris à côté de l’église.
Photo G.MICHEL 11 janvier 2018
Réemploi d'un vestige de la chapelle-ossuaire Saint-Nicolas, dans l'ancienne porte sud du cimetière, avec l'inscription:
gont her und sehend das recht
hie lit der her bi dem knecht
nun gont furbas in
und lugend wer mag der herre sin
venez et voyez la justice:
ici gît le seigneur auprès du valet
et maintenant entrez et regardez
lequel peut bien être le seigneur
4. Le cimetière actuel
Le 14 février 1805, un arrêté préfectoral autorisa la création du nouveau cimetière à l’emplacement qu’il occupe encore actuellement, à l’est de la ville.
5. 1845 : l’église est classée Monument Historique
Puis les temps se calment et les édifices cultuels reprennent leur fonction première. Pour Notre-Dame, les réparations les plus urgentes sont entreprises mais ne garantissent pas l’avenir du bâtiment. L’intérêt pour ce dernier croit cependant dans les milieux avertis. En 1845, l’église Notre-Dame de Rouffach est classée parmi les monuments historiques. Une réfection de la flèche est entreprise en 1854 et la girouette révolutionnaire cède la place à la croix, après 60 ans d’absence.
Puis l’idée d’une restauration et d’un achèvement du monument prit corps.
6. Démolition des baraques autour de l’église :
Une opération préliminaire à cette entreprise était le dégagement de toutes les baraques élevées entre les contreforts autour de l’église. Ce fut une entreprise qui fit couler beaucoup d’encre par action judiciaire.
Avant la Révolution, la location de ces baraques constituait un revenu supplémentaire pour la fabrique de l’église. Elles furent vendues comme bien national à des particuliers à charge pour eux « de ne rien entreprendre qui puisse porter préjudice aux bâtiments de l’église ni en intercepter le jour ». Ces conditions ne sont pas respectées. Des exhaussements et des constructions sans permis sont réalisés par certains propriétaires. Un état du 4 avril 1813 nous cite les occupants et la nature de l’utilisation des lieux. Il s’agit de :
- SELMERSHEIM Antoine, tanneur, qui a installé une écurie et un pressoir
- VONMÖGEN Laurent, vitrier, une écurie et une fosse d’aisance
- LEY Joseph, serrurier, qui y exploite son atelier
- la femme SENN qui y habite
- MEYER Xavier père, menuisier, avec son atelier, une forge de cloutier, un atelier d’arquebusier et une buanderie
- RIEGERT Jean avec une buanderie
- les héritiers de MULLER Jean, menuisier, avec une « construction autoritaire », c’est-à-dire sans permis
La démolition de ces appentis est déclarée d’utilité publique par ordonnance royale du 28 février 1847. Les dernières traces disparurent en 1849.
7. La démolition des Fräulein Häuser
Pour parachever le dégagement de l’église et de la place du marché, on décide également la démolition de l’ancien immeuble dénommé Fraülein-Häuser , situé dans la partie Nord-Ouest de la place de l’église. Les Fräulein étaient les demoiselles de l’instruction chrétienne, institution fondée en 1724 à Ensisheim par les demoiselles d’OLIVIER, pour l’instruction des jeunes filles.
En 1725, l’une d’elles, Madeleine, vient à Rouffach chez son frère, François David D’OLIVIER, curé doyen de l’église Notre-Dame (1720-1737). Elle parvient à fonder une petite communauté dégagée de la prononciation de vœux. En 1732 est construit l’immeuble sur la place abritant la communauté, répartie en 6 appartements indépendants. Elle y fonctionne jusqu’en 1748, année où la communauté achète le grand bâtiment qui devait devenir par la suite l’école des filles de Rouffach. Les anciens locaux furent vendus à des particuliers.
Dans sa séance du 10 février 1861, le Conseil municipal de Rouffach décide de l’achat du bâtiment déjà cité, soit à l’amiable, soit par voie d’expropriation pour cause d’utilité publique. Un accord ne peut être trouvé avec tous les propriétaires. L’expropriation fut décidée par jugement du tribunal civil de Colmar en date du 2 juin 1862. Le dernier obstacle au dégagement de l’église et de la place disparait ainsi, la voie pour la grande entreprise de restauration et d’achèvement de Notre Dame est ouverte.
Les travaux se feront sous le mandat des maires Aloyse DIETRICH (1848-1870) et François Xavier HEIMBURGER (1870-1885), pour la paroisse des curés doyens Joseph STÖCKLE (1846-1871) et Joseph HAEGY (1872-1904).
Pour les prix en francs ou en marcs il s’agit de valeurs or.
8. Projet initial de l'architecte MIMEY
Le projet initial est établi par l’architecte parisien Maximilien MIMEY. Il prévoit : la démolition et la reconstruction de la flèche centrale, une nouvelle couverture de la nef, le curetage de toute la maçonnerie, la réparation de la façade Ouest et l’achèvement des deux tours par des flèches.
MIMEY transmet son projet à la Commission des Monuments historiques. Par lettre datée du 10 avril 1866 du Palais des Tuileries à Paris, le comte de NIEUSERCKERLE, sénateur, surintendant des Beaux-Arts, répond au nom du ministre en faisant savoir à MIMEY l’avis favorable de la Commission sur l’ensemble de son travail. Une réserve est cependant faite relative à la construction des flèches sur les tours de la façade principale. La Commission estime cette étude insuffisante au point de vue des proportions à donner aux parties supérieures projetées par rapport à celles des soubassements qui existent.
Dans le cas où la ville opterait pour la construction des tours avec flèche, une nouvelle étude de cette partie du travail serait à faire.
Le ministre se déclare disposé à faire contribuer son département pour une large part à l’exécution des travaux. La partie de la dépense afférente à la restauration proprement dite serait supportée par le dit département à la condition que la ville de Rouffach réunirait des ressources suffisantes pour assurer l’entière exécution du devis.
A cet effet, une subvention de 125.000 francs divisée en 5 annuités de 25.000 francs sera versée sur le crédit des Monuments historiques pour aider à l’entreprise. Mais l’allocation de chaque annuité sera subordonnée à l’étendue des sacrifices que la ville se sera imposés.
La somme de 313.000 francs votée dès à présent par le conseil municipal et représentant 2/5èmes environ des 800.000 francs, montant du contingent de la commune pour l’entière exécution du projet, lui assure deux de ces annuités dont l’architecte est autorisé à faire emploi en temps utile à partir de cette année 1866.
Le projet est transmis par le ministre au préfet du Haut-Rhin, en l’invitant à faire délibérer le conseil municipal de Rouffach sur la question des flèches et sur les conditions mises à l’allocation d’une subvention proportionnée aux sacrifices que la ville s’imposera.
Dans sa séance du 11 mai 1866, le Conseil municipal approuve les plans et devis présentés par l’architecte MIMEY, avec un devis de 925.746,52 francs.
Article 1 : travaux restauration évalué à 65.668,36
Article 2 : achèvement façade sans flèches 293.000,93
Article 3 : flèche centrale 61.042,80
419.912,09
Ressources de la ville :
Excédents recettes 1866 : 61.964,60
10 coupes extraordinaires à partir de 1866: 250.000
Excédent recettes ordinaires sur dépenses ordinaires évaluées sur 10 ans: 47.747,50
Subventions de l’Etat: 60.000
419.712,10
Un emprunt est souscrit et couvert par les ressources de la ville (forêts). Dans la séance extraordinaire du 8 juillet 1866, le plan de financement est revu, la somme des travaux devrait être réalisée sur 3-4 ans.
Pierre Paul FAUST
Agrandissement d'une photo d'Adolphe BRAUN de 1859, sur laquelle on distingue nettement la flèche torse qui surmontait la tour sud de l'église Notre-Dame, avant les travaux entrepris sur l'église. Ce détail est également partiellement visible sur la photo du même auteur, qui figure en tête de l'article. On y voit la nette différence de niveau des faîtières du chœur et de la nef.
Fin de la première partie, à suivre