L'église Notre-Dame de Rouffach possédait une chaire à prêcher gothique en grès jaune de Rouffach, une oeuvre due à Hans Murer qui la réalisa en 1492. Elle fut démolie en 1820, à la demande du curé Fritsch et remplacée en 1875 par la chaire actuelle en grès rouge par le sculpteur Klem de Colmar.
Le contrat signé entre Hans MURER et la Ville de Rouffach
Nach Cristi Geburt, tusent vierhundert nunzig und zwey Jor, uff Mendag vor
Sant Dyonisien Tag, haben Schultheiß und Rate zu Ruffach Hanns MURER,
Hannsen von Friburgs Tochterman, verdingt ein steinen Bredigstül oder
Cantzel in unnser lieben Frowen Lutkilch zu Ruffach zu machen, noch
Innhalt des Musters oder Visier so Hans MURER uf ein Bappir
gezeichnet und entworffen und hinder ein Rat geleit und des ein Gegenvisier
behalten hat.
L’an 1492 après la naissance du Christ, le lundi précédant le jour de Saint Denis, le Schultheiss et le Conseil de Rouffach ont conclu un accord avec Hans Murer, le gendre de Hanns de Friburg, pour la réalisation d’une nouvelle chaire à prêcher dans notre église Notre Dame de Rouffach, selon le modèle ou esquisse que Hans Murer avait dessiné et projeté sur un papier et confié au conseil, et dont il a gardé une copie.
Und sollen drü Steynen Bilde obnan darin
gemacht mit guter Gestalt, mit Velten und Pruchen und Angesicht, auch
mit guten usgezogen Blumen und Gewechs, alles meisterlich uf die
nuwe hande das die Meister ob es sich also begebe zu besehen, sprechen
Werschaft und wol gemacht sig. Und git man im davon für alle
Vordrung funffzig und fünf Guldin ye ein Pfunt fünf Schilling
fur ein Gulden und sol die Stein in unnser lieben Frowen Gruben
zü dem obgenant Cantzel prechen und herheym füren alles in sinem
Costen aber die Grub nit verwerffen noch den Rüm lassen liegen das
er Schaden und Irrung an der Gruben bringe. Sonder, was er
da schadlis lasset ligen, sol er dannen tün und rumen als in sinem
Kosten und sust kein Stein zü anderm Gepuwe geforlich dar inn
brechen noch niemand nutzit daruss geben, es wer dann das zu wilen
ein Stuck zwey oder dru ungevorlich geprochen die nit zu dem
Werck nutzlich oder tugenlich weren, die mag er den Burgern
hie zu Ruffach verwercken und daruber nit
Les gens de Rouffach très jaloux de leur carrière de grès jaune
L'extraction de la pierre et son transport jusqu'au chantier est à la charge du tailleur de pierre. Le contrat stipule que lors de l'extraction de la pierre la carrière ne devait subir aucun dégât et ne pas être encombrée de débris de taille et autres déblais. Tout ce qu'il laisserait traîner derrière lui il devrait le débarrasser, à ses frais. De plus il ne doit pas prélever de pierre qui ne serait pas nécessaire au chantier de la chaire ni en donner à qui que ce soit. S'il arrivait que, sans mauvaise intention (ungeforlich, sans arrière pensée malveillante...) un, deux ou trois blocs étaient extraits sans qu'ils soient utiles ou utilisables pour la chaire, il pouvait les utiliser pour des travaux pour les bourgeois de Rouffach, mais sans en tirer profit.
Cette carrière qui fournit un matériau noble et très prisé, est pour la Ville de Rouffach une source de revenus importante qu'il importe de ne pas gaspiller...
und sol das Werck
gemacht und ufgericht sin uf unser lieben Frowen Tag Assumptionnis
unnser ersten Mess. Item man sol im uf das Verding uf Wihenachten
zehen guldin geben, uf Ostern zehen, uf Pfingsten zehen Guldin
alle Zil nechst nach einander kunftig und ob das Werck vor dem
obgemelten Zil ufrichtet, sol man im ganze Bezalung tun.
L'ouvrage doit être terminé et mis en place pour la fête de l'Assomption de la Vierge de 1494. Le tailleur de pierres-sculpteur touchera 10 Gulden (florins) pour Noël, dix autres à Pâques puis dix autres à la Pentecôte et le solde lui sera remis s'il termine son oeuvre avant l'expiration du délai...
Theobald Walter dans Urkundenbuch der Pfarrei Rufach 1900, évoque cette chaire:
„die prachtvolle, freistehende, gotische Kanzel wurde 1820 durch Stadtpfarrer Fritsch leichtfertigerweise entfernt und durch die heutige ersetzt“
Cette magnifique chaire gothique freistehend (indépendante c’est-à-dire qui n’est pas comme la chaire actuelle « accrochée » à un pilier) fut démolie de manière irréfléchie par le curé Fritsch et remplacée par la chaire actuelle en 1875 par Klem de Colmar.
Dans un article consacré à Jean Murer, sculpteur de pierre à Rouffach, (in Les artistes de l’Alsace pendant le Moyen Âge, Charles Gérard Paris 1872) Charles Gérard écrit :
"Les archives de la ville de Rouffach conservent un traité passé entre le magistrat et Jean Murer, gendre de Jean de Steinburg, le lundi avant la fête de Saint Denis de l’année 1492, pour la fourniture d’une chaire de pierre, « ein steinen Predigstuhl oder Kantzel» destinée à l’église paroissiale de la ville. Le traité porte que Murer a déposé entre les mains du magistrat un modèle ou «visier » dessiné par lui sur papier. Il doit de plus fournir trois statues en pierre de belle forme « mit guter Gestalt gemacht ». Le prix convenu avec le sculpteur est de 55 florins, sur le pied d’une livre et cinq schillings par florin. La ville fournit la pierre, à prendre aux frais de l’artiste, dans la carrière de Notre-Dame. Il est stipulé que l’œuvre sera terminée et placée pour la fête de l’Assomption de 1493. Les registres de Rouffach désignent Jean Murer sous le titre de Steinmetz, tailleur de pierre. Nous voyons une fois de plus, par cet exemple, combien cette qualification était compréhensive et générale au point de vue de l’art. Il est évident que Murer, malgré son titre modeste, était un artiste d’une certaine distinction, un sculpteur, un statuaire. Au Moyen-Âge, la désignation allemande de Steinmetz couvrait par sa généralité les capacités les plus diverses et les plus élevées de l’art architectural et de la sculpture. Les statuaires, ceux surtout qui travaillaient pour les églises, portaient le nom de Steinmetzen, et ce titre était aussi celui des architectes.
La qualification de maître tailleur de pierre, dit Sulpice Boisserée, ne peut faire naître aucun scrupule, car c’est sous un titre aussi modeste qu’aux XIII°, XIV et XV° siècles, nous trouvons désignés, dans tous les pays de l’Europe, les plus grands architectes et même les plus habiles sculpteurs Cette profession de tailleur de pierre jouissait alors d’une grande considération, parce qu’elle était regardée comme la base de l’art. Quiconque voulait devenir architecte devait commencer par apprendre à tailler la pierre...
Hans Murer, maître d'oeuvre de l'église Notre-Dame?
A ce portrait on serait presque tenté de reconnaître en Jean Murer, non seulement un sculpteur accidentellement employé à l’église Saint-Arbogast de Rouffach, mais le maître d’œuvre en titre de cet édifice, à la fin du quinzième siècle. Toutefois le silence des documents nous impose de nous restreindre à ce qui est certain et avéré.
Une chaire en stuc, "une abominable machine", entre 1822 et 1875?
La chaire ogivale de Jean Murer a orné l’église de Rouffach jusqu’en 1822. Sous l’influence du goût déplorable qui sévissait en ce temps-là, elle fut détruite et remplacée par l’abominable machine en stuc que l’on voyait encore avant la restauration générale de l’église entreprise par Mimey, architecte de Paris, depuis 1868. La chaire de Rouffach était considérée comme une œuvre excellente de l’art gothique sur la fin du 15ème siècle. Sa destruction fut une erreur de jeunesse de l’abbé Fritsch, mort, il y a quelques années, en odeur d’archéologie. Il n’était pas facile de deviner l’avenir en 1822. »
Paul FAUST, dans une conférence dont nous avons reproduit le texte dans l’article Pierre-Paul FAUST: l’Eglise Notre Dame de Rouffach au 19ème siècle-dernière partie, nous donne quelques informations supplémentaires :
Une malencontreuse erreur de jeunesse de l'abbé Fritsch...
« L’ancienne chaire de 1492 était également une œuvre de Hans MURER déjà cité. Elle a été démolie sans scrupules en 1820 par le curé FRITSCH. La chaire actuelle a été édifiée en 1875. L’architecte MIMEY avait prévu en 1873 une chaire en bois sculpté avec abat-voix, escalier et ornements. Mais là encore une fois, l’accord entre le curé et le maire ne put se faire. Ce dernier avait chargé l’architecte WINKLER de l’élaboration et de l’exécution d’une chaire en pierre sans consulter le curé.
La chaire de Klem...
Il en référa au conseil municipal dans sa séance du 6 juin 1875 en faisant savoir que le devis était fixé à 10.220 frs. Par ailleurs il estima que le projet correspond au style de l’édifice. Le conseil suivit l’avis du maire et adopta le projet en votant les crédits nécessaires.
Le 7 juillet 1875 le projet fut également approuvé par l'Oberpresidium de Strasbourg et le 7 août les travaux furent adjugés à KLEM. Le grès rose fut imposé. Les sculptures des panneaux représentent les quatre évangélistes qui apparaissent ici pour la troisième fois dans l’église après les consoles des voûtes du chœur et l’antependium du maître autel. »
photo G.M. sept 2018
Une carrière de pierre précieuse au Strangenberg...
Rouffach est célèbre pour le fameux grès jaune exploité dans les carrières du Strangenberg dès l'époque romaine: il fut utilisé dans la construction et le décor de nombreux édifices religieux de la région: la collégiale de Thann, l'église Notre Dame de Rouffach, l'église Sainte Catherine du couvent des Récollets, etc.. A Rouffach on ne compte pas les maisons, les porches, les puits et les fontaines, les calvaires et croix de chemins pour lesquels il a été utilisé...
Pour mémoire: la carrière de grès jaune de Rouffach fut louée par contrat du 29 janvier 1508 à la ville de Thann pour l'extraction de la pierre qui servit à la construction de la flèche de la collégiale Saint Thibaut (A.M.R. A/GG 24).
Un patrimoine prestigieux...
On ne peut évidemment que regretter la disparition de ce précieux monument gothique au profit de la chaire actuelle. L'église de Rouffach possédait également un maître-autel gothique, lui aussi sacrifié.
"Autant de richesses perdues. Mais tout n’a pas été détruit par les révolutionnaires à l’église Notre Dame ou aux Récollets. Bien des œuvres d’art ont été volées, d’autres vendues ou données au siècle dernier au cours de la campagne de travaux de restauration et après encore. Des collections publiques ou privées ont ainsi été enrichies aux dépens de rouffachois." (Pierre-Paul Faust)
Nous avons déjà évoqué dans des articles précédents, le jubé, disparu en 1718, tout le décor sculpté du massif occidental, saccagé par les patriotes ainsi que le mobilier dont 10 autels en bois et une grand nombre de tableaux et sculptures brûlés sur les feux de joie allumés par les révolutionnaires, le 9 décembre 1793, la disparition des peintures et des fresques, soigneusement grattées et lessivées de 1867 à 1869...
L'église de Rouffach s'est ainsi appauvrie au fil des siècles. Mais malgré les tourmentes de la guerre de Trente Ans et l'hystérie révolutionnaire, malgré l'inculture, l'imbécillité ou la cupidité de certains de nos anciens, il subsiste encore de beaux éléments du décor gothique: les fonts baptismaux de 1493, la custode gothique du chœur, la lanterne de l'autel de la Vierge, les quatre culots sculptés du chœur, le gisant attribué à Wölffelin et, sur la porte de la sacristie, deux visages, celui d'un jeune homme et d'une jeune femme, au sourire énigmatique:
photo G.M. sept 2018
Gerard Michel septembre 2018