Connaissez-vous Philippus Theophrastus Aureolus Bombastus von Hohenheim ?
Peut-être pas… et pourtant ! Il fut l’un des médecins chirurgiens les plus fameux de la première moitié du XVIème siècle, initiateur du tournant de la médecine galéniste (qui traite les maladies suivant la doctrine de Galien [131-201 après J.C.], une des grandes figures de la médecine antique) vers la médecine moderne basée sur la biochimie. Il a laissé le souvenir d’une personnalité rebelle, d’un homme profondément croyant, souvent truculent, à l’esprit foisonnant et exubérant.
Non ? Vous ne voyez toujours pas de qui il s’agit ?
Ce réformateur radical de la médecine qui s'en prend vigoureusement à l'autorité d'Hippocrate et de Galien est connu à son époque sous le nom de Théophraste et deviendra PARACELSE, un pseudonyme formé à partir de Celse, le nom d'un médecin du premier siècle.
Pourquoi parler de Paracelse dans obermundat.org ? quel rapport avec Rouffach ?
Nous allons y venir…
Nous ne nous attarderons pas sur la biographie de Paracelse, le lecteur trouvera facilement sur Internet toutes les informations qu’il souhaite.
En perpétuel mouvement, on le trouve à Strasbourg où il acquiert en 1526, le droit de bourgeoisie. Début 1527, on le retrouve auprès du grand imprimeur et éditeur humaniste de Bâle, Johann Froben (Frobenius), auquel il évite l’amputation du pied, attaqué par une gangrène, en lui prescrivant un traitement. Ce qui vaudra à Paracelse de devenir médecin municipal à Bâle, où il rencontrera, autour de Froben, les grands humanistes, Erasme notamment, Oecolampade, Bonifacius Amerbach... Mais Paracelse, qui se veut réformateur radical de la médecine de son temps, s'en prend ouvertement à l’autorité d’Hippocrate et de Galien, ce qui lui vaut l’inimitié et la jalousie des médecins locaux et des autorités médicales.
De plus, ses extravagances, son enseignement en dialecte alémanique et non en latin comme l’exigeait la tradition, ses disputes fréquentes avec ses confrères, avec les pharmaciens, avec la municipalité, son goût immodéré pour le bon vin dont il abuse trop souvent, choquent beaucoup de monde et il finit par être obligé de quitter la ville de Bâle. Il entame alors une vie d’errance de ville en ville.
Fin 1528, on le retrouve à Colmar, où il écrit sur la Syphilis et rédige Bertheonea ou Petite Chirurgie, un manuel pour lire et interpréter les signes corporels.
Il rejoint d’abord Neuenbourg pour trouver refuge dans la famille d’Amerbach qu’il avait fréquenté chez Froben, à Bâle.
Mais sur la route de Neuenbourg à Colmar, surtout pour un humaniste, il y a un détour obligé… Rouffach, qu’il aurait rejoint en septembre 1528, après être passé par Ensisheim où était tombée peu de temps auparavant en 1492 une météorite d’une centaine de livres.
Pourquoi ce détour à Rouffach ?
C’était sans doute pour Paracelse une halte incontournable, un des hauts lieux de l’Humanisme en Alsace: l’école humaniste des Récollets. Mais surtout il y aurait retrouvé un autre ami humaniste.
Nous avons écrit intentionnellement aurait retrouvé : l’ami en question n’est autre que Valentin Boltz, natif de Rouffach (?), qui figure en bonne place sur le tableau des personnalités marquantes natives de Rouffach, dans le hall d’entrée de la mairie de Rouffach.
Sauf que, on ne sait rien ou peu de choses des première années de la vie de Boltz et, si l’on en croit les différentes notices et biographies, il serait né avant 1515, sans plus de précisions.
Il n’est pas vraisemblable que Paracelse ait eu un ami humaniste à Rouffach âgé de 13 ans en 1528 ! Dans d’autres sources, il est simplement noté : né en 15.. ! S’il était né en 1500, il aurait eu 28 ans, ce qui rendrait plus crédible son amitié avec Paracelse, né en 1493 qui aurait donc eu 35 ans…
Dans sa notice rédigée pour le N.D.B.A. Pierre Paul Faust reste très prudent :
BOLTZ (TELUM) Valentin (★ Rouffach ? † Bâle 1560). Fils de Valentin Boltz. (Bolzen désigne un carreau d’arbalète, un flèche, Telum en latin !)
Paracelse aurait-il pu connaître le père de Valentin Boltz, dont on ne sait pas grand-chose sinon qu’il était bourgeois de Rouffach, inscrit dans une corporation en 1489, marié deux fois?
Une autre source avance l’hypothèse controversée, que V. Boltz serait en fait un étudiant de Tübingen né en 1500 / 1505 et qui serait arrivé à Rouffach après la mort de son père en 1515…
source: Valentin Boltz, in: Frühe Neuzeit in Deutschland 1520–1620. Literaturwissenschaftliches Verfasserlexikon (VL 16), Bd. 1, 2011, Sp. 330–336 paru chez De Gruyter en 2011.
Mais laissons ce débat aux chercheurs et aux biographes. Toujours est-il que Paracelse a ( ou aurait ?) rencontré à Rouffach son ami Valentin Boltz avant de poursuivre sa route vers Colmar. Comment les deux hommes ont-ils fait connaissance, nous n’en savons rien. On peut juste supposer que leur routes se sont croisées dans les milieux humanistes de Bâle…
Nous ne nous étendrons pas sur l’œuvre de Valentin Boltz, des tragi-comédies et des drames bibliques interminables qui n’ont pas laissé de souvenirs impérissables dans l’histoire de la littérature, comme son Wellt Spiegel ou Miroir du Monde, une satire allégorique des mœurs du temps qui avait exigé pas moins de 158 rôles et deux journées entières de représentation !
L’histoire a cependant retenu son Illuminierbuoch édité à Bâle en 1549: il s’agit d’un ouvrage maintes fois réédité (une des dernières éditions est de 2017 !) qui traite de la préparation des couleurs, à l’usage des illustrateurs et enlumineurs.
Mais revenons à Paracelse et son passage à Rouffach.
Dans son Herbarius (1526) qui traite de la vertu des plantes, des racines et des semences, on trouve au sujet du Chardon angélique (chardon marbré, chardon bénit, chardon Notre-Dame, Marien Distel…) la note suivante :
« … un jour, en Alsace, j’ai vu un homme parcourir une distance d’une lieue de Ruffach à Sultz, avec une barrique de vin de 150 kilos sur les épaules. Les douze hommes qui l’accompagnaient étaient tous fatigués alors qu’ils ne portaient rien, au point qu’ils avaient du mal à le suivre et se traînaient sans force derrière lui… Moi qui ai vu ces hommes peu de temps après, j’ai pensé redonner des forces à des malades qui seraient aussi faibles. J’ai donc placé des hommes vigoureux à côté d’un faible, donnant à ce dernier suffisamment de racines (de chardon sauvage) afin qu’il n’en manquât point. Néanmoins cela n’a servi à rien… Mais il en va ainsi : toute chose qui fournit un bon et rude travail trouve une aide dans la racine, alors que les auxiliaires, alentour, succombent tous…. »
source :http://adastra.clicforum.com/t573-THEOPHASTRE-BOMBAST-PARACELSE-HERBARIUS-HERBARIUS.htm
Ni Paracelse, ni Boltz n’ont laissé de chronique ou écrits autobiographiques, et nous n’en saurons donc pas plus, pour l’instant.
Ce qui est à retenir, c’est que Rouffach, en cette première moitié du seizième siècle, est un pôle d’attraction fort pour les intellectuels et que de grands noms de l’humanisme rhénan se sont retrouvés à l’école humaniste du couvent des Récollets de Rouffach…
Gérard Michel
Sources:
- Philip BALL: The Devil's Doctor Paracelsus and the World of Renaissance Magic and Science Arrow Books 2007
- Dr. René ALLENDY: Paracelse le Médecin maudit Gallimard N.R.F. Huitième édition 1937 https://ia800101.us.archive.org/9/items/b29978920/b29978920.pdf
- Anna M. STODDART The Life of Paracelsus 1493-1541 London 1911
- Karl SUDHOFF Paracelsus Handschrifften Nabu Press (13 juin 2010)