L’orgue Hans Klein de Notre-Dame de Rouffach (1604-1606)
Cet article est un extrait, corrigé et refondu, d'un article publié en 1982 dans Archives de l'Eglise d'Alsace, Tome 2 de la troisième série. Il est le premier de deux articles consacrés aux Orgues et Organistes à Rouffach, le second paraîtra deux années plus tard, en 1984. Les deux articles sont le fruit de la complicité de Gérard Michel, organiste titulaire des orgues de Notre-Dame de Rouffach, alors historien débutant et novice en paléographie et de Pierre Paul Faust, archiviste de la Ville de Rouffach, dont la maîtrise a été d'un immense secours pour la lecture des manuscrits anciens.
Charlatan "Orgelpfüsscher" ou victime d'un complot?
Le lecteur pourra suivre ici l'histoire du nouvel orgue Hans Klein de l'église Notre Dame de Rouffach de 1606 dont les archives de Rouffach ont conservé un rare dessin et un dossier complet avec devis, contrat, expertises et contre-expertises qui ne manqueront pas de l'intriguer... ce Hans Klein, bourgeois de Strasbourg était-il vraiment, comme le laissent entendre les expertises de deux "experts" un "Orgelpfüsscher", un charlatan peu zélé, où était-il la victime d'un complot fomenté par des jaloux cherchant à nuire ? Au lecteur de juger!
La présence d'un orgue dans l'église paroissiale de Rouffach est attestée depuis 1489. Un document nous apprend que, cette année-là, Hans Knabe, inscrit à la corporation des Tailleurs, Snyder Zunft , était organiste et, de ce fait, dispensé du paiement de la taille, Gewerf 1. Mais il est fort probable que cet instrument n'ait pas été le premier.
Pour l'instant, les archives sont restées muettes au sujet des orgues antérieurs, de même qu'elles le sont sur tout ce qui touche le facteur d’orgues et la composition de cet instrument de 1489.
Le premier document précis date du 2 juillet 15712. C'est le contrat pour la réparation de l'orgue et des soufflets, passé entre les représentants de la paroisse et de la ville et Chrisostome Letzer, facteur d'orgues de Fribourg. Il s'agit d'une rénovation et d'un accord de l'orgue ancien.
Selon les termes de ce contrat, facteur d'orgue s'engageait également à confectionner un sommier, ein Laden, pour le positif de dos, Ruckh posituf, de même que six soufflets neufs ainsi que les porte-vent nécessaires : ... item VI neuwer Belg von guttem, neuwem, saufern Holtzwerckh, dessgleichen Canalen darzü soll er auch verfertigen und bereyten, und so die gemacht seind, solls die Statt inn irem Costen hollen und hier fieren lassen.
Le facteur d’orgues est également chargé de remplacer les tuyaux qui seraient manquants et de réparer et ressouder ceux qui sont abîmés afin qu’ils puissent à nouveau être utilisés dans l’orgue. Il lui est également demandé de vérifier les principaux (la montre ou jeux de façade) du grand orgue et du positif (le petit orgue), de les nettoyer et de les polir.
…Item es ist auch abgeredt, wo es sach were, das etlich Pfeiffen mangelbar oder gebruchen weren, die soll er schuldig sein widerumb zu erneüwern und zu löthen, damit sy widerumb im werck gebrucht werden magen. ... Item wo auch etlich Pfyffen zu diser Orgell allerdings manglen würden, die soll er auch mit Neuwen pfiffen ersetzen und zurüsten. ... Item die Principal im cleinen und grossen werckh soll er gleicher gestalt ersuchen, ussbutzen und ballieren … 3
- 1 Archives municipales de la Ville de Rouffach (A.M.R.), Fonds A, Série CC, n° 23/1.
- 2 A.M.R. Registre du Magistrat, sous le titre «Verding der Orgell und Bellg », Fonds A, Série BB 8/178' et 179.
- 3 A.M.R., A/BB 8/178' et 179.
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Cet orgue devait être terminé pour la Saint Michel, sans doute de la même année, puisqu'il ne s'agissait que d'une réparation et coûterait à la ville 72 florins, auxquels devaient s'ajouter 2 florins payés par le curé et deux autres payés par l'organiste.
L'orgue de Hans Klein
Le 4 juillet 1604, Hans Klein, bourgeois de Strasbourg et facteur d'orgues, s'offre à remplacer l'ancien instrument, arrivé en fin de vie, in Abgang kommen 4, s'agissait-il encore de l'orgue remis en état et complété par Chrisostome Letzer ? C'est probable, encore qu'à Rouffach, en matière d'orgue, il faille être très prudent, les orgues de l'église Notre-Dame ayant, nous le verrons plus loin, une existence souvent assez brève...
Description et emplacement de l'orgue
L'ancien orgue est donc en ruines et il convient de le remplacer par un nouvel instrument dont Hans Klein fournira le dessin et le devis 5. Il s'agit, on peut le voir, d'un orgue à trois tourelles, comportant 8 jeux, sans positif de dos, avec pédale en tirasse. Sur le dessin, le plus grand tuyau de montre présente cette annotation : diese pfeyf sol 8 fhuslang sein, ce tuyau doit mesurer 8 pieds, (env. 2 mètres 60). L'instrument est flanqué de deux volets, destinés à être rabattus sur la façade, autant pour protéger les tuyaux de montre que pour décorer l'instrument ; à ce sujet, il convient de remarquer que le dessin comporte une erreur puisque, tels qu'ils sont représentés, les volets ne peuvent pas recouvrir totalement les plate-faces.
Ces volets, selon toute vraisemblance, étaient décorés, à la manière d'un retable ; l'ensemble était donc destiné à être vu des fidèles. Il existait à Rouffach, dans l'église paroissiale un jubé, séparant le chœur de la nef, et dont il subsiste encore aujourd'hui d'importants vestiges. Le conseil du magistrat en a décidé la démolition en septembre 1700, mais cette décision ne prit effet qu’en février 1718.
L’instrument de Hans Klein était-il placé sur ce jubé ? Le devis évoque le mot Lettner qui servirait à supporter l'instrument, un mot qui désigne le jubé, clôture du chœur, mais qui, à cette époque désigne aussi une tribune, au fond de la nef…und hierbei ist das fundament oder Lettner ausgedingt, dessen wie auch mauren und dergleichen 7.
Jubé ou tribune au fond de l’église? Pour l’instant, nous n'avons trouvé aucun document qui permette de répondre à cette question…
- 4 A.M.R., A/DD/29/1.
- 5 A.MR., A/DD/29/8.
- 6 Au sujet du jubé de Rouffach, cf. la thèse de Dieter GRAF, Die Baugeschichte der Marienkirche zu Rufach, Inaugural-Dissertation der Doktorwürde der philosophischen Fakultät der Albert-Ludwigs-Universität zu Freiburg 1964.
- 7 A.M.E., A/DD/29/1.
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Hans Klein semble prêter une attention toute particulière aux soufflets du nouvel orgue et en particulier à l'enclos qui devait les protéger: il insiste pour qu’ils soient conçus de telle façon qu’ils soient à l'abri des rats, souris et chauves-souris qui pourraient y nicher et les détériorer. De plus il demande à ce que les souffleurs soient scrupuleusement choisis et qu'on ne permette pas aux jeunes garçons d'accéder aux soufflets.
Hans Klein s'engage à livrer cet orgue pour Pâques 1605, en échange de quoi la ville promet de lui payer 350 florins.
Le devis de Hans Klein
Le devis, reproduit sur le plan, ne manque pas d'intérêt pour l'histoire de la facture d'orgue.
L'instrument comprendra 8 jeux : Principal, Octaf, pusauna, copel, holflette, quent, Sedetz, Mixtur, Principal 8 pieds, Prestant 4 pieds (à l’octave du jeu précédent), trombone (un jeu d’anches), une flûte « creuse », une quinte, une sedetz ou sedecima qui est une double octave aiguë, sans doute ici une doublette de 2 pieds et un jeu de mixture. Hans Klein propose de fabriquer les tuyaux du Principal, du bourdon, de la flûte et de la quinte, qu'il désigne comme les 4 plus grands jeux, die 4 grössten register, en bois, car, selon lui, ils sont aussi doux et plaisants mais bien plus stables que ceux de métal dan sie eben so liblich und fil bestendiger send dan von Medal 8. De plus les tuyaux en métal se détériorent rapidement : man sieht das das Medal verfaultt und durch das Schwitzin em salbetter drine wachst der es dan heftig verherd, wie man dan albereydt seht in diesem werck im Münster (...) und das Holzwerck noch gar gut ist 10 …
Tous les autres tuyaux seront en métal, ainsi cet instrument sonnera plus fort et plus agréablement que tout autre : so weys ich das theses werck so starck und so lieblich je einer geherdt ist worttin 18
Un tel instrument, poursuit Hans Klein, vaudrait bien 400 florins, d'autant plus que peu d'éléments de l'ancien orgue peuvent être récupérés. Les soufflets, Hans Klein n'en précise pas le nombre, doivent également être agrandis; quant au buffet, Corpor, il tombe en ruines : das Corpor wil gar zerfaln, so sind die fligel auch nicht mer werdt, wie es dan der augen schein selber gibt.» 11
Tous les 8 jeux doivent également pouvoir être utilisés à la pédale. De plus cet orgue sera pourvu d'un tremblant et de l'indispensable rossignol : auch soll in dises Werck einen gutter trimulant gemacht werttin und ein Vogelgsang12. Par contre, il n'y aura pas de positif de dos, et l'argument avancé par Hans Klein en faveur de sa suppression est pour le moins original : …was das rug posadif anbelangt beger ich in emn
- 8 A.M.R., A/DD/29/8.
- 9 A.M.R'., A/DD/29/8.
- 10 A.M.R., A/DD/29/8.
- 11 A.M.R., A/DD/29/8.
- 12 A.M.R., A/DD/29/8.
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Werck zusamen zu machen und ist auch fil nutzlicher dan sie gar unbestendig sindt, dan wan ein Organist pedaliter schlegt, so bewegt sys und bleybt nicht gestendt 13 : pour ce qui est du positif, le facteur propose de le placer à l’intérieur du buffet où il sera, selon lui, bien plus utile, parce qu’habituellement, les positifs de dos, lorsque l’organiste utilise le pédalier, bougent et le son devient instable !
L'affaire de l'orgue Hans Klein
Cet instrument devait donc normalement être livré pour Pâques 1605. Les archives de la ville n'ont malheureusement pas conservé le procès-verbal de réception qu'on n'a certainement pas manqué d'établir à ce moment-là. Ainsi que le prouve un document de 1606 14, Hans Klein avait garanti son ouvrage pour une durée d'une année à compter de la date de livraison. Cette année de garantie arrivait donc à terme au printemps 1606.
La ville ne devait guère être satisfaite de l'instrument qui lui avait été livré, puisque le 19 avril étaient convoqués par le conseil trois, pas moins, organistes et facteurs d'orgues, chargés de relever les insuffisances, vices de construction et détériorations pouvant être observés sur l'orgue de Notre-Dame de Rouffach.
Les archives de la Ville de Rouffach n'ont conservé que deux de ces rapports d’expertise, mais on peut aisément, après avoir lu les deux premiers, deviner le contenu du troisième. En effet, jamais expertise d'orgue n'aura été plus incendiaire : un an à peine après son installation, cet orgue est, semble-t-il, une ruine, c'est l’œuvre, diront les experts, d'un facteur peu habile ou peu consciencieux... Le premier de ces deux rapports est signé Melchior Störcklin, religieux et organiste à Marbach 15. Le second est établi par Johann Huodt, Orgelmacher und bürger zu freyburg in Breisgau16.
Le rapport de Melchior Störcklin
Le rapport du premier, Melchior Störcklin, est sans doute le plus sévère. Selon l'organiste de Marbach, la plus grande part des tuyaux du principal répondrait mal ou pas du tout: ... im Principal befinde es sich, dass etliche und schier das größte teil der Pfeifen nit recht angehen oder die recht natürliche Stimm von sich geben, zusonderheit die understen od. größten Pfeiffen.17
Dans les principaux, montre et prestant, il se trouve que plusieurs et presque la totalité des tuyaux répondent mal ou sonnent mal, en particulier les tuyaux les plus graves, les plus grands…
Toujours dans le principal, Störcklin remarque
- 13 A.M.R., A/DD/29/8.
- 14 A.M.R., A/DD/29/5.
- 16 A.M.R., A/DD/29/2. S'agit-il du Störcklin cité par BARTH d'après VOGELEIS dans : Elsass, das Land der Orgeln, in Archives de l'Eglise d'Alsace 1965-66, p. 252 ? Les dates correspondraient, mais BARTH donne comme prénoms P. Wilhelm.
- 16 A.M.R., A/DD/29/3. Dans Elsass, das Land der Orgeln, BARTH cite à plusieurs reprises Hans Hutt, auteur du petit orgue de choeur de Saint-Martin de Colmar (1608, 8 registres) et de l'orgue de Riquewihr (1609). Dans Saisons d'Alsace, no 69, Bilan de la facture d'orgue et de l'organologie, p. 69, M. MEYER-SIAT semble attribuer à Hans Huodt le grand-orgue de Battenheim (1616), en précisant toutefois que l'affaire n'était pas totalement élucidée.
- 17 A.M.R., A/DD/29/2.
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que certains tuyaux sonnent plus fort que d'autres, alors que, selon l'expert, ils devraient tous être bien égaux :… sie sollen aber alle ungefürlich gleichstimmen, die (...) keine die ander überschreien…18. Selon l’expert, ils devraient tous sonner en harmonie et non pas que les uns sonnent plus fort (ne hurlent plus fort!) que les autres !
Le paragraphe suivant fait état d'une insuffisance majeure, toujours dans le principal : ... item eben in diesem Register befinde es sich, das pfeiffen von andern Registern zue diesem und volgents in allen Registern zuestehen laufen, also das eine einzige Pfeiff zwo stimm gibt 13
Dans ce principal, certains tuyaux d’autres registres, étrangers les uns aux autres parlent ensemble lorsqu’une note est abaissée, si bien qu’en appuyant une seule touche on entend plusieurs notes de tuyaux étrangers! Ce défaut majeur d’un sommier d’orgue, appelé emprunt, est causé par une fuite d’air entre deux gravures voisines, due à un décollement accidentel ou un vice de construction, c'est encore aujourd'hui ce qui peut arriver de plus grave dans un orgue. Ces emprunts seraient dus, toujours selon les termes de l'expertise, au peu de zèle ou au manque d'habileté du facteur dans la fabrication des sommiers (Windladen) :... dan in Wendig die Windtladen unfleißig gemacht, und volgendts der Windt nit recht beschlossen wirt 20
Le point suivant concerne l'accord de l'orgue: ... dieses Register soll vornammlich voll eingestimbt sein, dan die andern Register sollen sich auf dieses refirn. Weyl aber dieses nit recht gestimbt, so sind volgendts die andern diesem gleich an der Stim 21 Le principal est mal accordé et comme on accorde tous les jeux en se référant au principal, l’ensemble de l’orgue sonne faux !
Les mêmes défauts sont signalés à propos du prestant, octava, et du bourdon, Copelwerck oder verdeckte register, dont il est dit en plus que les basses répondaient mal et même que l'on entendait plus le bruit provenant du vent que le son émis par le tuyau! Le quatrième jeu, que Störcklin appelle Schwegel, (Schweitzerpfeiff , Schweitzerpfeife ou Zwerchpfeife, flûte traversière) ainsi que les suivants, Quint, Cymbal et Mixtur oder Hindersatz , révèlent les mêmes défauts.
La description de l'état des tuyaux ne manque pas de surprendre. Un an très exactement après la mise en service de l'orgue, voici ce que découvre l'organiste de Marbach : so befind ich aber das das Pfeiffenwerck derrnaßen verschnitzen, zerspalten, zerkrumbt, gebogen und zuegedruckt also das sie die Stimm nit lang können behalten 22
Les tuyaux sont si entaillés, tordus et écrasés qu’il est impossible qu’ils puissent sonner et rester au ton!
De plus ces tuyaux sont si serrés qu'ils se touchent : also das sie keine rechten Stimm von sich geben sondern treren und schättern 23, aucun ne peut vraiment sonner librement et s’entrechoquent (avec un bruit de casseroles !) Quant au vent qui alimente ces tuyaux, il est dit de lui qu'il était fort irrégulier, schwankend und schuckendt, instable avec des à-coups ! Un grand nombre de soupapes ferment mal, à cause de la faiblesse des ressorts. Ces mêmes soupapes sont jugées trop larges, ce qui a pour conséquence une traction lourde et un toucher trop ferme.
Störcklin réservera pour la fin de son rapport un autre défaut majeur: ... Die Recht und beste Prob halt das Werck nit, in ansehung weil im ab oder niederdrucken des Klaviers die Register beschloßen und zu seind, solichmaßen und zu grob angehen, ursach dann die Windtladen und Register seind unfleißig gemacht worden und darumb halt es
- 18 A,M.R., A/DD/29/2.
- 19 A.M.R., A/DD/29/2.
- 20 A.M.R., A/DD/29/2.
- 21 A.M.R., A/DD/29/2.
- 22 A.M.R., A/DD/29/2.
- 23 A.M.R., A/DD/29/2.
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den Windt nit. Dieses ist der vornehmste Hauptmangel » 24
L'expert s'empresse d'ajouter que cette liste de malfaçons est loin d‘être exhaustive et qu’il y aurait encore beaucoup à dire! : …Sumariter zu reden, so wird in diesem Orgelwerck durchaus in allen Sachen gar einen schlechter Fleißprob und Werschafft gesehen und gespart. Es wären zwar von des Werck besser durchsuecht und geprobiert würde andere Mängel zu finden. Diese jetzt gemeldt seindt aber die größten… 25
Frère Melchior Störcklin termine son long rapport de trois pages d'une écriture serrée et nerveuse par une formule qu'il nous a semblé intéressant de reproduire: …Diese obgemelte Mängel hab ich ohn einige gefar niemands zu Lieb noch zu Leid, sonder wie die Warheit an im selbsten solches bezeugt, nach meinem besten Judicio und Salva Consientia welches ich vor Gott trauw sicherlich zu verantworten erfunden… 86
Qui songerait à accuser un religieux de l’abbaye de Marbach de mauvaise foi, de mensonge et de partialité?
Le rapport de Johan Huodt
Le rapport établi par Johan Huodt n'est guère plus charitable. Il note, lui aussi, le manque d'étanchéité des sommiers et les emprunts : ... Es würt befunden das die wint ladt der uff das Pfeiffenwerk stot, zwüsen den registern und wint fürung der Wint zuesamrnen lauft und sich die Pfeiffen haren lassen, so alle register abzogen. Das ein großer mangel ist. Auch befunden so alle register abzogen und ein clavis nach den andern drückt, etliche pfeiffen hören lassen das auch ein großer mangell ist 27
Il ajoute un détail important que le religieux de Marbach n'avait pas signalé. Mais il avait bien précisé qu’il restait encore beaucoup à redire ! ... Auch befunden das Clafir dem organisten nit recht breuchlich so man daruf greift wirt der Claves umbs halb hin ab gedrückt das kein pfeiff anspricht und das ventill nicht uf gat 98
Cette fois, il est question du toucher de l’orgue : pour faire parler un tuyau il faut enfoncer la touche de plus de la moitié pour que la soupape s’ouvre enfin !
Le facteur d'orgue de Fribourg ne montre guère d'indulgence pour son confrère de Strasbourg, puisqu'à plusieurs reprises il utilisera dans son rapport le mot unfleißig, de peu de zèle, de peu de conscience professionnelle et de savoir faire : auch befunden das ... die Balg gar unfleißig gemacht. auch befunden das pfeiffenwerck ser unfleißig gemacht 59
Pour les amateurs de paléographie: le rapport d'expertise de Johan Huodt 1606, page 1
Rapport d'expertise de Johan Huodt, page 2
On peut imaginer aisément, sans courir trop de risques de se tromper, ce que pouvait dire le troisième rapport..
La fin de la polémique
Quatre jours après la journée des experts du 19 avril, le 23 avril 1606, Hans Klein reconnaît avoir touché de la ville de Rouffach
- 24 A.M.R., A/DD/29/2.
- 25 A.M.E., A/DD/29/2.
- 26 A.M.R., A/DD/29/2.
- 27 A.M.R., A/DD/29/3.
- 28 A.M.R., A/DD/29/3.
- 29 A.M.R., A/DD/29/3.
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la somme de 240 florins 30. Et c'est là qu'on ne comprend plus très bien : pourquoi la ville paie-t-elle, pendant la période couverte par la garantie, un acompte sur un ouvrage que tous les experts s'accordent à trouver lamentable?
La contre-expertise de Johannes N.
Le 7 juillet 1606, Johannes N. Pollweilerischen instrumentist , musicien instrumentiste de Bollwiller expertise à nouveau l'orgue et son rapport sera transmis à la ville de Rouffach par les soins de Hans Klein, le 8 août 1606 81. Deux mois et demi ont donc passé entre ce rapport de l'expert bollwillerois et les trois premiers. Que s'est-il passé entre temps? Nous ne saurions répondre.
Toujours est-il que cette nouvelle expertise, la dernière cette fois, est souvent flatteuse et toujours très indulgente, ainsi qu'on pourra le voir.
Johannes N. trouve d'abord que l'orgue est parfaitement accordé, le principal comme tous les autres jeux. Il admet cependant qu’effectivement, certains tuyaux parlent plus fort que d'autres. En présence de quelques membres du Conseil, on a cherché à porter remède à ce défaut, sans toutefois y parvenir. Il semble d'ailleurs tout à fait impossible d'arriver à une harmonisation parfaite, étant donné le procédé même de la fabrication des tuyaux : dann jederzeit eine bosser als die ander in dem giesen und machen gereth ! 32
Les experts du 19 avril avaient relevé comme défaut majeur les emprunts d'une gravure à l'autre et d'une façon générale le peu de soin dans la confection des sommiers. Là encore, l'expert de Bollwiller ne verra aucune malfaçon : zuem 4. haben wir alle Register abgezogen und beschlossen, und das Clavir getruckht. Da ist khein einige Stim am Clavier gehert vvorden, allso das die laden, welches das fürnembst ist, wol versorgt ist 33
Et si on avait décelé des emprunts quelques mois plus tôt, c'est tout simplement parce qu'on avait omis de resserrer quelques vis : ... ist ursach gewesen, das die schrauffen nit starckh genug angezogen sein gewesen 34
Johannes N. semble prêt à trouver une explication, sinon une excuse à toutes les malfaçons signalées par les autres experts, ainsi qu'en témoigne le cinquième paragraphe de son rapport: dass das Clavier zimblich hart, ist nicht newes, dann under zwainzig werckhen werden nit they gefunden die leiss zueschlagen sein, da aber dises werckh fein mit bescheidenheit offt gebraucht wirdt, ist guet darfür, auf das es je genger und linder wirdt ! 35 Si les claviers sont durs et bruyants, rien de plus normal: sur vingt orgues, il n'y en a pas trois qui n'aient pas pareils défauts, qui disparaîtront avec le temps; en utilisant l'instrument fréquemment, de manière douce et raisonnable, le toucher deviendra doux et léger et fluide!
- 30 A.M.E., A/DD/29/4.
- 31 A.M.R., A/DD/29/5 Johannes N. n'a pu être identifié.
- 32 A.M.R., A/DD/29/5.
- 33 A.M.R., A/DD/29/5.
- 33 A.M.E., A/DD/29/5.
- 34 A.M.R., A/DD/29/5.
- 35 A.M.R., A/DD/29/5.
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Le paragraphe suivant est encore plus étonnant. On se souvient que l'un des rapports précédents relevait le mauvais état des tuyaux qui étaient, pour la plupart, cisaillés, déchirés, fendus, tordus et écrasés. Rien de plus normal, selon notre expert, qui oublie cependant que cet orgue n'est en service que depuis un an: ... das die Pfeiffen zimblich verschnitten und vertruckht, kinden wir dem Orgellmacher khein Ordnung geben, ursach, der em, wann er stimbt, so stimbts er eintweder mit dem Stirnmhorn, der ein schneidt darauss, der ander trukhts zue samen, der dritt schlizts voneinander, allso wie es einem guet gedünckht, so braucht ers ... ! 86 Que les tuyaux soient tailladés ou écrasés, rien de plus normal: parmi les facteurs d'orgues, lorsqu'ils accordent, certains utilisent l'accordoir, mais d'autres écrasent l'extrémité du tuyau, d'autres en coupent un bout, d'autres enfin l'entaillent, chacun fait à sa guise!
Johannes N. admet que les soufflets sont bruyants, mais est là défaut mineur pouvant être réparé aisément Il conviendrait également, à l’avenir, de mieux choisir le souffleur : gehört ein flisiger Orgeltredter darzue, nit das einer darauf hupft undt spring, sonder fein, stet und sitsam ziehe 27 et en engager un qui ne courre ni ne saute sur les tables des soufflets!
En conclusion, l'expert estime que cet orgue est tout à fait acceptable et en état d'être reçu définitivement par les autorités de Rouffach, la garantie consentie par maître Klein étant venue à terme. Il faudrait cependant qu'à l'avenir l'instrument soit traité avec plus d'égards, que n'importe qui ne puisse plus manipuler les tuyaux et ouvrir les layes pour accéder aux sommiers, et surtout qu'on veille à l'utiliser souvent afin que la vermine ne puisse s'y installer!
La réception définitive de l'orgue
Le 10 août 1606, Hans Klein, der Orgelmacher, Bürger zue Strassburg 38, fait parvenir à la ville de Rouffach la quittance de ce qu'elle lui devait pour les travaux effectués dans l'église paroissiale. Nous apprenons ainsi que le marché initial faisait état d'une somme de 360 florins à laquelle il fallait maintenant ajouter 80 florins : le devis initial proposait, on s'en souvient, quatre jeux devant être construits en bois. Or, en fin de compte, ces jeux, sans doute à la demande de Ia ville, ont été réalisés en métal :... da ich an statt der erst gefelligen und vorwilligten hültzin Pfeiffen andere von Metall giesen, fertigen und anrichten 39 Ce qui fait un total de 440 florins auxquels il faudra encore ajouter, et c'est là un détail intéressant, 2 florins pour travaux de peinture : darumb das ich das holtzwerckh, Fliegel und anders an derselben Orgel, mit weisser farb eingefast und angestrichen. 40
Dans cette même lettre, Hans Klein renouvelle sa garantie, en des termes qui ne permettent pas de douter de son extrême conscience professionnelle. Mais peut-être avait-il beaucoup à se faire pardonner ? ... so hab ich mich, nach wie vor, bey Treuw, Ehr und Glauben verbunden,
- 36 A.M.E., A/DD/29/5.
- 37 A.M.R., A/DD/29/5.
- 38 A.M.R., A/DD/29/6.
- 39 A.M.R., A/DD/29/6.
- 40 A.M.R., A/DD/29/6.
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zuegesagt und versprochen, und tue das hiemit fürbedächtlig, das ich umb these meine Arbeit und außgemachte Orgell Jahr und Tag guete wehrschafft geben und tragen. Und wo daran, inmittels einiger Unfleiss, presten oder mangel, es seye an pfeiffen, Clavier, Pedall und Windtladen, Ventillen bälgen oder anderm dergleichen befunden werden und erscheinen solten (wie ich nit verhoff) dieselben, ungeacht und mit hindansetzung aller andrer meiner geschefften und verhinderungen, ohnverzugenlich in bestimbter Zeit, so balt ich dessen vergewisst, in meinem selbst und ohne des Statt kosten trewlich gewißlich ersetzen oder verbessern, oder das solches würckhlich beschehe verschaffen 41
On ne saurait mieux dire... A titre de comparaison, l'orgue actuel, cet orgue «…sauvagement hybride,…dont toutes les pièces ont une origine différente sans aucune unité de style, et qui fonctionne tout de même, pour des raisons évidentes... » 42 et qui, signalons-le au passage est tout de même un Claude Ignace Callinet de 1855, cet orgue donc était garanti par Callinet pendant dix ans: «... le dit facteur garantit pendant dix années la solidité de son ouvrage à partir du jour de l'achèvement... » 43 Le langage employé par Callinet est bien moins pittoresque que celui de Hans Klein, mais au moins son instrument a tenu pendant plus de 150 ans et fonctionne encore ...
Le dernier document concernant l'orgue Hans Klein est le décompte des dépenses relatives à l'orgue, établi par la ville de Rouffach et qui fait apparaître un total de 442 florins 44, très exactement la somme que l'on retrouve dans le mémoire de Hans Klein.
Voilà donc terminée l'histoire de l'orgue Klein de Rouffach. Cet instrument aura d'ailleurs une vie très éphémère puisqu'en 1626, un peu plus de vingt ans après, il sera entièrement démonté et remplacé par un orgue neuf, construit en Suisse par un facteur d'orgues de Bremgarten, Thomas Schott. Le 5 mai 1626, cet orgue traversa le Rhin à Neuenbourg et arriva le soir même à Rouffach, chargé dans cinq voitures. Le montage de l'orgue sera terminé vers le 11 juin 1626 45.
Le premier document dans lequel il est à nouveau question d'orgue date de 1694 46. Le siècle suivant, le XVIIIème, a laissé aux archives de Rouffach un dossier complet sur l'orgue, que l'on peut suivre depuis février 1758, date du premier devis de Dubois jusqu'à l'orgue actuel, en passant par les travaux de Joseph Rabiny, François Callinet et Joseph Callinet.
- 41 A.M.R., A/DD/29/6.
- 42 P. MEYER-SIAT, Les Callinet, facteurs d'orgues à Rouffach et leur œuvre en Alsace, Istra 1965, p. 100.
- 43 Registre des délibérations du Conseil de Fabrique, délibération du 23 avril 1854.
- 44 A.M.R., A/DD/29/7.
- 45 A.M.R., A/DD/29/9.
- 46 Cité par VOGELEIS dans Quellen und .Bausteine zu einer Geschichte der Musik und des Theaters im Elsass, Strasbourg 1911.
L'histoire de l'orgue à Rouffach, celle également des organiers et des organistes, est une longue histoire, riche en péripéties de toutes sortes, mais histoire toujours passionnante, dont une autre page sera tournée au printemps 1982, avec la restauration Alfred Kern.
Gérard MICHEL