La ruelle du saint Esprit, vous connaissez ?
Pourquoi une ruelle du saint Esprit à Rouffach ?
Vers 1180, Guy de Montpellier (1160-1208) fonde l'ordre des Hospitaliers du Saint-Esprit et de la confrérie du Saint-Esprit dont la vocation est d'accueillir tous les déshérités de la vie, les enfants abandonnés, les pauvres et les malades. L’ordre se répandit rapidement dans toute la chrétienté, surtout en Italie et en France, avec près de 800 maisons. En Allemagne, il y en eut beaucoup moins, une dizaine, surtout en Allemagne du Sud : le premier et le plus important d’entre eux était situé en Alsace, à Stephansfeld, fondé vers 1210, au sud de Brumath. En 1270 est fondé une filiale de Stephansfeld, l’hôpital du Saint Esprit de Rouffach, que l’on appellera altes Spital, le vieil hôpital, pour le distinguer du neues Spital, le nouvel hôpital, l’hôpital saint Jacques, cité pour la première fois en 1311.
L'ordre a connu son apogée au XVe siècle, avec près de mille hôpitaux à travers l'Europe puis disparut presque totalement au XVIIIème siècle pour ne subsister aujourd'hui principalement qu'en Espagne et en Pologne.
Plusieurs passages de cet article sont tirés du chapitre que François Boegly a consacré à l’histoire de l’Hospice du Saint Esprit dans l’ouvrage Histoire de la maison saint Jacques de Rouffach pages 41 à 61. Le lecteur souhaitant des informations plus complètes se reportera avec profit à cet ouvrage dont il trouvera les références dans la bibliographie, en fin de l’article.
Un des rares vestiges de l’Ordre hospitalier du saint Esprit, à Rouffach.
L’établissement de Rouffach comportait plusieurs bâtiments : la chapelle, l’hospice séparé de l’hôpital par le passage (couvert?) de l’Ombach, des bâtiments annexes servant de logement, le moulin à farine et sa boulangerie sur le même Ombach et une cour dimière dans la rue Ullin (les parcelles de 785 à 793 du plan ci-dessous).
Aujourd’hui, il ne reste de cet ensemble que le nom de la ruelle qui en longeait un des côtés, la ruelle du saint Esprit. Tout le reste a disparu ou a été profondément restructuré.
(en noir, le cours de l'Ombach)
d’après le plan cadastral de 1812 (A.M.R. MI - G1 n° 24)
La chapelle, ruinée, a été vendue comme bien national en 1791 : elle sera démolie et sur son emplacement on construira un immeuble à deux étages, dans l’alignement de la rue qui sera acquise en 1848 par François Xavier Muller. Il y installera une boucherie-charcuterie Muller qui restera dans la même famille, pour cinq générations, pendant un siècle et demi. (parcelle 906 sur le plan ci-dessous, avec l’autel extérieur)
L’hospice avait été vendu au début du 17ème siècle et sera acquis en 1901 par la sœur de Thiébaut Walter : l’immeuble abritera le magasin de fer Witschger-Walter et passera à Théo Walter et son épouse ( parcelle 907 sur le plan. 908 et 909 sont des dépendances).
Le moulin n’a pas été vendu comme bien national et appartenait à la famille Riegert depuis la fin du 17ème siècle : d’abord moulin à farine il deviendra moulin à huile avant d’être détruit en partie pour élargir l’actuelle rue du Maréchal Lefèbvre. (parcelle 828 sur le plan)
Quant à la grande cour de la rue Ullin, elle a laissé place en partie à une construction abritant la quincaillerie Walter, à l’angle de la rue du Mal Lefebvre et de la rue Ullin. (les parcelles de 785 à 793, dans la rue Ullin, Eulen Gässle)
Le reste a été profondément remanié, et il n’en reste plus rien…
… quoique ?
Dans notre recherche des marques de tailleurs de pierre, nous avons retrouvé récemment un vestige de ce qui pourrait être la seule trace laissée par l’ordre du Saint Esprit à Rouffach : dans l’un des jambages du portail de l’ancienne ferme de la rue Ullin ont été réutilisés deux blocs de pierre, les deux remontés à l’envers, sur lesquels figurent deux écus. Nous n’avons pas encore pu identifier l’un d’entre eux, mais l’autre représente l’écu de l’ordre : une croix à double croisillon, dont les extrémités sont élargies en forme de croix pattée à branches évasées, que Guy de Montpellier avait adoptée pour l’ordre des Hospitaliers du Saint Esprit.
Sans doute subsiste-t-il d’autres vestiges de cette vieille institution, préservés de la démolition, à l’intérieur des maisons profondément restructurées. Les anciens rouffachois se souviennent sans doute de la découverte d’un autel extérieur sur la façade occidentale de la chapelle à l’occasion de travaux effectués à la quincaillerie Walter en avril 1966 : le maître, Bechtold de Pforzheim, avait fait installer un autel pour les malades hébergés à l’hôpital pour qu’ils puissent voir le Saint Sacrement depuis leur lit… sur l’autre rive de l’Ombach qui coulait entre l’hôpital et l’hospice !
Il subsiste encore de belles chartes sur parchemin conservées aux archives municipales de Rouffach. En particulier celle de la donation par Jacob de Rathsamhausen, datée du 27 février 1270, du terrain sur lequel a été construit l’hospice. Ce document rédigé en latin, en parfait état de conservation, auquel il ne manque que les deux sceaux, est le plus ancien conservé aux archives.
Un autre document, daté du 13 juillet 1338, accordant des indulgences aux bienfaiteurs de l’ordre, est reproduit ci-dessous. C’est grâce à ces indulgences que l’ordre s’est rapidement enrichi et a pu acquérir un patrimoine considérable.
A.M.R. GG 56 P.34 13 juillet 1338
Nous n’avons pas encore réussi à identifier l’écu figurant sur l’autre pierre de la rue Ullin : peut-être un lecteur saura-t-il ?
Gérard Michel
Bibliographie :
Theobald Walter : Das Spital des Ordens zum Heiligen Geiste in der Stadt Rufach
Paul Adam : Charité et assistance en Alsace au Moyen-Âge Istra 1982
Julien Noguès : La commanderie hospitalière du Saint Esprit de Stephansfeld (1216 – 1774) Bulletin de la Société académique du Bas Rhin 2015 – 2016
François Boegly - Pierre-Paul Faust - Gérard Michel : Histoire de la maison saint Jacques de Rouffach Tome 3 Retour aux origines Jo Bentzinger 2013