N'en déplaise à ceux qui prétendent le contraire, les veaux volent!
Tout au moins à Eguisheim, en avril 1630 ! A cette époque on réussissait, avec la complicité de l'Esprit mauvais, à faire décoller à peu près n'importe quoi: charrettes, bâtons, fourches, mais jamais de balais!, chiens, chats, lièvres, veaux, chevaux, loups... A califourchon sur ces drôles de montures, sorcières et maîtres sorciers passaient par-dessus remparts et portes de la ville pour rejoindre leurs comparses et fiancés diaboliques pour célébrer leurs noces sataniques au sommet du Bollenberg, par exemple...
C'est tout au moins ce que ces malheureux et malheureuses avouent à l'issue de longs interrogatoires, après avoir été soumis à la Question, appliquée par l'exécuteur des Hautes Œuvres, le bourreau de la ville et ses aides...
C'est le cas de Maria Schlosser, la sage-femme d'Eguisheim, qui, le 23 avril 1630, reconnait dans le troisième item de ses aveux, avoir rejoint une douzaine de ses pareilles, à califourchon sur un veau, suivant son fiancé diabolique Peterlein qui lui, montait un poulain...
Zuem dritten, über dreÿ Wuchen inn der nacht seÿ dieser, welcher PETTERLEIN genanth aber mahls zue ihren komen, befohlen uff ihres Meisters Kalb zue sitzen und sagen: „Pal hin (?) ins Teüffels Namen“. Er aber seÿ uff einem jungen Ross oder Füllin gesessen und miteinander uff den Rimesen, welches ein Egerten oder Weter Flam ist, gefahren.
Was nun dieser mit dem Kalb gemacht daβ es furth in die Lufft gefahren, könn sÿ nit wissen. Seÿen wol 12 Persohnen von Weib und Man alldort gewesen, hab aber niemanden, dan zweÿ Maidlen so ihren Gespihlen gewesen köndt, disen seÿen vorlangst gestorben, die eine hab ein Pastert bekhommen, die ander hab sich verheürath, etlich Künder bekhommen, volgents auch gestorben, uff solchem Platz haben sÿ zecht, dantzt und Beÿlag geleistet, kein Brodt noch Salz gehabt.
En troisième lieu, il y a trois semaines, Peterlein l'a rejointe dans la nuit et lui a ordonné de s'asseoir sur le dos d'un veau qui appartenait à son maître et de prononcer la formule "pal hin (?) au nom du Diable". Lui même chevauchait un jeune cheval, un poulain (Füllin). C'est dans cet équipage qu'ils se sont rendus au sommet du Rimesen (? un lieu-dit d'Eguisheim) qui était une jachère (Egert) ou Weterflam (Wetter Flamm désigne habituellement la foudre. S'agit-il ici d'un lieu particulièrement connu ou craint pour ses impacts de foudre?). Comment Peterlein a bien pu faire pour convaincre un veau de s'élever dans les airs, elle n'en savait rien... Il devait bien y avoir une douzaine de personnes là-bas, hommes et femmes, mais elle n'en connaissait aucune. Sauf deux filles qui avaient été ses comparses (ihre Gespihlen) il y a bien longtemps et qui étaient déjà décédées toutes deux.L'une d'elles avait accouché d'un bâtard (ein Pastert), l'autre s'était mariée et avait eu des enfants.
A cet endroit, ils ont tous célébré leurs noces, mangé, dansé et "couché ensemble" (Beÿlag leisten), mais au banquet, il n'y avait eu ni pain, ni sel...
Il y a quelques années j'ai été convié à assister à un colloque qui réunissait quelques éminents universitaires que l'on avait présentés comme grands spécialistes des procès de sorcellerie en Europe. Je crois même qu'il y a avait dans le lot une américaine... Entre autres sottises j'ai entendu dire par l'un de ces spécialistes que jamais il n'avait été écrit dans aucun procès-verbal que les sorciers prétendaient passer au-dessus des portes et des murs des villes, par les airs. Je n'ai pas osé intervenir pour dire que je pouvais leur présenter une bonne douzaine d'exemples, textes originaux à l'appui, qui les contredisaient: le verbe allemand fahren peut aussi s'appliquer à un déplacement dans les airs... durch die Luft fahren...
Je crois qu’ici, c’est sans ambiguïté : das Kalb ist furth in die Luft gefahren, et Maria SCHLOSSER est étonnée et se demande comment Peterlin a bien pu réaliser ce prodige ! Le veau était initialement au sol (comme tout veau normalement constitué, sur ses quatre pattes) et il a décollé (fort gefahren) du sol pour aller dans les airs (in die Luft), avec sa cavalière !
Transcription et traduction Gérard Michel