Ce traité publié par deux dominicains, Heinrich KRAMER (Henri Institoris) , dominicain de Sélestat et Jacob SPRENGER, prieur du couvent de dominicains de Cologne, est une véritable œuvre de propagande de l’Inquisition et fut le point de départ de la chasse aux sorcières : édité en petit format afin que les juges puissent le consulter aisément lors des procès, l'ouvrage eut un succès considérable et fit l'objet de 34 d'éditions latines depuis sa parution à Strasbourg en 1486 ou 1487 jusqu'en 1669.
1. La Bulle papale Summis desiderantes affectibus de 1484
Le Hexen Hammer doit en partie son succès considérable au fait que ses auteurs ont placé au début de leur traité la Bulle papale Summis desiderantes affectibus (en français : « Désireux d'ardeur suprême ») de 1484 du pape INNOCENT VIII, dans laquelle le pape reconnaît l’existence de la sorcellerie et donne tous pouvoirs aux inquisiteurs pour pourchasser, arrêter et condamner les sorciers et les sorcières apparues dans plusieurs régions de l’Allemagne, notamment en Rhénanie.
Cette bulle papale confère au Malleus Maleficarum un caractère d’autorité qui explique son succès. Il sera pour les juges ce que le Code Civil est aujourd'hui pour nos magistrats: le fondement légal de la chasse aux sorcières, le Manuel de procédure que les juges suivront à la lettre dans toutes les affaires de sorcellerie.
2. Le plan de l'ouvrage
L’ouvrage comporte trois parties distinctes qui semblent s’adresser chacune à un public précis :
- la première essentiellement théorique s’adresse davantage aux théologiens : elle se compose de 18 « questiones » concernant l’origine de la sorcellerie, les rapports entre les démons et les sorcières, leurs pouvoirs et la question de la permission divine. Une bonne partie de cette section affirme que les femmes, à cause de leur faiblesse et de l’infériorité de leur intelligence, seraient par nature prédisposées à céder aux tentations de Satan.
- la seconde s’adresse plutôt aux prédicateurs : elle se compose de deux questions principales. La première traite de la question de savoir à qui peuvent nuire les sorcières, la seconde expose les moyens de se défendre et de se préserver face aux ensorcellements.
- la troisième partie est un manuel de procédure proposé aux juristes dans les procès de sorcellerie.
3. L’image de la femme véhiculée dans le Malleus Maleficarum
Le titre de l’ouvrage est révélateur: Malleus maleficarum et non maleficorum. C’est bien la femme qui est visée…Le titre même du livre présente le mot maleficarum (avec la voyelle de la terminaison au féminin) et les auteurs déclarent que le mot femina (femme) dérive de fe et de minus, c'est à dire foi mineure!
Une partie importante de la première partie du livre affirme que la femme, à cause de sa faiblesse et de l’infériorité de son intelligence, est une sorcière par sa nature, qui pervertit ses propres enfants et ses proches.
Dans la constitution de la première femme, il y eut une faute, car la femme fut faite d’une côte courbe et d’une direction opposée à celle de l’homme. En conséquence c’est un animal imparfait, ainsi la femme ne peut que décevoir.
On s’aperçoit après examen attentif que la plupart des royaumes de ce monde ont été ruinés par des femmes ...
Sprenger et Institoris donnent comme exemple Troie qui doit sa perte à une femme, Hélène, et que des milliers de grecs perdirent la vie dans des combats dont elle est était à l’origine… Le royaume de Juifs aurait, selon eux, disparu à cause de Jézabel et Rome à cause de Cléopâtre.
Et ils poursuivent :
Elle est née menteuse et tous ses mots ne sont qu’aiguillons venimeux… Elle est plus cruelle que la mort car celle-ci est naturelle et ne détruit que le corps ; le péché qui suinte de tous les pores du corps de la femme détruit l’âme en la privant de la grâce et jette le corps dans les abîmes du péché…Toute la sorcellerie vient du désir charnel qui, chez elles, est insatiable. Pour se satisfaire, elles n’hésitent pas à épouser des démons…
La femme est donc la cause de tous les maux, c’est par elle que Satan étend son pouvoir sur le monde chrétien.
D’autres démonologues vont reprendre ces idées et les développer dans leurs traités : celui de Jean BODIN, qui sévit en Lorraine, de Henri BOGUET dans le Jura, de Philippe de LANCRE dans le pays basque… et le lorrain Nicolas REMY connu pour son ouvrage sur les démons, sorciers et sorcières, Démonolâtrie publié en 1592 et qui condamna plusieurs centaines de personnes au bûcher pour satanisme.
4. Pourquoi cette vision de la femme et l’acharnement dont elle fait l’objet ?
Question difficile aux multiples réponses... L'une d'elles propose une reflexion intéressante: cette vision de la femme ne pourrait-elle pas, tout au moins en partie, être une réponse aux implications mal contrôlées d’un célibat tourmenté chez les Inquisiteurs et le clergé, et d'une sexualité refrénée, sévèrement bridée par la religion chez les juges laïcs eux-mêmes ? Ce qui pourrait expliquer la dimension sexuelle que revêtent ces procès où les juges cherchent à faire avouer aux prétendues sorcières les détails les plus intimes de leur copulation satanique, des femmes qui réaliseraient les plus inavouables fantasmes masculins…Certes, il y a eu également des hommes et des enfants, des garçons (à Rouffach) accusés, et condamnés dans des procès de sorcellerie, mais c'est le tentateur qui s'est présenté à eux sous l'aspect d'une femme pour les séduire, avant de redevenir Peterlin ou Kreütlein... c'est donc encore une femme qui est la cause de tous les maux et qui a corrompu l'homme ou l'enfant...
5. Clichés et idées reçues sur le Moyen-Âge...
1. Dans l'imaginaire collectif, les mots sorcière et sorcellerie renvoient automatiquement au Moyen Âge. Un Moyen-Âge que beaucoup situent mal dans le temps, à une époque où pourtant le Moyen-Âge est à la mode et est cuisiné à toutes les sauces: fêtes médiévales en costumes médiévaux où l'on déjeune à la médiévale dans une taverne médiévale en écoutant de la musique médiévale... Faut-il rappeler que pour l'historien, le Moyen-Âge débute avec le déclin de l'Empire romain d'Occident et se termine par la Renaissance et les Grandes découvertes, c'est-à dire qu'il s'étend du Ve siècle au XVe siècle, entre deux dates symboliques 476 après J.-C. et 1492. La tradition populaire en a fait une période sombre souvent décrite comme une période d’obscurantisme marquée par des régimes cruels, des épidémies, des guerres sans fin et des famines. Et c'est tout naturellement dans ce contexte que l'on place la chasse aux sorcières... Or, la sorcière est plutôt moderne (les historiens appellent temps modernes la période qui suit immédiatement la fin du Moyen-Âge), c'est au seizième et dix-septième siècle que la chasse aux sorcières atteint son paroxysme, notamment à Rouffach.
2. Autre idée reçue, les procès de sorcellerie ne sont pas menés par l’Église mais par la justice séculière. Les tribunaux sont des tribunaux laïques, composés de magistrats et de bourgeois issus de la ville ou du village d'où les prétendues sorcières sont originaires. Certes, les procédures utilisées sont issues des procédures inquisitoriales et la seigneurie dans laquelle ils se déroulent est, dans le cas de Rouffach, une seigneurie ecclésiastique qui cumule alors autorité temporelle et religieuse.
Gérard MICHEL août 2018