Compte-rendu du Conseil, tenu le mardi qui suit Invocavit Année LXX (1570)
L’hôpital Saint Jacques et la léproserie sont des établissements «publics» contrairement à l’hospice du Saint Esprit ou au prieuré de saint Valentin. Leur gestion est confiée à un Spitalpfleger ou un Guetleüthpfleger (administrateur de l’hospice ou de la léproserie) qui gère les recettes et les dépenses et rend compte de sa gestion au Stattschaffner (l’économe de la Ville). Mais ces deux personnages ne sont que des administrateurs et sont peu, ou pas, présents dans l’hôpital ou la léproserie. Celui qui gère la maison au quotidien est le Meister et éventuellement une Meisterin (le maître ou la maîtresse de l’hospice), rémunérés par l’hôpital, qui entretiennent les locaux, s’occupent du chauffage, de l’éclairage, ainsi que de la nourriture et qui font appliquer le règlement intérieur.
En échange de quoi, le Spitalmeister dispose gracieusement d’un logement à l’hôpital, d’étables et écuries, ainsi que de granges. Il est dispensé du paiement de la taille, des tours de garde et des veilles, sauf ordres contraires du Magistrat. Il doit exploiter les terres de l’hôpital et ses 8 schatz de vignes. Il dispose également d’un jardin à la porte de Froeschwiller.
L’examen attentif des dépenses de l’hôpital ou de la léproserie aboutit rapidement au constat qu’elles ne sont pas ou peu affectées directement aux « pensionnaires » eux-mêmes : chauffage, entretien des bâtiments, frais de blanchisserie, beaucoup de dépenses pour des frais d’écriture… et là aussi, tout est prétexte à des libations ou « troisième mi-temps » à l’issue des comptes et des bilans, qui ne profitent guère aux nécessiteux. De nourriture, point ! C’est l’argent et les denrées alimentaires collectées qui servent exclusivement à l’entretien des Bettler...
Au cours de sa session ordinaire du mardi qui suit le Dimanche Invocavit de l’année 1570, le conseil décide de congédier le Spitalmeister, qui se serait rendu coupable de mauvais traitements sur les nécessiteux de l’hôpital !
Traduction:
Item, mes seigneurs de l’honorable Conseil ont décidé que Conrad Prassberger, le maître de l’hôpital, devait être remplacé et congédié, parce qu’il traitait mal les pauvres gens.
Il a été décidé que cette fonction serait assurée jusqu’à la prochaine saint Jean-Baptiste par un autre bourgeois qui ne possède ni cheval ni charrette ni champs à cultiver, et on lui donnerait à exploiter les vignes de l’hôpital. Quant aux autres terres de l’hôpital, elles seront louées…
Note : cette décision a été modifiée, le Spitalmeister restera encore en fonction à l’hôpital pendant un an !
Texte original en allemand
Rath gehaltenn am Zinstag nach Invocavit,1 Anno d° LXX
Sannct Jacobs Spittal Meister
Item, meine Herren 2 eins ersamen Raths 3, haben erkanth dass Conrat Prassberger, der Spittal Meister, zu endern unnd zu urlaubenn sein soll, dwyl er den armen Leuthen so übell pflegt.
Also, dass man solchen Dienst biss Johannis Baptiste 4 nechstkünfftig mit eim andern Burger, so weder Ross noch Wagenn, auch keinen Ackerbauw hatt, versehen will, und Ime des Spittals Reben darzu geben, die andern Gütter wurt man sunst hinweg lyhenn. 5
Diese Erkanthnus ist geendert worden dann der Spittelmeister pleibt noch im Spittal uf 1 Jar lang. 6
Notes et commentaires:
*1. le dimanche Invocavit est celui dont l’Epître commence par Invocabit me, et ego exaudiam eum ( Il m’invoquera, et moi je l’exaucerai, je le délivrerai et le glorifierai, d’une longue suite de jours je le comblerai) C’est l’épître du premier dimanche de Carème.
En 1570 Pâques tombe le 26 mars et Invocavit le 12 février. Le texte est donc du mardi 14 février.
*2. meine Herren: Herr désigne habituellement un noble ou un ecclésiastique, ce qui n’est pas le cas ici : c'est le titre que donne par déférence le greffier de séance aux membres du conseil et au Schultheiss (ils sont bourgeois de Rouffach et n’appartiennent pas à la noblesse). La traduction littérale mes seigneurs d’un honorable Conseil ont décidé serait plus simplement par : le Conseil a décidé…
*3. eins ersamen Raths est une formule figée qui est très souvent utilisée par les greffiers pour désigner un Conseil du Magistrat, dont les membres et décisions sont honorables et respectables
*4. Saint Jean-Baptiste, fêté le 24 juin
*5. Conrad Prasberger sera remplacé par un bourgeois de la Ville qui n’aura pas à gérer l’exploitation « agricole » de l’hôpital. Au siècle suivant, il sera souvent fait mention d’un Spitalbauer, distinct du Spitalmeister . Ce Spitalbauer sera chargé de l'exploitation agricole dépendante de l'hôpital. Il semblerait ici qu’en 1570 les deux fonctions soient réunies et exercées par une même personne.
*6. Pour quelles raisons Conrad Prasberger qui vient d'être renvoyé pour faute grave est-il maintenu dans son poste? Nous n'avons pas de réponse à cette question, pour le moment.
L’impression qui résulte de l’étude des documents anciens est que l’hôpital, tout au moins celui géré par la ville, l’hôpital Saint Jacques, et non ceux gérés par une communauté religieuse, Saint Valentin ou Saint Esprit, est d’abord un lieu dans lequel on met à l’abri des regards une population de gens que l’on ne souhaite pas rencontrer dans les rues, les mendiants étrangers, Bettler et Landstreicher, et les exclus de la société, les vrais pauvres, ceux qui n’ont pas de maison où s’abriter et qui ne peuvent subvenir à leurs besoins élémentaires en nourriture, les éclopés de toutes sortes, paralytiques, aveugles, etc. En somme, plutôt un lieu d’enfermement...
On est assez loin en tout cas de l’image romantique de la jeune religieuse en cornette immaculée se penchant avec compassion sur les malades alités dans la grande salle d’un Hôtel-Dieu : mais ce sont là des maisons privées, gérées par des communautés religieuses, ce qui n’est pas le cas de l’hôpital Saint-Jacques de Rouffach...
Gérard Michel