La boucherie Xavier Muller sur l'emplacement de l'église de l'ordre du Saint Esprit
Je propose dans cet article trois documents concernant l'église de l'Ordre hospitalier du Saint-Esprit de Rouffach. De cette église et de ses annexes, hôpital, hospice et moulin il ne reste rien actuellement. Seul évoque encore son existence le nom de la ruelle proche, la ruelle du Saint-Esprit. Devenue Bien National à la Révolution, l'église fut acquise par Jean Riegert qui la fit démolir et fit construire sur son emplacement l'immeuble qui existe encore aujourd'hui, et qui abrita jusqu'il y a peu la boucherie-charcuterie Muller frères et fils. Il n'existe pas d'iconographie de cette vénérable institution dont les origines remontent au XIIIème siècle. Les traces écrites sont rares et ne permettent pas d'en imaginer avec précision l'architecture, la structure et les activités. Aussi, les moindres indices sont-ils guettés: deux des documents qui suivent sont de 1792, le troisième n'est pas daté mais pourrait également être de cette fin du 18ème siècle.
Pétition de Jean Riegert, adjudicataire de l’église du St Esprit.
Jean Riegert s’est rendu propriétaire de l’église de l’Ordre hospitalier du Saint Esprit, déclarée Bien National à la suite du décret de l’Assemblée constituante du 2 novembre 1789 qui ordonnait que tous les biens ecclésiastiques soient confisqués et mis à la disposition de la Nation, pour renflouer les caisses de l’Etat. D’autres décrets, de décembre 1789 permettront la mise en vente des biens du clergé, cathédrales, églises, chapitres, biens et bien-fonds des paroisses, des ordres monastiques et communautés religieuses…
Rouffach ne fut pas épargnée : les biens des communautés religieuses établies à Rouffach furent confisquées, les bâtiments et les terres des Récollets, du prieuré Saint Valentin, des hospitaliers du Saint Esprit furent loties et vendues aux enchères.
La pétition de Jean Riegert, qui avait acquis l’église lors d’une adjudication, est adressée au Directoire du département du Haut-Rhin après que des membres de l’ancien Magistrat de la Ville se furent introduits dans l’église avec la complicité d’un serrurier pour la vider de son contenu ! Parmi ces visiteurs indélicats, Joseph Ziss l’ancien prieur !
Séance du 15 Xbre 1792 n° 1342
Vu la pétition de Jean Riegert, citoyen de Rouffach dans laquelle il expose que s’étant rendu adjudicataire de l’église du Saint Esprit située en ladite Ville dans laquelle il n’y eut que la cloche et les ornements de réservés pour l’Etat ; cependant Xavier Gall, François Fischer, Antoine Zeller, Ignace Mertian, Jacques Wegbecher, tous membres de l’ancien Corps municipal, et François Joseph Ziss, prêtre et prieur de la ci-devant prévôté du Saint Esprit, se sont permis de faire ouvrir les portes de ladite église par un serrurier et d’en faire enlever les autels saints et images ainsi que les bancs et la chaire, ladite pétition tendante à ce que les dénommés ci-dessus soient condamnés à rembourser à l’exposant la somme de 1200 l. pour les effets qu’ils lui ont enlevés et aux dépens, si mieux ils n’aiment, à dire d’experts, vu aussi le procès-verbal d’adjudication de la dite église du 14 Xbre 1791 lors du directoire du district de Colmar du 4 octobre par lequel il estime qu’il y a lieu de renvoyer l’exposant à se pourvoir ou et ainsi qu’il appartiendra aux fins de l’indemnité réclamée.
Le directoire du département du Haut-Rhin renvoye le pétitionnaire à se pourvoir par devant et contre qui il avisera bon être sur les fins de sa pétition
L’église de l’Ordre hospitalier du Saint Esprit de Rouffach, déclarée Bien National est vendue aux enchères par l’administration haut-rhinoise, le Directoire du district de Colmar qui pensait en être le légitime propriétaire. Ce n’était pas l’avis des administrateurs bas-rhinois qui en revendiquent la propriété : la maison de l’Ordre de Rouffach étant une dépendance de la maison-mère de Stephansfeld, qui se trouve être dans le Bas-Rhin, relève donc de l’administration bas-rhinoise et ne peut donc être vendue par des haut-rhinois ! Or l’église de Rouffach avait été acquise aux enchères par Jean Riegert le 14 décembre 1791 ! S’ensuivit un échange de courrier entre les deux départements, dont voici l’un des derniers, émanant du Directoire du District de Colmar qui ne tient pas du tout à lâcher le morceau au profit du Bas-Rhin. J’en ai conservé l’orthographe… On y reparle du prieur Ziss qui n’apparaît pas ici sous un jour très flatteur, et de l’état pitoyable dans lequel avait été laissée cette vénérable institution de Rouffach :
Lettre écrite à MM. les administrateurs du Département du Bas-Rhin par le Directoire du District de Colmar
le 1er Janvier 1792
Nous avons reçu, MM. votre lettre du 29. du mois passé. Vous nous observez que nous avons mis en vente dans notre district des biens dont vous croyez que la vente est seulement en ce qu’ils dépendant de la maison de Stephansfeld, qui est une maison destinée à recueillir des enfants délaissés par leurs parents. Vous ajoutez, MM. que ces biens forment une dépendance d’une maison dont le principal manoir est situé dans le Bas-Rhin, et que par cette raison les Décrets en interdisaient la vente au District de Colmar.
…
Le bien mis en vente par notre affiche sous le n° 97 et déjà vendu à la réception de votre lettre, est connu à Rouffach sous le nom de Prieuré du Saint Esprit.
Un prêtre nommé Ziss en fesait les fruits siens, il n’en parvenait pas une obole à la maison de Stephansfeld ; ainsi les orphelins qui y sont retirés n’en profiteraient aucunement.
En second lieu, nous savons que les biens de Stephansfeld ont été réunis à la manse épiscopale de l’évêché de Strasbourg, que partie des revenus continue de fournir à l’entretien des orphelins et une autre partie à faire face aux pensions assurées aux ci-devant chanoines du Saint Esprit, dont plusieurs sont déjà morts et entr’autres le Commandeur qui avait deux mille livres de pension.
Ainsi, il est vrai de dire que depuis de longues années partie des revenus de la Maison de Stephansfeld était à la libre disposition de M. le Cardinal de Rohan et conséquemment les biens qui produisent ces revenus, non emploïés au soulagement de l’humanité, ne peuvent être considérés que comme Biens nationaux, et sont susceptibles d’être vendus.
Le prieuré du Saint-Esprit de Rouffach consistait en une chapelle dans laquelle depuis plus d’un demi-siècle il n’a pas été di de messe, et qui ressemblait plutôt à une étable qu’à un lieu propre à y célébrer le saint Sacrifice de la messe. Elle a été estimée à 400 livres et a été vendue 2100 livres à un homme qui va la démolir et la remplacer par un bâtiment plus agréable à la vue et plus utile ; les quelques pièces de vignes, de prés et de terres labourables estimées en tout à 6.753 livres et portées à l’adjudication définitive à 14.500 livres : ainsi la Nation va tirer passé huit cens livres d’intérêts des mêmes biens, qui ne produisaient pas 200 livres au bénéficier qui était pourvu du Prieuré.
D’après les réflexions que nous avons l’honneur de vous faire, nous espérons que vous trouverez que nous avons fait le bien e la Nation en vendant les biens du Prieuré dont s’agit, que nous ne sommes point contrevenu au Décret rappelé dans votre lettre, les revenus de ces biens n’ayant jamais tourné au profit des orphelins de Steffansfeld, amis ayant servi à la sustentation d’un prêtre qui se trouve aujourd’hui païé par le trésor public.
…
Marie Elisabeth, une petite orpheline confiée aux religieux de l’Ordre…
La vocation des membres de l’Ordre des Hospitaliers du Saint Esprit était de recueillir et d'entretenir les enfants exposés [1] et orphelins de l'un et de l'autre sexe, les estropiés et invalides, les insensés et troublés d'esprit, d'assister les vieillards pauvres, les familles nécessiteuses… Les religieux de l'Ordre était soumis à la règle de Saint Augustin et devaient suivre les sept œuvres de Miséricorde, corporelles et spirituelles.
La lettre qui suit n’est pas datée. Elle est en français, la graphie et l’orthographe en sont « modernes », elle pourrait être contemporaine des deux documents ci-dessus. Je l’ai retenue parce qu’elle confirme l’état de délabrement de l’institution de Rouffach : il y est question d’une petite fille, exposée, c’est-à-dire abandonnée devant l’hospice, sans doute en un lieu prévu et peut-être même aménagé. Cette fillette, Marie-Elisabeth, semble-t-il un bébé qui ne marche pas et qui aurait encore besoin d’une nourrice, a été « expédiée » à Stephansfeld [2], à une centaine de kilomètres de Rouffach !
Le destinataire n’est pas précisé, cette lettre s’adresse-t-elle à l’administration de la Ville ou à celle de l’Ordre ? Peu importe, un peu de charité de la part de l’une ou de l’autre aurait pu éviter à cette malheureuse enfant un voyage long et sans doute pénible …
Lettre, des Commandeur, prieur et religieux de l’ordre du St. Esprit
Stephanfeld, le 12 juillet (?) à Rouffach AMR GG 56
Nous avons reçu une petite fille que vous dites avoir esté exposée dans la Ville de Ruffac nommée Marie-Elisabeth, vous nous marqués que vostre hôpital est pauvre, le nostre ne l’est pas non plus par la grande quantité de pauvres que nous sommes obligés d’entretenir nous souhaiterions que vous les élevie(z) jusqu’à l’âge qu’ils puissent marcher car nous manquons de nourice dans ces pay cy nous vous prions de prendre des mesures pour que cela n’arrive plus ou ne serons plus en estat de les entretenir, nous sommes cependant
vos très humbles et très obéissants serviteurs, les Commandeurs, prieur et religieux de l’ordre du saint Esprit à Stephansfeld.
Voilà trois petites pièces d’archives qui s’ajoutent à l’histoire de l’Ordre du Saint-Esprit de Rouffach. Peu à peu, chaque tesselle, même minuscule, permettra de compléter, patiemment, la mosaïque. C’est ainsi que se fait l’histoire…
Gérard Michel
Retour rapide sur l’histoire du couvent après la Révolution (François Boegly)
L’église du prieuré
1791 : l’église est acquise par Pierre Riegert, « … avec autorisation de la démolir pour y construire un immeuble à deux étages dans l’alignement de la rue… ». Cet immeuble passera à la famille Muller, bouchers charcutiers, et restera dans la famille jusqu’en 2008.
1816 : la maison neuve passe à son fils Dominique Riegert
1831 : elle est vendue à Dominique Hubert Quimfe, passementier
1848 : elle est achetée par François Xavier Muller, maître boucher.
Le moulin du Saint Esprit :
Le moulin n’a pas été vendu comme Bien national, il appartenait à la famille Riegert depuis la fin du XVIIème siècle.
1792 : le moulin est exploité par Joseph Riegert et son frère Ignace
1823 : il est acquis par Conrad Koch, meunier de Soultzmatt
1825 : qui le revend à un marchand de farine, Pantaleon Biehler
1830 : il est acquis par Jean Christen, meunier
1833 : devient propriété d’Ignace Quimfe, le vieux, marchand de fer
1834 : passe à Antoine Liodau, huilier
1868 : propriété de Jean Isner
1881 : la veuve de Jean Isner le vend à Leonard Lieber, époux de Marie Isner, nièce du défunt
1893 : propriété de Robert Muller, huilier
1909 : qui le vend à la Ville de Rouffach qui le détruit en partie pour élargir la Weidengasse, actuelle rue du Mal. Lefebvre
Le moulin de l'hospice, au débouché de la ruelle du St. Esprit sur l'Ohmbach
L’hospice du Saint Esprit :
L’hospice n’a pas été vendu comme Bien national et appartenait à la famille Dietrich depuis le début du XVIIème siècle.
1792 : il appartient à Frédéric Dietrich, fils de Christian, négociant en grains, propriétaire depuis 1736
1805 : vendu à Pierre Friess, marchand de fer de Colmar
1811 : Pierre Friess le revend à André Petermann, négociant de Colmar
1818 : la propriété est acquise par Ignace Quimfe, marchand de fer, qui la transmet à son fils Ignace
1878 : le magasin de fer passe à Jean Baptiste Witschger, marchand de Soultz
1896 : puis au fils de celui-ci, Jean Witschger
1901 : Jean Witschger le cède à sa sœur, Rose, épouse de Thiébaut Walter
1930 : le magasin de fer Witschger-Walter passe à son fils Theo et Eléonore Gatrio son épouse.
1979 : le magasin est repris par leurs deux fils, Georges et Francis
L’hôpital :
1824 : propriété de Joseph et Xavier Weck, boulanger
1870 : Xavier Bach, boulanger
1878 : Antoine Kern boulanger
1881 : Guillaume Kern, boulanger
1882 : Joseph Kern, boulanger
François Boegly
[1] Enfant abandonné par ses parents, généralement déposé anonymement dans le tour d’abandon d'un hospice.
[2] Stephansfeld : Commanderie de l’Ordre du Saint-Esprit depuis 1216, qui accueille des enfants trouvés ou abandonnés et des vieillards indigents. Stephansfeld est un asile d’aliénés qui accueille ses premiers patients en 1835. Ouvert en 1861, le dépôt de mendicité de Hœrdt accueille les indigents et les enfants trouvés ou abandonnés. En 1877 Hœrdt devient annexe de Stephansfeld. L’ensemble deviendra Etablissement Public de Santé Alsace Nord (EPSAN).
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