... diversement appréciés par l’Eglise, souvent condamnés par le clergé ou interdits par les règlements du Magistrat, la danse, les jeux de hasard, les cabarets, les bains publics, les filles de joie...
Les journées de travail de l'artisan, de l'ouvrier ou du paysan du Moyen-Âge et du début des temps modernes sont rythmées par le jour et la nuit et par le rythme des saisons. Les journées de travail sont longues et pénibles et laissent généralement peu de place à ce que nous appelons aujourd'hui loisirs... Malgré la nécessité impérieuse de travailler pour assurer sa subsistance et celle des familles, le peuple des travailleurs était contraint à des journées où il lui était interdit de travailler, d'exercer son métier, sous peine de sanctions sévères. Ainsi près d'un tiers des journées de l'année étaient chômées, tous les dimanches bien sûr, mais aussi toutes les fêtes religieuses fixes et mobiles, fêtes calendaires, etc: fête du saint Patron de l'église, de la dédicace de l'église, jeudi-saint, vendredi saint, solennité de Pâques, Ascension, Pentecôte, Assomption, nativité de la Vierge, Toussaint, saint Martin, Noël, Epiphanie, etc. Sans oublier les fêtes des saints patrons des confréries, la fête de Mai, les fêtes des moissons, des vendanges...
Toutes ces fêtes sont marquées par une célébration religieuse, messe et procession, auxquelles la présence est obligatoire sous peine d'une amende en argent ou en cire et elles sont l'occasion de festivités populaires, de joyeuses et copieuses ripailles et de démonstrations parfois paillardes, souvent excessives et violentes. Autant d'occasions pour rompre avec un quotidien morne et difficile et noyer une angoisse permanente...
Les foires et marchés, celui du 14 février jour de la Saint Valentin, du 7 mai jour de l’Invention de la Croix, du 15 août jour de l’Assomption de la Vierge Marie et celui du 8 septembre, jour de la Nativité de Marie, sont également une occasion de se retrouver pour des jeux d'adresse, des concours sportifs, des danses et des banquets.
La ville ne manque pas de cabarets et d'auberges, lieux de défoulement entre une fin de journée de travail harassante et le retour à la maison: on y boit, on y danse, on y joue, jeux de hasard, dés, cartes... Il n'est pas rare que des bagarres et des rixes parfois sanglantes y éclatent.
D'autres activités, plus sportives, des jeux de force comme des lancers de poids, opposent les hommes dans des concours, pendant que d'autres s'adonnent au plaisir de la danse tanzen und springen sur les prairies hors les murs, les Tanzmatten. Une maison située sur la place devant la façade ouest de l'église était spécialement dédiée à cette activité, das Tanz Haus.
Toutes ces manifestations sont contrôlées par le Magistrat qui tente d'en limiter les excès et surtout par l'autorité religieuse qui les accuse de répandre la luxure et multiplie les interdits!
On allait passer sous silence d'autres lieux de plaisir
- d'abord les deux établissements de bains situés sur le cours de l'Ombach, l'un à son entrée dans la ville, après les remparts, l'autre à la hauteur de l'hospice du saint Esprit, souvent accusés d'être des lieux de perdition
- ensuite la maison de tolérance, reléguée en marge de la ville, adossée aux rempart dans la ruelle du couvent des Récollets
La danse
La danse est le divertissement le plus populaire dans nos campagnes entre le moyen-âge à la fin de l’ancien régime. Si l’on connait assez bien la danse pratiquée dans les cours à la même époque, on connait bien moins les danses populaires.
A cette époque, on distingue deux types de danses : la basse-danse et la danse haute ou danse sautée. Ces deux types de danses apparaissent souvent dans les textes, indissociables, dans l’expression tanzen und springen. Tanzen, désigne la basse danse, un type de danse lente et majestueuse, dansée en couple ou en procession, alors que springen, désigne une danse sautée, vive et sautillante, comme le sont les branles, courantes ou gaillardes en France.
Les volumes intérieurs des maisons de nos villes ne laissent souvent que peu de place à de grandes réunions de danse. C’est pourquoi ce sont dans des prairies hors de la ville appelées Tanzmatten, (voir l’article Lorsque les prairies de la Niedermatt s’appelaient Tanzmatten…) que se retrouve la foule des danseurs et danseuses de la ville pour des réjouissances qui accueillent également d’autres activités ludiques, jeux ou concours.
Dans la ville se trouve une maison de danse, Tanz Haus, située sur la place de l’église, entre la façade ouest et la maison de ville. Elle est propriété de la ville et utilisée pour des réunions de danse et louée pour diverses manifestations :
- la veuve de Hans KLEIN règle au Burgermeister 15 schilling pour avoir « dansé » au Tanzhaus lors de son mariage en mars1614…
- le fils de Lienhart SCHLOSSER paye 12 sch. 6 d. pour le Tanzhaus…
- la fille de Hans DIETERICH paye 12 sch. 6 d. pour Tanz Gelt .
- Jacob N. paie 12 sch. 6 d. dass er ufm Danzhauss bei seiner Hochzeit danzen mögen….
Mais cette maison accueille également d’autres activités : ainsi le Burgermeister perçoit 1 livre de la part d’un Fechtmeister , maître d’escrime ou maître d’armes, qui a donné des leçons dans le Tanz Haus
On trouve également dans les comptes du Burgermeister la trace des paiements par la famille TRUCHSESS de Hattstatt pour des Frucht Kasten, des coffres à céréales, qui y étaient entreposés et apparemment loués pour les années 1613 et 1614, ce qui leur coûte en tout 10 livres…
Rappelons qu’on danse également au cours des noces où se retrouvent les sorcières et leurs fiancés sataniques : au Bollenberg, à la Nierdermatt, au Gugger, au son de la cornemuse ou du fifre.
Mais cette activité est sévèrement réglementée et étroitement surveillée comme le montre cet extrait du règlement qui précise comment il convient de danser :
Celui qui danse ou voudrait danser, qu’il soit bourgeois, fils de bourgeois, ou compagnon, qu’il soit étranger ou qu’il soit du pays, quel qu’il soit, que ce soit à l’occasion d’un mariage ou à d’autres occasions, dimanche ou jour de fête, devra, à chaque fois qu’il voudra danser ou qu’il dansera, déposer au préalable les armes qu’il porte sur lui et n’en porter aucune, sous peine d’une amende de 5 Schillings à payer sur le champ.
D’autre part il devra danser avec les femmes ou les jeunes filles de manière convenable et décente qui ne devra pas choquer l’assistance…
Ce que n’a pas fait der klein Goldschmidt qui, à cause de son comportement impudique et de sa manière de danser sans gêne a été condamné à 3 jours et trois nuits à la prison Sainte Catherine, au pain sec et à l’eau !…
D’ailleurs le Magistrat fera interdire certaines de ces réunions dansantes, notamment celles qui se pratiquent le dimanche et rassemblent les gens de la Cour et les fils de bourgeois et qui entraînent régulièrement des querelles et des bagarres sanglantes.
Le bâtiment sera démoli en 1821 : en 1821, on dit qu’il servait autrefois de corps de garde. Il sera entièrement rasé et les acheteurs s’engagent à niveler le terrain de manière que la ville pourra le faire paver sans remblai ni déblai, mais ils devront veiller à ne pas endommager le puits communal attenant à cette maison…
Le jeu
S’il y a une salle de danse, il n’y a par contre pas de salle de jeu. Jouer est très mal vu par l’Eglise et l’activité est étroitement surveillée, si elle n’est pas interdite totalement pour les jeux de hasard…
L’article quatorze du règlement de police de la ville de 1708 dit :
Deffendons à toutes personnes publiques et autres de
tenir académie de jeux de Bassette, Pharaon, Landsquenette
et autres défendus, à peine de trois cents livres d’amendes
La Bassette est un jeu de cartes de hasard originaire d'Italie où il était pratiqué sous le nom de Basetta depuis le XVIe siècle. D'après Jean de Préchac dans son livre sur la Bassette, intitulé La Noble vénitienne..., édité en 1679, il aurait été introduit en France vers 1675 par l'ambassadeur de la république de Venise, M. Justiniani – probablement Jules Giustiniani, en italien Giulo Giustinian (1640-1715). Ayant pris un essor considérable dans la haute société – contrairement au Lansquenet le jeu était tenu par un banquier unique impliquant des fonds très importants –, elle ne manqua pas de déclencher des conflits entre joueurs et en ruina très rapidement certains. Louis XIV dut se résoudre a en proclamer son interdiction d'abord en 1680, puis en 1691 avec d'autres jeux de hasard, notamment le Pharaon qui est une variante très proche de la Bassette.
Source Internet : L’académie des jeux oubliés Philippe Lalanne y donne également les règles de ces jeux oubliés.
Pour éviter toutes sortes de troubles à l'ordre public et prévenir les débordements, les joueurs ne devront plus circuler dans les rues la nuit, sous peine d’une amende de 5 livres …
Il est interdit de s’adonner à des jeux de hasard, dés ou cartes, lüstlins Spil [1], (et on en cite quelques-uns : bocken (jeu de dés), losen, rauschen, cuntzen, (kunzenspiel, gaukelspiel, taschenspielerei) etc.), de jour comme de nuit, sous peine d’une amende d’une livre et également une livre d’amende pour la maison ou le poêle où le délit a été constaté !
Personne ne doit plus, après qu’il eut sonné 9 heures, se livrer au jeu, quel qu’il soit, que ce soit dans les poêles des corporations ou en tout autre lieu, sous peine d’une amende pour le contrevenant et une autre pour la maison où le délit a été constaté…
Si le règlement est si sévère, c’est évidemment parce que l’on pratique, dans la clandestinité certes, beaucoup le jeu, dans les auberges, tavernes, cabarets et aussi dans les poêles des corporations, ce qui, avec la boisson, génère des bagarres souvent sanglantes.
Les établissements de bain
(ce sujet fera l'objet d'un article particulier qui sera édité ultérieurement)
Prostitution et maison de tolérance
Puisque nous sommes dans les plaisirs et les loisirs, il faut bien parler des prostituées et des maisons de tolérance !
Il existait une maison de tolérance à Rouffach, das Frauen Haus, située dans la rue des Récollets, adossée aux remparts, non loin de la maison du bourreau, toute deux reléguées en marge de la ville.
Cette Frauen Haus n’est pas à confondre avec das Fraülein Haus, Ces Fräulein sont les demoiselles (ou dames) de l’instruction chrétienne, une institution fondée en 1724 à Ensisheim par les demoiselles d’OLIVIER, deux sœurs, pour l’instruction des jeunes filles. Leur maison a été édifiée sur la partie Nord-Ouest de la place, ses six logements seront rachetés ou expropriés en 1861 pour être détruits afin de dégager l’entrée de l’église et surtout pour agrandir la place du marché sur l’emplacement de l’ancien cimetière
On dit également que les Badstuben, les bains publics, ou étuves, servaient de maisons de « rencontres » mais rien, pour l’instant dans les textes ne permet de l’affirmer.
Ce qui est presque sûr, par contre, c’est que la léproserie, située elle, hors de la ville, avait fini par devenir une maison assez louche, bien avant qu’elle fut devenue un tripot, un cabaret, vers les années 1686 et la tenancière est condamnée pour sa moralité plus que douteuse à une amende d’une livre de cire !...
Dans les procès de sorcellerie, beaucoup des femmes accusées de sorcellerie étaient réputées avoir été, dans leur jeunesse, des Hueren ou avoir Huererei getrieben : vrai ou faux ? et où commence la prostitution dans des témoignages où la délation a force de preuve ?
L’article vingt et un du règlement de police de 1708 dit à ce sujet :
Ceux qui souffriront un mauvais commerce chez eux d’hommes, femmes, garçons et filles, seront condamnés chacun à cent livres d’amende
En 1614, à la suite d’une violente bagarre au cours de laquelle Claus KURST a été grièvement blessé, le Magistrat se réunit pour traiter en urgence les points suivants :
- Comment rétablir le calme et la sécurité nocturnes et mettre fin au tapage et aux violences causées par les gens de la cour épiscopale…
- Comment éradiquer de la ville la population das schandlos Hueren Gesindel ? L’expression est ambigüe: est-il question de la population de prostituées ou de la populace de clients de prostituées qui se comporte de façon éhontée ?
- Doit-on les laisser fréquenter les bains publics ?
- Ne devait-on pas mettre les auteurs de l’agression de KURST en prison jusqu’à la fin de l’enquête ?
A la suite de ce conseil des mesures sévères sont prises:
- Il est décidé d’organiser une garde de nuit, composée de 20 bourgeois, pour ramener l’ordre dans les rues de la ville, troublé à cause de la présence de ces prostituées.
- Il est ordonné à tous les bourgeois de la Ville qui hébergent das Hoffvolck, de rappeler à leurs hôtes le règlement concernant les heures à partir desquelles il est interdit de circuler dans les rues…
- Il est également demandé à tous les chefs de tribu de relayer auprès de chacun de ses membres l’article de règlement qui met en garde tous ceux qui accueillent dans leur maison des prostituées qu’ils encourent une amende de 10 livres !
- Il est ordonné aussi que les schandlosen Hueren, les prostituées scandaleuses, soient appréhendées par les quatre sergents de la ville aidés par les Weinläder, les chargeurs de tonneaux réputés pour leurs muscles, et éventuellement quelques bourgeois, conduites à la prison Sainte Catherine et expulsées hors les murs de la ville le jour même.
Ce qui confirme que les troubles ont pour origine les Hofleuth , les gens de la cour de l'évêque… il s’avère effectivement qu’à la suite de chaque visite de l’évêque, qui se déplace toujours accompagné d’une cour importante, le Magistrat est saisi de plaintes dans lesquelles il est toujours question de troubles liés à des prostituées. A croire qu’elles faisaient partie de la suite épiscopale…
Une prostituée de Pfaffenheim…
En 1616, le Magistrat est saisi d’une requête du curé au sujet d’une fille de joie enceinte…
Les relations entre le curé et le Magistrat n’étaient pas des plus cordiales au point qu’il arrive que le Magistrat et les chefs de tribus portent plainte contre le curé de Rouffach au sujet des multiples attaques dont ils ont été l’objet au cours d’un sermon à l’église !
… Ce jour, Georges IBER, vicaire, sur ordre de notre fantasque curé docteur Charles PISTOR, s’est présenté devant nous pour demander au nom du curé de faire œuvre de charité en admettant à l’hôpital une prostituée de Pfaffenheim qui se trouvait enceinte et avait été bannie de son village..
Réponse et décision du conseil
Nous sommes très étonnés que le curé s’intéresse à cette affaire, il devrait s’acquitter de son travail dans son église et sur sa chaire plutôt que de vouloir imposer une telle charge au Conseil et à la Ville. L’hôpital n’a pas vocation d’accepter des putains et cette femme devrait plutôt chercher du secours dans l’hôpital de son village, là où le mal avait été commis ! Si le village ne l’acceptait pas, comment la ville pourrait-elle l’accepter ?... »
Ce Charles PISTOR, Carolus PISTORUS curé à Rouffach de 1616 à 1619 semble être, nous apprend Th.Walter, un authentique mercenaire… Après que le Magistrat lui eut permis de renouveler tout son ménage, aux frais de la ville, il disparaît corps et biens. Le registre d’une confrérie note en 1619, en face de son nom : nichts mehr, ist entloffen… il ne reste plus rien, a disparu...
Une injure grave…
Les registres de délibération des conseils du Magistrat traitent très régulièrement des affaires dans lesquelles le plaignant se plaint de paroles ayant blessé son honneur ou celui d’un membre de sa famille : ces insultes tournent bien souvent autour du mot Hure, putain, ressenti comme particulièrement insultant…
[1] Lüstlinsspiel : jeu de hasard