L'orgue Hans Klein de 1606
La lecture des comptes rendus des séances du Magistrat réserve bien souvent des surprises. Nous vous proposons dans l’article qui suit, trois courts extraits tirés du registre A.M.R. BB 4 qui consigne les protocoles des audiences des années 1547 -1551, principalement consacrées à des jugements en matière civile et correctionnelle. Même si la lecture de ces registres est toujours riche de renseignements, elle peut parfois s'avérer un peu lassante : ivrognerie, désordres dans la rue, injures et atteintes à l’honneur, coups et blessures, triche au jeu, petits larcins, tromperies sur les poids, les quantités ou la qualité par les meuniers, les boulangers ou les bouchers, déplacement de bornes, ...les mêmes délits reviennent régulièrement … mais les acteurs changent, et parfois il en est de plus pittoresques que d’autres !
... comme cet organiste, Herr Hanns :
Herr Hanns, organist
Es ist herren Hannsen halben anzeigt wordenn
wie er durch das ganze Jar, alle tag, sein eigenn
Liecht welle vom Killwarten haben, goth gebe, er
habe mess gehalten oder nit / daruff ist durch
ein gantz Rath erkannth, dass man Ime hin-
füro dheine lyechter geben soll, dann allein
sovil er dern jeder zeit zur messhaltung bedärftig.
A.M.R. BB 4 1549
Il a été signalé au Conseil que Herr Hanns, l’organiste, exige que le sacristain lui fournisse, chaque jour et tous les jours de l’année, de quoi s’éclairer, qu’il ait joué une messe ou pas… Le conseil, décide, à l’unanimité, que dorénavant on ne devait lui donner de quoi s’éclairer que ce qui lui était nécessaire le temps de sa présence à l’orgue pour une messe !
Est-il utile de rappeler ici que le seul éclairage dans nos églises, à cette époque, était fourni par des chandelles et des cierges? Pour accéder à son instrument, éclairer console et clavier, l’organiste utilisait les chandelles que lui fournissait la fabrique de l’église. Sauf que notre organiste se fournissait en chandelles destinées à son service d’organiste au cours des offices religieux, pour s’éclairer chez lui, été comme hiver ! A cette époque, la cire des cierges est un produit rare et couteux, et l’on comprend que le Magistrat se soit ému de cette dépense ! Pour la petite histoire de l’orgue, l’orgue actuel de l’église Notre Dame, un Claude Ignace Callinet de 1855, a fonctionné sans électricité pendant plus d’un demi-siècle : le vent, fourni aujourd’hui par un ventilateur électrique, était produit par une pompe à bras actionnée par un souffleur, qui devait nécessairement toujours accompagner l’organiste. Pas de souffleur, pas de musique ! D’autres instruments étaient et sont encore alimentés par des soufflets actionnés par les pieds, d’où le nom allemand Orgeltreter qui désigne les souffleurs.
Puisque nous en sommes au vocabulaire, le lecteur sera peut-être surpris de lire dans le texte qui suit, qu’on verse un salaire à l’organiste pour die orgel zu schlagen…, littéralement pour battre ou frapper l’orgue ! Ce verbe schlagen ne fait pas référence à une manière particulièrement brutale de toucher l’orgue, même si l’usage des instruments du seizième siècle devait exiger un toucher plus athlétique que celui des plus récents… orgel schlagen signifie tout simplement toucher, jouer de l’orgue… Pour ce qui est d’utiliser le poing, le plat de la main ou les avants bras sur les claviers d’un orgue pour produire des clusters (un agrégat de notes espacées d'un intervalle de seconde), il faudra attendre la musique contemporaine avec Xenakis, Penderecki ou Maurice Ohana… J'allais oublier les clusters imitant les roulements du tonnerre dans certaines pastorales du 18ème siècle ou le son du canon dans des compositions patriotiques révolutionnaires, « joués » à la pédale du plat du pied ou des deux pieds sur les registres les plus graves !
S’il n’y avait pas d’électricité pour un ventilateur électrique qui devait fournir le vent nécessaire à l’orgue, il n’y en avait pas davantage pour éclairer la console, les claviers et le pupitre ! La console de l’orgue de Rouffach conserve encore aujourd’hui les traces de cette époque : si les bougeoirs en fer forgé ou en laiton (articulés comme ceux des pianos droits anciens) ont malheureusement disparu aujourd’hui, il subsiste au-dessus de l’emplacement qu’ils occupaient, les traces profondes creusées dans le bois par la flamme des bougies :
Les profondes traces de brûlures au-dessus des claviers de l'orgue, causées par les chandelles...
Herr Hansen, des organisten halb.
Herr Hanns, der organist, begert zu den VI gulden
so man Ime vonn der orgel zu schlagen gibt,
noch II gulden / dagegen der Rath vermeint
damit gnug zu habenn, unnd seindt Im
deshalben aberkannth, doch das man Ime
ein halben schilling gulden für die verehrung
die Orgell zubessern, verfolgenn lassen und
zustelle.
A.M.R. BB4 1550
Dans ce document, il est encore question du même Hans, organiste. Il est rétribué par le magistrat de la ville 6 florins à l’année et il sollicite une augmentation de 2 florins, que la ville lui refuse, estimant que ce qu’il touchait était suffisant! Tout juste lui consent-elle une augmentation d’un demi-schilling…
Meine Herren habenn erkannth Herren Hannsen
anzuhaltenn dass er sein pfründ hüss selbs
besitze und nit mer verlihe…
A.M.R. BB 4 1551
Hans, notre organiste, dispose également d’un logement attaché à sa fonction, une maison, ein Pfründ Haus (prebendaria). Il est prébendier, (Pfründner) bénéficiaire d’un revenu (eine Pfründe) et d’avantages liés à sa fonction, qui lui sont concédés par la Ville ou la Fabrique de l’église.
Or, de ce logement qui lui avait été attribué et dont il n’est pas le propriétaire, il tire un revenu en le relouant, ce qui n’est pas du goût du Magistrat qui lui demande instamment d’occuper lui-même cette maison et de ne plus la louer.
Nous ne savons rien d’autre de cet organiste : seul son prénom est mentionné. Il est appelé Herr dans les trois documents, un titre souvent utilisé pour les prêtres ou religieux. Peut-être, et ce qui expliquerait qu’il soit bénéficiaire d’une prébende, s’agit-il d’un clerc, ou chapelain ? Peut-être le retrouverons-nous dans un autre registre des protocoles du magistrat, pour un autre débat à son sujet et nous en saurons plus !
Heureux temps où les organistes disposaient d’un logement de fonction, étaient dispensés des corvées, du service de garde et ne payaient pas la dîme ! Et de plus, la Ville leur offrait, avec leur salaire, quelques fûts de vin et quatre stères de bois pour se chauffer l’hiver !
Nos tribunes d'orgues manquent d'organistes .... et si c'était ça, la solution pour en recruter de nouveaux?
Gérard Michel
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