Lorsque les cloches de l'église Notre-Dame sonnaient à toute volée à quatre heures du matin pour donner du cœur à l’ouvrage au bon peuple…
Depuis le début de notre ère jusqu'à une époque récente, la cloche a été, en Occident, un instrument privilégié de communication de masse du fait de la portée étendue de sa voix.
Avec l’arrivée des moyens de communication modernes, téléphone, S.M.S. et bippers, nous avons perdu l’habitude de cette fonction essentielle des cloches de nos villes et villages : si les plus anciens se souviennent encore avec une pointe de nostalgie du langage « codé » des sonneries d’autrefois, beaucoup n’entendent dans ces « nuisances » qu’un bruit importun…
La cloche, le plus souvent les cloches, réglaient la vie quotidienne de nos anciens. Le son produit par la cloche a été utilisé au cours des siècles passés pour différentes fonctions de communication tant civiles que religieuses :
- la sonnerie qui marque les heures de la journée
- l’heure de l’ouverture et la fermeture des portes
- l’heure du couvre-feu
- le temps du travail, heure du début, heure de fin et milieu de journée
- l’heure de la prière, l’Angélus
- l’heure des offices dans l’église paroissiale : messes, baptêmes, mariages, enterrements, fêtes patronales (celle de la paroisse et les nombreuses fêtes patronales des corporations et confréries)
- les alertes, par le tocsin pour les incendies ou la cloche dédiée à l’annonce de l’orage ou la grêle
- le glas pour annoncer les décès,
... sans oublier les cloches des couvents et monastères, sonnant les heures : prime, tierce, sixte, none, complies ainsi que les laudes et l’Angélus…
A Rouffach, on ne comptait pas moins de 6 clochers : celui de l’église paroissiale Notre-Dame, le clocheton de l’église sainte Catherine des Récollets (une seule cloche), le clocheton de l’hôpital Saint-Jacques, celui de l’hospice du Saint-Esprit, le clocher de la Chapelle Saint Nicolas (y en avait-il un ?), celui de Saint Valentin… la chapelle saint Odile avait-elle un clocheton ? … le clocher de l’église Saint Etienne de Suntheim a rapidement disparu de ce concert de cloches…Et celui de la chapelle de la léproserie, hors les murs ?
Les nuits devaient être bien courtes, même très courtes si on y ajoute les sonneries des veilleurs, qui jouaient faux...
Au sujet des sonneries de cloches le lecteur lira avec intérêt l’article Code et langage des sonneries de cloches en Occident de Eric SUTTER Président de la SFC, Société française de campanologie.
Le texte suivant rend compte d'une décision du Magistrat de Rouffach de faire sonner les cloches de Notre-Dame de Rouffach, tous les matins à quatre heures, pour donner du cœur à l'ouvrage au bon peuple des travailleurs.
Le bon peuple des travailleurs d'aujourd'hui apprécierait-il tant de sollicitude de la part de son maire et de ses conseillers si on les réveillait tous les matins à quatre heures ?
Leuthens halb… au sujet de la sonnerie des cloches
A.M.R. BB 6 folio 51 verso 1557
Traduction:
Il a été décidé que tous les matins, à quatre heures, soit sonnée une seule volée de cloches à l’intention du bon peuple des travailleurs pour lui donner du cœur à l’ouvrage. La cloche de la Porte ou celle de l’Ave Maria (l’Angelus) ne doit être sonnée qu’après que le sixième coup de 6 heures eut sonné !
Pour cet hiver, il a été décidé par notre gentilhomme (M.J. = mein Juncker) le bailli, par le Schultheiss et le Conseil, que c’était au veilleur de sonner d’assurer scrupuleusement et sans négligence la sonnerie de quatre heures et au sacristain (killwarth) de sonner 6 heures, scrupuleusement et sans négligences
Texte original en allemand
Ist erkanndt alle Morgen zu 4 Uhr […] ein einzigen Rast [1] zu leuthen, dem werkenden [2] Volck zulieb das ze ermunderen [3] / aber die Thor// glock oder das Ave Maria [4] soll erst gleich nach dem es sechste schlehe geleuthet werden // ist also disen Winther erkandt worden von M.J. [5] dem Vogt auch Schultheiß und Radt zu vieren soll der Wechter und zu sechstenn der Killwardt [6] angehalten werden, die Glocken [wie] sich gebürt zurichten , und darann nit seumig [7] zu sein
- [1] Rast: ein Längenmaß, mhd. vor allem ein Wegmaß, ici une volée
- [2] actif, qui travaille
- [3] ermuntern: encourager, revigorer
- [4] l‘Angelus
- [5] M.J. = mein Juncker der Vogt. Junckherr désigne un membre de la basse noblesse
- [6] Kilchwart, Kilwart : le sacristain
- [7] seumig säumig : négligent, trainard, lent, en retard
En plus des sonneries "ordinaires" étaient sonnée les veilles de fêtes « eine gute Rast » avec la plus grosse cloche, puis à 15 heures avec toutes les cloches...
Pareillement:
- - aux quatre Hochgezitten (jours de fêtes)
- - la veille des 6 fêtes de N.D.
- - à Noël
- + le 8ème jour après Noël et le 12ème jour
- - der Uffart Tag ( l'Ascension )
- - der Pfingstag ( la Pentecôte )
- - der Fronlichnams Tag ( la fête-Dieu )
- - la Trinité
- - auf die Kilwyhin (la fête Patronale)
- - à la Toussaint
De même, on sonnera le SALVE tous les samedis avec la Messglocke, sans la grosse cloche !
source Walther U.B.PF.R. Page 99 n° 100
Les braves gens de Rouffach devaient être bien soulagés quand les cloches partaient à Rome, après le Gloria du Jeudi Saint, pour revenir, pour le même Gloria, à la Vigile pascale ... deux nuits au calme... même s'il restait le chant des coqs ! ... et les crécelles !
En ce temps de Carême, le lecteur lira ou relira sans doute avec plaisir un article publié sur ce même site le 5 décembre 2017:
La consommation des œufs doit-elle être autorisée pendant l’Avent et le Carême ? (Cliquez sur ce titre pour rejoindre l'article)
Gérard Michel