Réparations au grand clocher de N.-D. de Rouffach 1776-1777

Eglise Notre-Dame de Rouffach dans KAUTZSCH, Der romanische Kirchenbau im Elsass (1944)

Réparation urgente et nécessaire au grand clocher de l’église Notre-Dame de Rouffach…

A DD 28 / 1-c (1776-1777)

La première campagne de Rubiacum est terminée et est au stade de l’analyse et de l’exploitation des résultats. Une dizaine de maisons ont été prospectées et les résultats s’avèrent extrêmement intéressants, ouvrant de nouvelles perspectives sur la topographie historique de la Ville .

Parallèlement, les chercheurs, archéologues du bâti médiéval, historiens, historiens de l’art et dendrochronologues se sont également intéressés à la charpente et la toiture de l’église Notre-Dame, au moment où les échafaudages extérieurs le permettaient. Une partie de cette recherche portait sur la datation de la tour octogonale surmontant la croisée du transept, datation qui jusqu’à présent ne faisait pas l’unanimité parmi les chercheurs : Dieter Graff date les assises intérieures de la tour de croisée ainsi que la voûte d’ogives de la première moitié du XIIIème siècle, Théobald Walter date la tour du début du XVIème siècle… Les résultats de cette prospection devraient permettre, enfin, une datation précise.

La lecture et l’étude de documents d’archives apportent également leur part à cette recherche. Je propose au lecteur quelques paragraphes d’un dossier conservé aux A.M.R. aux sujet des travaux urgents entrepris sur la toiture de l’église. En 1776, la flèche de la tour octogonale, minée par les infiltrations et la pourriture, menace de s’effondrer et d’importants travaux sont entrepris, dans l’urgence. La flèche (torse ?) de la tour sud de la façade est également vérifiée et réparée. Les deux flèches étaient alors couvertes de tuiles plates sur lattis, et tuiles creuses pour les arêtiers de chêne. Les archives municipales de Rouffach ont conservé les devis et le procès-verbal de réception et de conformité de ces travaux :

5 août 1776 :

Ce jourd’huy cinquième aoust mil sept cent soixante et seize, nous, Jean-Baptiste Alexandre Chassain, inspecteur principal des Ponts et Chaussées, chargé par Monsieur de Clinchamp, directeur, d’examiner le contenu au procès-verbal et lettre avec la soumission y comprise d’Antoine Bachmann, maître maçon de Küentzheim, sous le n° 23031 cy-joint, concernant la réparation urgente et nécessaire au grand clocher de l’église paroissiale de Rouffach.

Etant averti que l’intention du Magistrat est de se servir du même ouvrier dont la réputation s’est établie dans la contrée par la reconstruction qu’il a faite du clocher de Sigolsheim, requis en même temps de faire venir cet ouvrier par le sieur Ketterlen, assesseur, nous avons dépêché un expert à Joseph Waltz, maître maçon au dit Kientzheim et Sigolsheim par lequel la restauration du clocher du dit Sigolsheim a été faite sous la ratification de M. l’Intendant du 1^er aoust 1774 et avec le dit Ketterlen, ce maître ouvrier et le sieur Bachmann nous sommes rendus à Rouffach où estant, nous avons reconnu qu’il n’y a pas de tems à perdre pour rétablir le grand clocher dont il s’agit, qu’il faut même mettre de suite la main à l’œuvre pour que la pénétration de la pluye ne gâte pas d’avantage la charpente et le befroy [1], et que les vents ne culbutent la flèche sur les parties de l’église où cette chute ferait beaucoup de mal, et après avoir examiné le détail ou les ouvrages nécessaires à ce rétablissement, de retour chez M. le bailli et en présence du sieur Ketterlen, député à ce du Magistrat, nous sommes convenus avec les maîtres ouvriers assemblés ce qui suit :

Sçavoir :

Premièrement que tous les matériaux compris aux neuf articles du procès-verbal du 29 may dernier dressé sur l’hôtel de ville de Rouffach seront exactement fournis à pied d’œuvre, même en plus grande quantité que le détail des dits articles ne l’expriment, attendu que toutes les parties de couverture de l’église qui seront dégradés par la chute de tuilles ou autrement seront réparées et mises à l’épreuve de la pluÿe.

Que le petit clocher du frontispice[2] où il manque beaucoup de tuilles creuses et plattes seront remplacées du même modèle que les anciennes et clouées idem, …

Secondement quant à ce qui concerne le grand clocher, les anciennes tuilles creuses en seront ôtées jusqu’à la hauteur des huit pignons, les …äux et autres parties d’assemblages de charpente hors de service seront renouvelées dans un bon principe de solidité et le lattis sera fait à cinq pouces … pour une nouvelle couverture en tuilles plattes.

Le surplus de ladite toiture depuis le niveau de pointe des pignons jusqu’à la sommité de la flèche sera refait en tuilles creuses, se servant des anciennes sur un lattis réparé et tous les chevrons pourris et hors de service seront ôttés et en sera remis d’autres à la place, du même bois que les anciennes, dont les huit arrettiers [3] sont de chêne, les tuiles creuses sur ces mêmes arrettiers seront toutes clouées pour que le vent ne puisse les détacher.

L’éteau [4] et la croix seront déplacés et descendus, le poinçon en bois de chêne sera remis à neuf, dans le cas où la couverture ôttée il soit reconnu attaqué de pourriture et les maîtres maçons comparant ci-devant, le charpentier de même que le chaudronnier et le serrurier qui seront à leurs charges pour remettre en place le même éteau et la Croix, après que la Ville y aura fait faire toutes les réparations qui s’y trouveront nécessaires.

Les échafaudages seront tous à la charge des mêmes maîtres maçons excepté les perches que la ville leur fournira, tous les crampons, cordage et autres machines dons ils aurons besoin seront pareillement par eux fournis, ainsi que les madriers, mais la ville se charge de les leur faire voiturer jusqu’à quatre lieues de distance au plus…

Ils se soumettent de commencer de suite jeudy prochain 8^ème du courant et le dit Joseph Waltz se constitue caution solidaire et aux choix pour Antoine Bachmann entrepreneur et promettent réciproquement l’un et l’autre de continuer sans aucune autre interruption pour que tout soit fini et achevé le samedi 14 septembre prochain à toute épreuve et sans rien laisser à désirer, ce qui sera reconnu et examiné par Nous, et en cas d’effectuosités [5] elles seront refaites à leurs dépens et ils offrent une garantie de cinq années dont ne sera exempté que les cas fortuits et force majeure d’ouragans...

… que tous les joints de pierres de taille qui se trouvent ouverts aux dits pignons et dans les noues [6] seront refaits avec du mastic composé de limaille fondüe dans du vinaigre et autres drogues tel que celui usité aux clochers et plattes-formes en pierre de tailles comme Strasbourg, Colmar…

Le 29 may 1776

Ce jourd’huy, vingt neuvième May mil sept cent soixante et seize, je, Antoine Bachmann, bourgeois, maître maçon de Küentzheim, à la réquisition du Magistrat de la ville de Rouffach, après avoir visité le grand clocher de la paroisse du dit Rouffach, ay trouvé que la toiture du dit clocher doit être entièrement renouvelée, pour lequel renouvellement il est nécessaire :

Quatre mils thuilles

400 lattes qui, de la distance de cinq pouces doivent être affermées avec des clous… lesquelles lattes doivent être épaisses d’un pouce

540 clous à huit pouces de long

5000 clous ordinaires

40 quintaux de la chaux

40 tomberaux de sable

50 perches d’échaffot qui seront menés des forrets de la ville

60 planches

100 cordes

50 crambons

Plus s’oblige ledit maître maçon de recouvrir en neuf le toit de ladite tour ou clocher et cela en maître, à charge que la Ville s’obligera de lui fournir tous les matériaux spécifiés cy-dessous et de lui fournir les deux premiers jours quatre pionniers pour lui aider moyennant une somme de 500 livres.

En outre s’oblige ledit entrepreneur de remettre d’autres thuilles en place de celles qui pourraient être cassées en renouvelant le dit clocher…

Plaise à Monseigneur de Blair, conseiller d’Etat, Intendant de Justice, police et finance en Alsace, ratifier et approuver le présent devis et accord …

Le 12 octobre 1777 :

Le douze octobre dernier, nous, Jean-Baptiste Alexandre Chassain, Inspecteur principal des Ponts et Chaussées chargé par les ordres de Monseigneur l’Intendant de faire réparer le clocher de la paroisse de Ruffach, requis par les sieurs Magistrats de visiter le dit clocher pour examiner si les ouvrages de son rétablissement par nous adjugés le 5 aoust aussi dernier ont été achevés, nous avons reconnu les dits ouvrages bien et düement faits suivant les règles de l’art et les conditions du marché, qu’ils ne laissent rien à désirer.

….

Obermundat.org a déjà rendu compte de travaux entrepris à la toiture de l’église, notamment dans les articles suivants :

Ces travaux ont, semble-t-il toujours été exécutés dans l’urgence, la flèche de la tour sud ou celle du carré du transept menaçant de s’effondrer par suite des infiltrations d’eau qui avaient pourri les pièces de charpente.

on s’étonne peut-être que ce soit un artisan de Kientzheim qui a été chargé des réparations : il a été recruté au vu de la réputation qu’il s’était faite après la restauration du clocher de Sigolsheim...
les trois documents sont intéressants à lire, notamment par les conditions du marché : délais de réalisation, caution mutuelle, garantie de l’ouvrage…
la recette du mastic concoctée pour assurer l’étanchéité est originale, dommage qu’elle soit incomplète : « … tous les joints de pierres de taille qui se trouvent ouverts aux dits pignons et dans les noues seront refaits avec du mastic composé de limaille fondüe dans du vinaigre et autres drogues… »
j’ai conservé l’orthographe d’origine…

Les nombreuses interventions qui ont été nécessaires sur la toiture de l’église Notre-Dame au fil des siècles expliquent la disparité d’âge des éléments de charpente. D’importantes modifications ont été réalisées lors du chantier des années 1860-70, sous la direction de l’architecte parisien Mimey, mais des pièces anciennes subsistent dans l’actuelle « forêt » de la charpente de N.D. de Rouffach, révélés au moment des prospections dendrochronologiques par l’équipe de Rubiacum.

Les premiers résultats, très encourageants, de ces prospections devraient être proposés au public rouffachois courant fin novembre / début décembre de cette année.

Gérard Michel

Notes:

[1] Le beffroi : bâti en charpente qui porte les cloches à l’intérieur d’un clocher

[2] La flèche de la tour sud-ouest, la seule tour de la façade en 1776

[3] Arêtier : l’arêtier est une pièce de charpente qui forme l’angle saillant ou l’arête de la croupe d’un toit. Ici huit arêtiers de chêne pour une toiture à 8 arêtes sur une base octogonale…

[4] Etau : Épi - Assemblage des chevrons autour du poinçon d'une couverture de forme conique ou pyramidale. - Aussi le bout du poinçon de croupe qui passe au-dessus d'un comble, et que l'on nomme aussi étau.

dans Wikipedia : Glossaire de la charpente

[5] pour défectuosités ?

[6] La noue : Une noue est la ligne de rencontre de deux pans de toiture formant un angle rentrant. La noue canalise à l'égout les eaux de ruissellement qu'elle reçoit.

Eglise Notre-Dame de Rouffach dans KAUTZSCH, Der romanische Kirchenbau im Elsass (1944)

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Clé de voûte du chœur photo Mescla Patrimoine

Article publié le 16 octobre 2024 par Gérard MICHEL.