Tors ou pas tors ? qui a raison ? qui a tort ?

Un clocher tors ou vrillé constitue pour la localité qui l’abrite, une curiosité patrimoniale, au point que les communes qui en possèdent un se sont constituées en association pour en faire la promotion touristique et culturelle. Selon L'Association des clochers tors d'Europe, il y en aurait 115 recensés en Europe, dont 65 en France. Parmi ces derniers, celui de l’église Saint Gall de Niedermorschwihr (68), dont la flèche vrillée s’élance à 42 mètres. 

Dans une grande partie des flèches vrillées, la provenance du tors est accidentelle, suite à la déformation de la charpente. Mais cette singularité peut être intentionnelle,  quand le clocher a été projeté tors avant sa construction, témoignant du savoir-faire accompli des bâtisseurs .

Au vu des gravures, lithographies et rares photographies réalisées avant les grands travaux de l’église Notre-Dame de Rouffach, la flèche qui surmontait la tour sud avant les grands travaux de restauration, parait torse, tournée en spirale. 

 Le clocher tors de N.D. de Rouffach, phot d'A. BRAUN  L'Alsace photographiée

La Vue de Rouffach, photographie d’Adolphe BRAUN, publiée dans L'Alsace photographiée (A.D.H.R.) ne laisse aucun doute, la flèche est bel et bien vrillée… Mais vrillée accidentellement à la suite d’un affaissement dû au vieillissement de la charpente ou conçue et réalisée comme telle ?

Habituellement, les clochers octogonaux en bois sont constitués d’une pièce maîtresse, le poinçon, une poutre centrale verticale sur laquelle repose le poids de la charpente. Le clocher repose sur ce poinçon qui lui-même repose sur des poutres assemblées en croix, l’enrayure, posées sur la maçonnerie. Si ces poutres se déforment et fléchissent, sous l’effet du poids et / ou du pourrissement dû à l’humidité, ou si le poinçon se vrille, cela entraîne les autres éléments de la charpente dans une torsion de l’ensemble et la flèche sera vrillée.

C’est ce que laisse supposer le devis établi par l’architecte Janinet qui a expertisé l’ouvrage en 1816, bien avant la photographie d’Adolphe Braun, prise entre 1849, date de la disparition des maisonnettes accolées à l’église et 1869, date de la parution de son ouvrage, L'Alsace photographiée. 

Alors ? Prouesse architecturale, défaut de structure et de construction, effets du temps ? Certains y voient même un effet de la colère de Dieu ou une œuvre du Diable ... 

Un document de 1816, signé par l'Architecte du Département Pierre François JANINET, jette le trouble parmi les partisans de l'une ou l'autre opinion:

A.M.R. M.N. 11 / 20 2 juillet 1816

Devis estimatif et détaillé des ouvrages de maçonnerie, charpente, couverture, menuiserie, serrurerie, peinture et vitrerie à faire exécuter à l’église paroissiale de la ville de Rouffach, dressé d’après les ordres de Monsieur le Préfet, à la demande du Maire.

État Actuel du Bâtiment et Exposé du Projet.

L’Église paroissiale de la Ville de Rouffach est un très bel édifice gothique, mais il n’a pas été terminé, la tour située du grand portail devait être encore élevée d’un étage, celle du côté gauche manque entièrement.

La tour dont il vient d’être question est surmontée actuellement par une flèche couverte en tuiles, dont la charpente est en sapin. Sa vétusté et sa mauvaise construction font craindre à chaque instant qu’elle ne vienne s’écrouler. Les pièces principales qui la contiennent sont entièrement pourries par leur pied. Leur inégale résistance a fait éprouver à toute la charpente un mouvement de torsion, en sorte que la flèche a perdu son aplomb et penche considérablement du côté de la place où se tiennent les marchés publics.

De plus, l’enrayure en chêne sur laquelle elle est établie est aussi très attaquée dans les …. en sorte qu’il n’y a aucun moyen de réparer utilement ce toit immense qui menace continuellement d’écraser une partie du bâtiment.

On propose de le démolir et de le remplacer par un léger pavillon pour un garde de nuit.

Le dessus de la tour n’est pas dallé, en sorte que la pluie qui s’introduit dans les joints des pierres dégrade toute la maçonnerie. On propose de l’entourer d’une balustrade et de paver en dalles la terrasse autour du pavillon.

On propose également de couvrir par une petite tourelle l’escalier de la tour qui a toujours été découvert, de manière que dans les fortes averses l’eau descend jusque dans l’église.

La cloche qui sert de timbre à l’horloge sera placée dans l’intérieur de la tour, où il sera à cet effet établi une petite galerie.

… et un peu plus loin, dans le même document :

Tour du portail :

La flèche qui termine cette tour menace de s’écrouler à tout moment : la charpente qui la comporte est en sapin et entièrement pourrie pas son pied. Elle sera démolie jusqu’à la plateforme, et les matériaux qui en proviennent seront abandonnés à l’entrepreneur pour dédommagement des difficultés que présente cette démolition.

Colmar, le 2 juillet 1816

Pierre François Janinet, architecte du département du Haut-Rhin

La flèche torse du clocher de Niedermorschwihr

Tors ou pas tors ? Où est la vérité ?

L’historien se doit de douter, le doute est la base critique des sources et protège contre les interprétations trompeuses du passé. Même s’il a des certitudes, elles restent provisoires, une découverte inattendue peut les démentir…

Peut-on encore espérer une nouvelle découverte au sujet de cette flèche torse de la tour Sud ? Une photographie d'époque, un autre témoignage d'architecte qui mettront fin au débat ?

Gérard Michel

« lanceur d’alerte d’opérette (sic) … »