L’Alsace du mardi 18 octobre 1977
Un ami m'a communiqué cette page du journal L'Alsace que je partage avec les lecteurs d'obermundat.org
Cet article de Hugues Walter fait suite à un premier, sur le même sujet : un lecteur d'obermundat aurait-il conservé le premier article et pourrait-il en faire parvenir une copie pour publication sur obermundat.org ? Merci ... J'ai retranscrit le texte, in extenso, pour une meilleure lisibilité.
-o-o-o-
Les récentes découvertes le prouvent : Rouffach est plus ancien qu’on ne le pensait ...
2. Des vestiges à fleur de terre
Disons tout de suite que ce que nous avons mis à jour sur les lieux de fouille dépasse largement ce que nous pensions trouver. Il est inutile de revenir longuement sur l’origine de la découverte dont il a déjà été question dans ces colonnes. Après la restauration de l’ancien hôtel de ville et de ses beaux pignons, il s’agissait de rénover la place (d’r Plàtz) entre Notre-Dame et l’hôtel de ville. C’est une aire de 100 mètres de côté. Dès le début des travaux, le bulldozer mit à jour des pierres tombales. L’archiviste, M. Faust, alerta le maire qui fit immédiatement arrêter les travaux et manifeste depuis lors une extrême compréhension pour les fouilles.
Les services officiels furent également avertis : la Commission départementale des antiquités historiques et le service des monuments historiques à Colmar et Strasbourg qui déléguèrent sur place MM. Pétry, Brunnel et Meyer, auxquels se joignirent des équipes spécialisées. Ils sont évidemment assistés dans leurs recherches par M. Faust, qui veille sur le chantier, éloignant les enfants et tous ceux qui risqueraient de s’aventurer sur le lieu de fouilles en abimant de ce fait des objets ou des tessons.
Dans ce lieu de fouilles, il ne s’agit pas de quelque habitat ancien de moindre importance à mettre à jour. Il faut en effet distinguer sur cet emplacement et « grosso modo », trois périodes, surprenantes chacune par leur ampleur : le Moyen Âge d’abord.
L’ensemble urbain s’étend sur quelque 5 hectares de constructions administratives et religieuses. Se trouvent sur cet emplacement, non seulement la cathédrale, mais en outre la « chapelle » Saint-Nicolas et, juste à côté, intégré dans l’ensemble de la demeure du chapitre de Notre-Dame, un troisième sanctuaire. Tout cela constituait un ensemble cultuel comme il ne peut en exister qu’autour d’une cathédrale épiscopale. Une partie de ces bâtiments est encore visible sur les anciens plans de la ville.
Précédant la période médiévale, il y avait donc la période franque et alémanique du mérovingien au carolingien. Elle nous a légué dans cette place qui a servi de cimetière jusqu’au début du 19ème siècle, un nombre impressionnant de tombes, soit monolithiques, soit construites avec des dalles de pierre. Leur nombre laisse deviner l’importance de la population (4ème au 8ème siècle). L’existence de ces tombes était d’ailleurs connue. Certaines même affleuraient le sol. C’est leur importance qui est surprenante. Et la question se pose de savoir d’où provenaient les pierres tombales. Cet aspect de la question est captivant pour l’archéologue et pour l’historien.
Dès le début des travaux, l’excavatrice mit à jour une grande et curieuse pierre tombale. Elle révéla des sculptures en bas-relief qui doivent constituer le plus bel échantillon de l’art sculptural gallo-roman de l’est de la France et des pays rhénans. Cette pierre, haute d’un mètre et large de 60 cm. constitue un motif en arabesque comprenant feuilles de vignes stylisées et raisins sur le bord, des palmettes et autres motifs au centre. Les bords de la pierre prouvent qu’elle faisait partie d’un ensemble sculptural à l’entour d’une construction, cette métope atteste que la vigne était cultivée à Rouffach dès le 2ème siècle, puisque c’est la date approximative du bas-relief.
Des fouilles de « sauvetage »...
Une autre pierre tombale offre d’autres motifs décoratifs de la même époque, avec demi-lune et soleil, et même un début d’inscription, un D. et un M. Une troisième découverte intéressante : le socle d’une fontaine ainsi que les restes du tuyau de plomb de la conduite.
Il est enfin à remarquer que certaines tombes sont composées de dalles et de blocs de pierre, curieux par leurs évidements comme par l’importance de leur poids. L’une d’entre elles par sa forme voûtée, rappelle la couverture décorative d’une muraille.
En raison de l’intérêt de ces trouvailles, il est sans doute regrettable qu’on ne puisse pas procéder à des fouilles « systématiques » au lieu, simplement, d’effectuer des fouilles de « sauvetage » qui risquent évidemment de passer à côté de documents de haute importance.
Les fosses ouvertes ont permis de découvrir, jusqu’à présent, - et cela ne date que de quelques semaines- des stratifications dans le sol, de couches superposées du cimetière relativement récent à l’ancien, d’incendies, enfin d’un sous-sol romain, la couche la plus profonde.
Et c’est de cette couche romaine qu’il faut surtout parler, car c’est là l’origine des pierre tombales. Nous avons vu plus haut que les écrits anciens parlent de « populations nombreuses, de vignes, de dîmes innombrables, d’autels, de l’opulence de la ville et même du séjour de prédilection de la noblesse romaine. Les découvertes que l’on fait maintenant ne correspondent pas seulement aux dates indiquées par les humanistes mais fournissent en outre la preuve qu’il ne s’agissait pas de récits romancés.
En fouillant le sol jusqu’à la couche gallo-romaine, on a découvert le radier, et le sol indiscutablement romain de ces installations. Sous le radier existait en certains endroits l’hypocauste, le chauffage souterrain. Ce qui reste des murailles était peint en rouge ou vert.
De multiples trésors...
Mais ce qu’il y a de plus remarquable encore, c’est le fait que le radier mis au jour et sur lequel l’un des édifices était érigé et où on distingue le seuil d’entrée, la dalle usée seulement sur sa moitié, ce qui prouve que la porte comportait un double battant dont l’un restait normalement fermé, ce radier donc, le soubassement de ciment, s’étend bien au-delà de la maison et, dit M. Faust, jusque sous l’hôtel de ville, interrompu par les bases des murailles et le soubassement d’une route qui traversait tout ce site, du nord-ouest au nord-est. Il ne s’agit plus évidemment d’une ferme, d’un habitat isolé, mais d’un ensemble de bâtiments importants en plein centre d’une ville, et qui, vu les autres trouvailles dans la partie sud de celle-ci, permet dès maintenant de conclure à une véritable cité.
L’ensemble découvert sur la place comportait donc des éléments magnifiquement sculptés, des mosaïques dont on a trouvé les pierres isolées, des fresques dont il reste quelques fragments sur des pans de mur calcinés, des [plaques ?] de marbre vert, un bout de stèle gallo-romaine… Nous ne citons que de mémoire une partie de ce que nous a montré M. Faust. Il faut en effet se rendre dans le local de la Société d’Histoire (Halle aux Blés) où s’entassent d’innombrables petits trésors, anses et versoirs de cruches, un crâne d’enfant, des restes de chapiteaux, etc. De nombreux objets proviennent du fond de l’un de ces puits découverts.
Bref, il devait s’agir dans tout ce site d’une véritable « résidence » et peut-être d’un « palais » gallo-romain.
Il reste à M. Faust, en tant qu’inventeur, et aux services concernés, le soin de clarifier, classer, inventorier les innombrables objets.
Que va-t-il advenir de ces matériaux de fouilles ? Les instances intéressées s’en occuperont sans aucun doute, et en dernière analyse ce sera tout de même encore Paris qui aura son mot à dire, mais Paris est bien loin et a d’autres richesses nationales à administrer.
Hugues Walter
Pour en savoir plus:
Au cours de ces fouilles a été mis à jour un rare stylet en bronze de l'époque gallo-romaine. Le lecteur pourra trouver ici une courte étude sur ce stylet, par Michel Feugère:
Stylet inscrit de Rouffach (Haut-Rhin). Gallia - Archéologie de la France antique, 2000, 57, pp.227-229. ff10.3406/galia.2000.3020ff. ffhal-01901993f