Ci-dessus une photographie prise le 5 mars 2024 sur le mur nord du chœur de l'église Notre-Dame de Rouffach à l'emplacement des stalles de chœur, enlevées pour leur restauration par les ateliers Baumgratz de Wuenheim. Après un léger lessivage de la couche superficielle de peinture de la fin XIXème siècle, sont apparues les tracés blancs du décor en "faux appareil" * qui ornait la partie basse du chœur. Et des graffitis, gravés dans l'enduit ... La restauration entreprise dans le cadre de la seconde tranche devant se limiter, dans cette partie basse du chœur, à la seule restauration du décor peint du XIXème siècle, la prospection n'a pas pu s'étendre et il a été décidé par la DRAC de ne conserver qu'une petite fenêtre, qui, de toute manière, serait cachée par les stalles.
Au programme des études de l'Institut de philologie romane de l'Université de Strasbourg, que j'ai suivies entre les années 65/ 68, j'avais déjà été aux prises avec l'étude de graffitis, mais c'était alors ceux de l'époque romaine ! Ces graffitis, relevés dans des lieux publics, notamment des latrines, étaient rédigés de manière phonétique en latin dit vulgaire, celui parlé par la foule, le peuple, et comportaient de nombreuses fautes de grammaire et d'orthographe. Nous devions étudier ces fautes et en tirer des conclusions sur la manière dont le latin était prononcé par le peuple. C'est de ce latin-là, le latin populaire, que sortira, au fil des siècles, notre français d'aujourd'hui. **
Dans cet article, il ne sera pas question de graffitis de ce genre, mais de ceux à découvrir dans le chœur de l'église de Rouffach. A l'endroit où seront replacées les stalles après leur restauration, une "fenêtre" ouverte pas les restaurateurs et restauratrices d'Orpimento, en charge de la restauration des décors peints, a révélé, sous le décor du tout début du XXème siècle, les tracés blancs du décor en "faux appareil" * qui ornait la partie basse du chœur, ainsi que de curieux graffitis, non pas du texte, mais des dessins.
Un graffiti sur un monument historique, gravé dans la pierre ou dans un enduit ancien, ne doit pas être négligé: il peut révéler des informations essentielles, un tracé d'architecte, un projet, un calcul, mesure ou prix, le moindre détail mérite d'être examiné et étudié...
Cette fenêtre sera cachée par les stalles à leur retour, des stalles qui posent également quelques questions, pour l'instant sans réponse précise: de quand datent-elles, étaient-elles toujours placées à l'endroit actuel, qui y trouvait place? L'église de Rouffach a toujours été église paroissiale et pas conventuelle: ici ni moines ni moniales ! Ces sièges sont destinés en priorité au clergé de la paroisse . Ces stalles de chœur recevaient sans doute également les prêtres du doyenné lors de la tenue annuelle du chapitre rural Citra Colles Ottonis. Sans doute y prenaient place également les desservants des autels des différentes chapellenies, lorsqu'ils étaient appelés pour assister le curé. Pour ce qui est de leur datation, la base Palissy du Ministère de la Culture avance prudemment que ces stalles à "l'ornementation de style gothique et renaissant" qu'elles dateraient "probablement du 19ème siècle" ! On aurait pu mieux faire ! Toujours-est-il que ces stalles, que l'architecte parisien Mimey voulait remplacer par de nouvelles, ont été replacées à l'issue des travaux dans l'église en 1872. A leur place actuelle?
Quoi qu'il en soit, la "fenêtre aux graffitis" était cachée sous le décor peint et derrière les stalles depuis au moins le tout début du XXème siècle. Alors ces graffitis, que représentent-ils ?
A y regarder de près, certains de ces tracés représentent un pan de mur d'église, des toitures, une ogive, j'y vois même un croquis de contrefort: pas de chiffres, pas de lettres, rien de satirique ou de caricatural ... Ces dessins sont-ils postérieurs ou antérieurs aux tracés du faux appareil? On peut rêver ! Mais sans doute, les architectes et spécialistes des monuments historiques ont-ils déjà étudié la question et répondu aux questions que nous nous posons sur ces graffitis? On en saura peut-être plus, lorsqu'ils livreront leurs conclusions au public?
Gérard Michel
Post-scriptum, 14/08/24.
Un ami m’a confié, il y a quelque temps, une vingtaine de petits carnets bleus dont les précédents détenteurs s’étaient débarrassés, n’en ayant pas trouvé l’usage. Ils étaient tous datés de la même période, 1867 -1868 et portaient des étiquettes, Maçonnerie, Carrières… Sur la première page de l’un de ces carnets, figurait l’inscription à la plume, tracée en belle calligraphie : Carnet des journées d’ouvriers travaillant à la carrière en 1867 et commencement 1868. D’autres inscriptions, pareillement calligraphiées dans quelques autres carnets…
A la suite, quelques tableaux, à l’encre, mais la plupart des pages sont noircies de croquis côtés, au crayon, de notes et de calculs griffonnés… Il semblerait que ces carnets aient été détournés de leur destination première et soient devenus les carnets de croquis et de calculs de maîtres, maçons, tailleurs de pierre, sculpteurs ou charpentiers, œuvrant à la restauration de l’église !
Ces carnets, emballés dans un sachet plastique et destinées au rebut, se révèlent donc être de précieuses pépites … qui font immanquablement penser aux graffitis du mur sud du chœur… Ils pourraient être de la même époque : sachant que les murs devaient de toute manière être mis en peinture, les maîtres ont utilisé ces murs pour leurs croquis, leurs ébauches et leurs calculs, destinées aux ouvriers… comme nous griffonnons sur les plâtres blancs de la pièce que nous allons tapisser ou peindre !
Notes:
* Le faux appareil est une décoration sous la forme d'une peinture qui imite les lignes horizontales et verticales d'un appareil de maçonnerie entre des pierres de taille. Ce motif décoratif est très courant dans les églises pendant tout le Moyen Âge. Ce faux appareil est également visible dans l'inscription de 1444 dégagée dans le choeur, sur le même côté Nord.
** La langue des graffitis des latrines d'aujourd'hui, celles de nos villes et des stations d'autoroutes, sera-t-elle, elle aussi, un jour, la langue officielle? Le lecteur de ce jour-là comprendra-t-il encore la langue de Montaigne, de Molière, Hugo ou Balzac ? D'ailleurs, saura-t-on encore lire ?
*** graffiti
- 1. Inscription ou dessin griffonné par des passants sur un mur, un monument, etc.
- 2. Inscription ou dessin, de caractère souvent satirique ou caricatural, tracé dans l'Antiquité sur des objets ou des monuments. (Parmi les plus révélateurs, citons les inscriptions politiques de Pompéi, les comptes sur les tessons de la Graufesenque, etc.)
Tous ces carnets ont été remis aux archives municipales de Rouffach.
Droit d'auteur et propriété intellectuelle
L'ensemble de ce site relève de la législation française et internationale sur le droit d'auteur et la propriété intellectuelle. Tous les droits de reproduction sont réservés. Toute utilisation d'informations provenant du site obermundat.org doit obligatoirement mentionner la source de l'information et l'adresse Internet du site obermundat.org doit impérativement figurer dans la référence.
photos Gérard Michel