Les consoles du chœur de l'église Notre-Dame de Rouffach
« C’est vers 1280 que fut remplacé le chœur roman, peut-être à fond plat, comme à Limbourg que l’église du Xième siècle reproduisait à échelle réduite, par un nouveau chœur, composé de trois travées droites et un chevet de cinq pans. Il adopte ainsi le plan allongé des églises des ordres mendiants érigés autour de cette date : aux dominicaines du Klingenthal à Bâle, aux dominicains de Colmar, aux franciscains à Rouffach même. Il est éclairé de hautes fenêtres divisées en trois lancettes surmontées de remplages géométriques, le mur gouttereau étant éclairé par les oculus caractéristiques. Cependant, contrairement à ces sobres édifices, le chœur de l’église de Rouffach est orné de sculptures dignes de remarque. Les contreforts sont pourvus de petites gargouilles et de gâbles surmontées de figures d’animaux et de statuettes d’anges aux aires déployées de cuivre, tels qu’ils se voyaient avant la Révolution sur l’arcade décorative du socle des portails de la cathédrale de Strasbourg, entrepris en 1277. A l’intérieur, les clés de voûtes contiennent un saint Jean-Baptiste et des prophètes, les fûts qui montent vers les hauteurs dans les travées droites, sont soutenues par de larges consoles montrant quatre jouvenceaux agités, flanqués au Nord par les symboles des Evangélistes, au sud par les fleuves du Paradis. Cette sculpture tout à fait extraordinaire semble dériver de celles des voussures du portail principal de la cathédrale de Bâle, taillées quelques années auparavant. »
Hans Reinhart : Notre Dame de Rouffach 1978
« Ces consoles sont ornées dans leur partie inférieure de sculptures à motifs d’êtres humains, d’animaux, de branches et de feuillages. L’ornementation de chaque console représente de toute évidence un ensemble allégorique, cependant que les quatre consoles semblent aussi se compléter pour constituer un tout cohérent. Leur signification n’a jamais été totalement élucidée. L’intérêt … de ces groupes est très grand, et réside dans leur ensemble, dans les détails et dans la cohérence subtile de ces détails. …
Hugo Walter La décoration sculptée du chœur de l’église Notre-Dame de Rouffach
Ces quatre consoles présentent un point commun : les branches, le feuillage, l’arbre… Dans la symbolique chrétienne l’arbre représente soit le paradis premier, celui de la Genèse, soit le Paradis dernier, celui qui attend l’homme après une vie conforme l’enseignement du Christ. C’est l’arbre de la Vie, se hisser dans cet arbre c’est, selon Hugues Walter, suivre la voie du salut qui aboutit au Paradis…
Au centre de chacune des consoles, dans les branches et le feuillage de l'arbre, un homme...
Côté Nord:
Console 1 (Nord-Est) ↑
Sur celle représentée ci-dessus, le personnage se maintient dans l’arbre, la main gauche tenant une branche, l’autre appuyée sur son genou droit, la jambe gauche en flexion, le pied appuyé sur une branche, comme si le personnage voulait se hisser en s’aidant de l’appui de sa main droite sur le genou. L’expression du visage est calme et ne trahit ni effort ni souffrance.
Le vêtement est luxueux, ample, le drapé est élégant, avec une large encolure, les pieds sont chaussés de chaussures souples, aux semelles bien dessinées : un jeune homme riche ?
A ses pieds, un second personnage bouclé, agrippé aux branches, aux prises avec un monstre ailé et griffu qui lui maintient la bouche ouverte et le force à avaler des pièces s’échappant d’une bourse souple qui laisse entrevoir qu’elle est bien garnie. La scène pourrait représenter l’avarice.
Aux angles de cette console, le symbole des évangélistes : le jeune homme ailé, Saint Mathieu et l’aigle Saint Jean.
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Console 2 (Nord-Ouest) ↑
La seconde console, est en partie mutilée. Elle représente également un homme, au visage tourmenté, qui semble vouloir échapper à un danger venant du bas. Quel danger, ou quelle tentation ? L’homme est pieds-nus, à peine vêtu… un pauvre ? Quelle scène était représentée sous ses pieds ? L’état actuel ne permet plus de répondre à cette question… Hugo Walter, dans son article, écrit : « … on reconnait cependant encore nettement un petit bonhomme, englué dans la terre […] la bouche est ouverte et un diablotin introduit une boisson … » Que s’est-il passé depuis, où sont ces morceaux que Hugues Walter a encore pu voir et décrire ? Selon lui, cette scène aurait représenté l’intempérance…
A gauche du petit personnage représenté au bas de la console, on aperçoit à nouveau ce qui pourrait être des pièces d’argent…des talents.
Aux angles, le symbole de deux évangélistes, le taureau ou le veau ailé, représentant Saint Luc et le lion ailé, représentant Saint Marc.
Côté Sud :
Console 3 Sud Est ↑ face à console 1
On retrouve dans le groupe ci-dessus, le décor de l’arbre, branchages et feuilles. Le personnage central est richement vêtu, le sculpteur s’est attardé sur le drapé, le col, la boucle de ceinture, les chaussures… Les rides entre les sourcils lui donnent une expression soucieuse.
Son pied gauche s’appuie sur un monstre ailé, bipède aux pattes griffues et terminé par une queue à écailles. Une vouivre, cette créature légendaire qui rattache les hommes à la terre et les empêche d’accéder à Dieu ? L’homme regarde vers le sol, peut-être vers cette créature qui l’intrigue, dans une posture qui reste détendue…
A ses côtés, deux femmes richement vêtues, coiffées d’un touret ou d’une couronne, versent l’eau de leurs amphores : il s’agit là de la personnification des fleuves de l’Eden déversant leurs flots aux points cardinaux :
… et l’Eternel fit pousser du sol tout arbre agréable à voir et bon à manger, et l’arbre de vie au milieu de jardin et l’arbre de la connaissance du bien et du mal. Et un fleuve sortait de l’Eden pour arroser le jardin et de là il se partageait et devenait quatre fleuves…
Ces quatre fleuves décrits dans Genèse 2 : 10-14, y sont nommés Pishon , Gihon, Hiddekel (Tigre) et Phrath (Euphrate) .
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Console 4 Sud Ouest ↑ face à console 2
On retrouve comme précédemment aux angles de la quatrième et dernière console, la représentation des fleuves de l’Eden : deux femmes couronnées, ou coiffées d'un touret orné de pierreries, pour l'une d'elle. La tunique de la seconde est fermée par une broche.
On y retrouve le même décor d’arbre. Le personnage central s’appuie d’un pied sur une branche, de l'autre pied sur "une vouivre" qui semble le mordre au mollet gauche. L'homme a une posture qui paraîtrait calme et désinvolte, comme celle d’un rêveur, si son visage et sa bouche ne trahissaient pas la douleur : le coude droit négligemment posé sur la cuisse droite et la main droite posée sur la hanche gauche. La main droite s’appuie sur l’oreille : pour étouffer un bruit douloureux, pour ne pas entendre ou pour entendre mieux ? Ou soutient-il simplement sa tête comme s’il était perdu dans ses pensées ?
L’homme est vêtu pauvrement et ne porte pas de chaussures. Le drapé reste élégant et les détails de l’anatomie du personnage sont rendus avec beaucoup de précision : le nombril, les côtes, les ongles des doigts, les rides du front traduisant la douleur ou la colère, les dents, la langue...
La « vouivre », qui contrairement à la première représentation, n’a pas d’ailes, se retourne vers la jambe du personnage comme pour mordre. L’expression du personnage trahirait-elle la douleur de cette morsure ?
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Quelle est la relation entre ces quatre consoles, l’une est-elle la suite d’une autre, et peut-on imaginer un cheminement de l’une vers l’autre ? Quelle cohérence? Quel enseignement doivent-elles transmettre ?
Deux d’entre elles sont au Sud, le côté Epître, les deux autres au Nord, côté Evangile : rappelons que la lecture de l’épître est tirée soit de l'Ancien Testament, soit des épîtres des apôtres, d'où son nom, et se faisait obligatoirement du côté gauche de l'autel (à droite pour l'assistance), dit « côté épître » ; la droite honorifique (à gauche pour l'assistance) était le « côté évangile ». A Rouffach, l’Ancien testament (les fleuves du Paradis de la Genèse) est figuré au Sud, côté Epître, et le Nouveau Testament, représenté par les quatre évangélistes, est figuré au Nord, côté Evangile . Le jubé, dont il ne reste plus que les tourelles d'accès, présentait vraisemblablement , avant sa démolition en 1718, deux places pour les lectures: l'épître était lue depuis la tribune du jubé, côté droit vu depuis l'assistance, et l'Evangile proclamée à gauche, côté de l'ancienne sacristie.
Hugues Walter avait prévenu son lecteur que la signification de ces consoles n’avait jamais été totalement élucidée ! L’homme d’aujourd’hui a perdu la plupart des codes d’accès à la symbolique médiévale et l’iconographie de nos églises romanes et gothiques continuera à nous interroger et restera énigmatique …
Toujours est-il que cet ensemble est une œuvre unique, la facture sculpturale en est exceptionnellement précise et fouillée, elle est sans conteste l’œuvre d’un grand sculpteur. L’auteur du décor sculpté de la porte d’entrée de l’ancienne sacristie est-il le même que celui des consoles ? Peut-être, mais cela aussi restera une énigme…comme le sourire de la Dame au Touret...
Gérard Michel
photos G.Michel
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