Les armoiries de Claus LEO, Spitalmeister de l'hôpital du Saint Esprit de Rouffach...
Denis HEISSLER
L'an dernier, M. Michel signalait la présence de deux pierres armoriées de réemploi sur une grange de la rue Ullin à Rouffach et suggérait qu'elles provenaient peut-être de l'ancien hôpital du Saint-Esprit.[1] L'une de ces pierres comporte un écu divisé en deux champs verticaux. Celui de droite[2] est en creux par rapport à celui de gauche et contient une étoile à huit branches en relief.[3] J'ai fait l'hypothèse qu'il s'agissait de l'armoirie des Zuckmantel à savoir : "Parti d'or plain et de sable à l'étoile à huit rais d'argent".[4] Hypothèse trop restrictive comme on va le voir.
Les Zuckmantel étaient une famille de Burgmannen [5] de Brumath connue du XIVe au XVIIIe siècle. En raison de cette longévité et de leur notoriété - ils seront barons sous Louis XV - leurs armoiries sont bien connues. [6] Mais à Brumath, plusieurs autres familles de Burgmannen portaient l'écu or et sable à l'étoile d'argent. Selon J. Kindler von Knobloch, [7] c'était notamment le cas des Born, des Bütenheim, des Brumat, des Waltenheim, des Weitersheim, de quelques autres familles également. Leurs armoiries se différenciaient par le cimier, [8] mais malheureusement la pierre de la rue Ullin n'en comporte pas.
Si l'étoile à huit rais est devenue au cours des siècles le signe distinctif des Zuckmantel, ils n'étaient pas les seuls à l'arborer à l'origine. Les Bütenheim la portaient aussi. De plus, au XIVe siècle, un certain désordre régnait dans les étoiles. Kindler von Knobloch signale que, dans au moins trois familles, certains membres ont utilisé dans leur sceau une étoile n'ayant pas le nombre de branches habituel de la famille. Il s'agit de Wilhelm et Johannes Zuckmantel (six rais), de Dietrich von Waltenheim (huit rais) et des frères Johann et Bechtold von Weitersheim (huit rais). C'est encore le cas de Walraff Zuckmantel (six rais) à la fin du XVe siècle. [9], [10] Et en 1719, une armoirie de François Antoine Zuckmantel le Jeune comporte une étoile à sept rais.[11]
On voit donc qu'en partant des seules armoiries, ici comme dans de nombreux autres cas, il est difficile d'identifier une famille et encore plus une personne en particulier. Nous pouvons toutefois considérer que l'armoirie à l'étoile est bien celle d'une famille de Burgmannen de Brumath. Si nous croisons cet élément avec des personnages présents à l'hôpital du Saint-Esprit de Rouffach, peut-être pourrons-nous progresser. La liste des Spitalmeister (maîtres de l'hôpital) est évidemment la première cible. Et c'est l'un des plus fameux, Claus Leo (ou Lee) - aussi appelé Claus Portner [12] - en fonction pendant le dernier quart du XIVe siècle, qui attire aussitôt l'attention : J. Noguès signale qu'il appartenait à la famille Thor de Brumath. [13] On sait assez peu de choses sur cette famille. Mais B. Hertzog mentionne un Herr Walter am Thor zu Brumat, parmi dix-neuf Burgmannen, lorsqu'il relate le transfert de vassaux des comtes de Werde aux Lichtenberg en 1361. [14] Kindler von Knobloch mentionne également les am Thor parmi les Burgmannen qui portaient l'écu or et sable à l'étoile d'argent [15] sans toutefois leur consacrer un article, contrairement aux familles mentionnées plus haut. Cependant, il avait fait figurer dans un ouvrage antérieur un article relatif aux zum Thor de Haute Alsace dans lequel apparaissent deux personnages de Brumath ayant vécu au XIVe siècle. [16] Pour l'un d'eux, le chevalier Walter am Thor, il précisait déjà qu'il portait un écu parti avec une étoile à senestre [17] sans indiquer combien de rais possédait l'étoile. Mais comme on l'a vu plus haut, ce nombre n'a qu'une importance limitée.
En conclusion, en me basant sur le fait que l'armoirie à l'étoile est celle d'une famille de Burgmannen de Brumath et sachant que Claus am Thor zu Brumat (Claus Leo), dont la famille portait de semblables armoiries, était maître de l'hôpital du Saint-Esprit de Rouffach à la fin du XIVe siècle, je fais l'hypothèse que l'armoirie à l'étoile trouvée rue Ullin est la sienne.
Le Spitalmeister Claus am Thor zu Brumat avait peut-être des armoiries identiques à celles des Zuckmantel.
Dessin DH - Juin 2021
Quelques mots sur le Brumath médiéval [18]
Le fief de Brumath était détenu depuis le dernier quart du XIe siècle par les ancêtres des comtes de Werde. Deux siècles et demi plus tard, en 1332, la situation financière des Werde les oblige à vendre, une grande partie du fief aux sires de Lichtenberg qui le partagent ensuite entre deux branches de leur famille. A cette époque, une vingtaine de Burgmannen habitaient la ville. Leur rôle initial - défense de la ville ou d'un château urbain - est discuté. En 1359, la partie du fief qui était restée aux Werde échoit aux Lichtenberg. Malgré cela, les décennies suivantes seront agitées.
Denis HEISSLER. Juillet 2021
Références bibliographiques et notes
[1] G. Michel, "La chasse aux marques lapidaires continue..." [En ligne]. Obermundat.org ; publié le 10 août 2020.
[2] (a) L'étoile est située à droite pour un observateur extérieur. Mais en héraldique, l'étoile est dite à senestre - à gauche - étant donné que l'on parle du point de vue du porteur de l'écu. (b) En français, armoiries ne s'utilise normalement qu'au pluriel. Mais comme ce pluriel est parfois encombrant, les spécialistes français d'héraldique utilisent parfois le singulier. Je les suis dans cette pratique. Voir : M. Pastoureau, L'art héraldique au Moyen Age. Editions du Seuil - Paris, 2009 ; p. 11.
[3] Sur certaines photographies, l'étoile semble être en creux. Il s'agit d'un artefact.
[4] En héraldique, parti signifie que l'écu est divisé verticalement en son milieu. Lorsque la division est horizontale, on dit coupé.
[5] B. Metz, "Burgmann", Dictionnaire historique des institutions de l'Alsace du Moyen Age à 1815 [En ligne]. Consulté le 10 juin 2021. Lien : https://dhialsace.bnu.fr/wiki/Burgmann
[6] On les trouve, par exemple : (a) Dans un dessin représentant six religieuses et leurs armoiries (K.-T. Parker, "Un dessin inédit de Hans Baldung-Grien". Archives alsaciennes d'histoire de l'art. 1922, 1, 41-52. Source : gallica.bnf.fr / Bibliothèque de l'Institut national d'histoire de l'art. Collections J. Doucet) ; (b) Sur le linteau d'une cave de Wintzenheim-Kochersberg, ancienne possession de la famille (site de la mairie du lieu consulté le 25 juin 2021. https://wintzenheim-kochersberg.fr/mairie/?p=1676 ) ; (c) Dans un manuscrit (Livres d'amitié. Album d'Andreas Soetzinger. Folio 167r. Source : gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale et universitaire de Strasbourg. MS.2.040).
[7] J. Kindler von Knobloch, Das goldene Buch von Strassburg. Wien, 1886. On y trouve les articles suivants : Bietenheim (Bütenheim) : p. 34-35 (2) ; Born : p. 44-45 (3) ; Brumat : p. 50 ; Waltenheim : p. 394-395 (II B) ; Weitersheim : p. 410-411 ; Zuckmantel : p. 457-458. (Remerciements à la BNU de Strasbourg).
[8] Le cimier est l'ornement du heaume qui surmonte parfois l'écu.
[9] Il signale une autre variation : Walter der Alte von Brumat portait l'étoile à dextre. On peut aussi mentionner que certains Weitersheim remplaceront plus tard l'or par l'argent dans leurs armoiries. Certaines de ces modifications sont peut-être des brisures c’est-à-dire de petites modifications indiquant une branche cadette.
[10] Au sujet de la variabilité des armoiries, voir : B. Metz, "Armoiries", Dictionnaire historique des institutions de l'Alsace du Moyen Age à 1815 [En ligne]. Consulté le 30 mai 2021. Lien : https://dhialsace.bnu.fr/wiki/Armoiries
[11] Armoirie sur le linteau de la cave de Wintzenheim-Kochersberg (Réf. 6b ci-dessus). On peut signaler que l'armoirie qui accompagne celle de François Antoine Zuckmantel von Brumath (initiales FAZVB) est celle de sa première épouse, Johanna Beatrix von Ligerz (initiales MIBVL). Le M est peut-être celui de Maria.
[12] (a) Th. Walter, "Das Spital des Ordens zum heiligen Geiste in der Stadt Rufach". Jahrbuch für Geschichte, Sprache und Litteratur Elsass-Lothringens. Strasbourg, 1899, Vol. 15, p. 24-44. Source : Internet Archive / Stanford University Librairies. https://archive.org/details/jahrbuchfrgesch04clugoog/page/n33/mode/2up Livre numérisé par Google ; (b) G. Michel, "La vie quotidienne d'un hôpital du Moyen-Âge : l'hospice du Saint-Esprit de Rouffach" [En ligne]. Obermundat.org ; publié le 8 décembre 2020.
[13] J. Noguès, "La commanderie hospitalière du Saint-Esprit de Stephansfeld (1216-1774)". Société académique du Bas-Rhin, 2015-2016 ; Bulletin CXXXV - CXXXVI ; 42-45.
[14] B. Hertzog, Edelsasser Cronick. Strasbourg, 1592, Das Fünffte Buch (Livre V), p. 9. Source : Das rheinland-pfälzische Digitalisierungsportal dilibri. Lien : https://www.dilibri.de/rlbdfg/content/pageview/671560
[15] J. Kindler von Knobloch, Das goldene Buch. Article Brumat, p. 50.
[16] J. Kindler von Knobloch, Der alte Adel im Oberelsass. Berlin, 1882, p. 94-95. Source : gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale et universitaire de Strasbourg.
[17] "hat im gespaltenen Schilde hinten einen Stern".
[18] Sur la ville médiévale et les anciens châteaux de Brumath : B. Metz, "Essai sur la hiérarchie des villes médiévales d'Alsace (1200-1350)". Revue d'Alsace, 2002, 128, 64-66. Source : www.numistral.fr / Bibliothèque nationale et universitaire de Strasbourg. Et aussi trois articles du Bulletin de la Société d'histoire et d'archéologie de Brumath et environs : (a) D. Zimmer, "Sur les traces du palais impérial carolingien et des trois châteaux du Brumath médiéval" 2005, 33, 4-36 ; (b) D. Zimmer "La Krantzburg de Brumath : nouvelles données sur son origine et son démantèlement" 2018, 46, 62-80 ; (c) B. Metz, "Les Fürst. Une famille noble de Brumath (13e-14e siècles)" 2019, 47, 4-17.
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