Les rois d’Austrasie avaient fait construire aux abords de la voie romaine qui longeait le piémont des Vosges, un château qui devint l’une de leur résidence, Isenbourg. Selon la légende, l’un de ces rois, Dagobert II, aurait fait don de sa royale demeure et des terres qui l’entouraient, au saint évêque Arbogast et à ses successeurs, par gratitude envers celui qui avait rendu miraculeusement la vie à son fils Sigisbert. Dans sa longue histoire, le château connut des épisodes mouvementés, entre destructions, restaurations et agrandissements :
- restauration en 1278 par Conrad de Lichtenberg
- agrandissement par Henri de Blankenheim
- entre 1612 et 1617, l’archiduc Léopold entreprend la construction d’un nouveau château, au nord de l'ancien, en forme de fer à cheval, par Christophe Wambser, architecte de l'évêché
- restauration par Egon de Furstenberg en 1664
- en 1751 le grand chapitre de la cathédrale prend la décision de raser le château
- à la Révolution le château est vendu comme bien national à Xavier Schaedelin de Neuf-Brisach, puis revendu en 1791 au perruquier Claude Pierre Dupont
- en 1822 Xavier Jourdain fait raser les restes du château et construire une maison de campagne en 1835.
- la propriété est vendue à la famille Chatelain de Rouffach, puis devient propriété de Xavier Ostermeyer, viticulteur et maire de Rouffach. C’est lui qui fera construire le château actuel, de 1880 à 1895, sur les fondations de l'ancien château du 17ème siècle dont il conserva les caves voûtées
Le 22 septembre 1751, le Doyen et le grand chapitre de la cathédrale de Strasbourg prennent la décision de faire raser le château jusqu'à ses fondations et d'en vendre les matériaux:
Isenbourg en 1599 (A.M.R.)
et en 1750...
Mémoire
Sur le compte qui a été rendu à Monseigneur le Cardinal de Soubise [1] par les Officiers de la Chambre des Comptes de différens édifices et bâtiments qui dépendent de son évêché, S.A.E. a reconnu qu’il y avoit un Château à Rouffach qui menaçoit une ruine prochaine et lequel n’étoit jamais parvenu à sa parfaite construction. Les fondements de ce château ont été jettés par le Prince François Egon de Furstenberg [2] en 1657, lequel n’a fait faire que les murs principaux et la toiture. C’est dans cet état qu’il est parvenu à ses successeurs les Seigneurs Evêques lesquels n’ont pas jugé à propos de continuer un bâtiment dont la situation entrainoit plusieurs inconvéniens comme sont le manque d’eau et d’être dans un diocèse étranger. Il n’est point à présumer que jamais un Evêque de Strasbourg veuille donner la préférence au séjour de Rouffach sur ceux de Saverne et de Mutzig dont les châteaux ont été agrandis et ornés par Monseigneur le Cardinal de Rohan d’heureuse mémoire. Dans ces circonstances, il seroit d’utilité de l’Evêché que l’on démolît le dit château et que l’on en vendît les matériaux dont le prix seroit employé à l’amortissement de quelques rentes constituées sur l’évêché ; le second avantage qu’il en retireroit seroit celui de rentes en vin du terrain compris dans l’enclos du dit château, lequel est situé très avantageusement pour être converti en vignes. Mais comme un pareil arrangement ne saurait parvenir à son exécution sans le consentement du grand chapitre, S.A.E. a ordonné aux officiers de la Chambre des Comptes de présenter le présent mémoire à nos Seigneurs du grand chapitre aux fins qu’ils authorisent la Chambre à ordonner la démolition du château de Rouffach et de procéder à la vente des matériaux par une adjudication au plus offrant et dernier enchérisseur et d’en employer le prix qui en proviendra à l’amortissement e quelques rentes constituées sur l’Evêché et ce proportionnellement à la somme que l’on retirera, de tout quoy communication sera donnée par la Chambre au Grand Chapitre.
Nous, Armand Jules, prince de Rohan, [3] Archevêque, duc de Reims, grand doyen et le Chapitre de l’Eglise cathédrale de Strasbourg, sçavoir faisons, qu’ayant vu le mémoire ci-dessus, nous, en considération des raisons y énoncées, avons consenti, comme nous consentons par les présentes, à la démolition du château de Rouffach appartenant à l’Évêché de Strasbourg, bien entendu que par la Chambre des Comptes du dit Évêché, il sera procédé à la vente des matériaux dudit château par une adjudication au plus offrant et dernier enchérisseur, et que le prix qui en proviendra, sera employé à l’amortissement de quelques rentes constituées sur ledit évêché et ce proportionnellement à la somme que l’on retirera, de tout quoy la dite Chambre des comptes donnera communication à notre chapitre. En foy de quoy Monsieur notre grand doyen a signé les présentes, que nous avons fait munir du scel [4] ordinaire de notre chapitre, et les avons faits contresigner par notre conseiller et secrétaire.
Fait au chapitre général tenu à Strasbourg, le vingt deuxième septembre mil sept cent cinquante un.
par Messeigneurs du grand chapitre de l’Eglise cathédrale de Strasbourg
Riccius
conseiller et secrétaire
Mais le vénérable château d'Isenbourg bénéficia d'un sursis de 71 ans, puisqu'il ne fut effectivement rasé qu'en 1822 par Xavier Jourdain qui fit construire une maison de campagne sur son emplacement en 1835.
Entre temps, il avait traversé la période révolutionnaire et avait été le théâtre d'événements dramatiques, le 20 mai 1792 :
Ce soir là, le jeune propriétaire du château, Claude-Pierre DUPONT, perruquier de son état, originaire de Saint Amour, qui avait épousé une fille de Rouffach, invite ses amis au château où devait avoir lieu un banquet suivi d’un bal. L'acquisition du château en 1791 par Dupont, avait été douloureusement perçue par les gens de Rouffach, d’autant plus que ce jeune DUPONT poussait l’arrogance jusqu’à faire flotter sur l’antique donjon un drapeau tricolore...
Dans les rues de Rouffach, la révolte grondait, et vers 10 heures une soixantaine d’hommes assaille la garde.
JÄNGER, l’ancien maire, nommé nouvel administrateur de la commune, tente en vain de calmer la meute grossissante. La foule entraîne avec elle JÄNGER et le conseiller FISCHER et se rue en direction du château. Les convives de DUPONT prennent discrètement la fuite dans l’obscurité, DUPONT barricade portes et fenêtres et s’apprête au combat avec une petite poignée de fidèles. Deux coups de feu partent en direction des assaillants: FISCHER tombe, mortellement blessé. JÄNGER est pris à partie par la foule et bientôt tombe, le corps percé de plus de deux cents coups, le visage emporté par deux balles...
La fureur populaire est à son comble : au son des tambours, des trompettes et du tocsin de l’église paroissiale, de nouvelles masses se ruent en direction du château où tout fut saccagé...
La propriété Xavier Jourdain (A.D.H.R. Colmar)
Notes:
- [1] François-Armand de Rohan, dit cardinal de Soubise, est un homme d'Église français, né à Paris le 1er décembre 1717 et mort le 28 juin 1756 à Saverne, prince de Rohan
- [2] François-Egon de Fürstenberg (10 avril 1626 à Heiligenberg, Allemagne - 1er avril 1682 à Strasbourg) a été le 89ème évêque de Metz puis le 87ème évêque de Strasbourg.
- [3] Armand-Jules de Rohan-Guémené (Paris, 10 février 1695 - Saverne, 28 août 1762), est un ecclésiastique français, reçu chanoine de Strasbourg en avril 1715. Archevêque de Reims, il sacra Louis XV.
- [4] le sceau
Sources:
- Notice historique sur le château d'Isenbourg près de Rouffach 1894 par Léonie Ostermeyer - Chatelain, Fritz Kessler, A. Chatelain
- Le château d'Isenbourg à Rouffach Pierre Paul Faust
Gérard Michel
novembre 2019