Lucas Cranach d.Ä. (atelier de) - Portrait de Martin Luther (Lutherhaus Wittenberg)
1592 - 1604 La guerre des évêques : deux évêques pour une seule cathèdre *, c'en est un de trop !
* Cathèdre : La cathèdre est un siège ou un trône liturgique réservé à un évêque dans un lieu de culte, généralement une cathédrale, ou à un abbé dans les bâtiments de l'abbaye dont il a la direction.
La guerre des évêques est une guerre de Religion commencée en 1592, qui met la basse Alsace à feu et à sang. En 1592, l'évêque catholique Jean IV de Manderscheid-Blankenheim décède et le siège épiscopal se trouve vacant. Deux factions, l’une catholique et l’autre protestante, se disputent le chapitre de la cathédrale, qui devait procéder à l’élection du nouvel évêque. Deux candidats furent présentés : Jean Georges de Brandebourg , luthérien, d'une part, et Charles III de Lorraine , catholique, d'autre part. Deux évêques pour un évêché, il y en a un de trop : et c'est la guerre !
Cette « guerre des évêques » oppose leurs partisans respectifs : les princes protestants et le Magistrat de Strasbourg d'une part, la Maison de Lorraine, catholique, d'autre part.
Le conflit est tranché une première fois par la diète en 1593 puis une seconde fois par le traité de Haguenau, le 22 novembre 1604. La paix, signée en 1604, après 12 années d’hostilités, aboutit à un compromis : le Cardinal Charles de Lorraine est reconnu seul titulaire du siège épiscopal. Il continuera à vivre à Saverne et à bénéficier des revenus et des droits sur les terres épiscopales. Strasbourg, sa cathédrale et ses terres demeureront luthériennes, jusqu’à l'annexion française de Strasbourg en 1681.
D’après le droit canon médiéval, c’est le Grand Chapitre de la cathédrale qui procède à l’élection d’un nouvel évêque.
Le Grand Chapitre cathédral est un collège de chanoines, qui avaient « stallum in choro et vocem in capitulo »; ils disposaient d’une stalle dans le chœur et avaient voix au chapitre. Ce mot chapitre désigne à la fois le corps des chanoines comme personne morale, l’assemblée qu’ils tiennent régulièrement et le lieu dans lequel se tient cette assemblée. A partir du 13ème siècle, le canonicat, la dignité de chanoine, était exclusivement réservée à la haute noblesse, capable de présenter seize quartiers de noblesse vers 1470 et trente-deux au début du XVIème siècle, ce que très peu de familles de l’aristocratie strasbourgeoise et alsacienne pouvaient présenter. Seuls les fils des maisons les plus illustres de l’Empire avaient accès aux stalles du grand chapitre de Strasbourg.
Maison de recette du Grand Chapitre de la cathédrale de Strasbourg, actuel presbytère catholique de Rouffach
1778
Décès de Jean de Manderscheid-Blankenheim
Le 22 mai 1592, Jean de Manderscheid-Blankenheim, évêque de Strasbourg de 1569 à 1592, décède dans son château de Saverne. Les dernières années de son épiscopat avaient été marquées par d’importants conflits qui l’opposaient au Grand Chapitre dont une partie des chanoines avait pris le parti de la Réforme.
Une cathédrale protestante…
La réforme avait pénétré très tôt en Alsace et le message du moine Martin Luther y trouva un écho favorable et à la fin du siècle, un tiers de l’Alsace était devenue protestante, Strasbourg adhère au protestantisme en 1524, en 1529 la messe des catholiques est abolie et la cathédrale est affectée au culte protestant. Entre 1550 et 1560 le culte catholique y est rétabli mais les luthériens en reprennent possession en 1561. Ce n'est qu’en 1681 que Louis XIV imposera le retour au culte catholique. En 1417, Guillaume de Diest s’installe définitivement à Saverne dont il fait sa capitale administrative.
Et le chapitre cathédral ? Il restait dans la ville libre où les chanoines avaient élu domicile et s’y trouvaient bien intégrés, résidant dans leur maison canoniale et vivant de leur prébende provenant des revenus du Chapitre. La Ville, elle, ne pouvait trouver que des avantages dans une relation avec des personnages issus des plus grandes familles de l’Empire…
Un chapitre divisé et une élection improbable…
Une partie des chanoines ayant embrassé la doctrine luthérienne, deux factions divisaient le chapitre, opposant les chanoines protestants à ceux restés catholiques. Les chanoines protestants siègent à Strasbourg, alors que les chanoines Catholiques siègent à Saverne. Au décès de Jean de Mandersheid-Blankenheim, Jean Georges de Brandebourg, soutenu par les princes protestants, le prince électeur de Brandebourg et le magistrat de la république libre de Strasbourg, est élu administrateur laïc de l’évêché vacant de Strasbourg par la majorité évangélique du Grand chapitre. La minorité catholique elle, avait élu le cardinal de Lorraine, soutenu par l’empereur et les états impériaux catholiques et la couronne de France.
Cette élection met le feu aux poudres et déclenche une longue série d’exactions et de tourmentes qui ne prendront fin qu’après 12 années d’hostilités, en 1604, laissant derrière elles une population brisée, affamée et pillée… Le conflit touchera principalement la Basse Alsace, Saverne, Wasselone, Barr, Valff… Aucun des deux partis n’en sortira vainqueur, le traité de Haguenau reconnaitra finalement Charles de Lorraine seul titulaire du trône épiscopal de la cathédrale de Strasbourg, son rival luthérien et les chanoines protestants toucheront une riche compensation financière de 30.000 florins !
En 1610, Jean Georges de Brandebourg épousera Eve de Wurtemberg et le couple aura cinq enfants…
Charles de Lorraine, évêque de Strasbourg
Et Rouffach, dans tout cela ?
Ce conflit n’a pas laissé de traces dans les archives de Rouffach, si ce n’est une petite phrase dans un courrier du 13 juillet 1592, adressé par Charles de Lorraine, nouvel évêque de Strasbourg régulièrement élu et proclamé légitimement et dûment, à ses villes de Rouffach, Soultz et Eguisheim et à tous les villages et hameaux de l’Obermundat. Prétextant ne pouvoir recevoir en personne l’hommage de ses sujets, en raison d’une rébellion soulevée au sein du chapitre par certains agitateurs, il ordonne à ses sujets de prêter le traditionnel serment d’allégeance devant des représentants délégués à le recevoir, le bailli de Rouffach Eberhardt, Comte de Manderscheid-Blankenheim ou deux de ses fidèles conseillers.
Sceau 1199/1247 Base Sigilla Chapitre cathédral de Strasbourg
A.M.R. A / AA8 13 juillet 1592Wir Carle, von Gottes gnaden der heiligen Römischen Kirchen
Cardinal Bischoff zu Straßburg und Metz, geborner Herzog zu Calabrien, Lottringen, Bar unnd
Geldern, Margrave zu Pontamonson und Landgrave zu Elsass, enpieten allen
unsern Beampten, Vögten, Schultheißen, Burgermeistern, Räthen, Gerichten unserer Stätt Ruffach,
Sultz, Egessheim, und darzu gehöriger Flecken und Dörffer, wie auch allen andern unseren an-
gehörigen Underthanen, unserer und unsere Stifft Straßburg Herrschafft der Obern Mondat, un-
sern geneigten Willen. Und füegen auch hiemit sampt und sonders gnedigst zu wissen,
demnach Wir auff absterben weilandt des hochwürdigen Fürsten Herren Johann Bischoffen zu Strass-
burg und Landgraven zue Elsass, unsers lieben Herren und nechsten Vorfahren, Christseliger ge-
dechtnus, auss sonderer Schickung und Vorsehung des Allmechtigen, auch ordenlicher Wahl, der
würdig, wolgebornen, unserer lieben andächtigen und Neven Thumbdechant und Capitul hoher
Stifft Strassburg zu bemelter Stifft ordentlichen Haupt und Bischoffen Legitime und gebürender
weiss erwölet, und darauff als baldt proclamiert und introduciert worden, auch gepürende
Possession empfangen, dass uns also nunmeher obligen und gebüeren Will, bemelts
unsers Stiffts Underthanen und Angehörige in die schuldige gelibt und Pflicht zunemmen, Wir
aber, wegen dieser von etlichen Unrüehigen in unserm Stifft erweckter Kriegs Empörung, solche
Huldigung von euch nit selbs auffnehmen können / so haben Wir an unser
Statt, neben dem würdig wolgebornen unserm lieben neven Eberhardten Graven zu Manderscheidt und
Blanckenheim, unser hohen Stifft Strassburg Thumb Custorn und bemelter unserer Herrschafft der
obern Mundat Statthalter und Oberamptman zu Ruffach, die veste unsere liebe getreuen
Räth und Hoffmeister Jacob von Ragecourt und Johann von Bachum, abgeordnet solche
Huldigung und Pflicht inn unserm Nahmen von Euch zu empfahen / bevelchen Euch
hierauf gnedigst und ernstlich, sampt und sonders, dass Ir euch hierin aller Schuldigen ge-
(ge) püer und gehorsam erweiset, auch gedachten unseren abgeordneten Statthalter und Räthen
in unserem Name solche Huldigung und Pflicht unweigerlichen praestieren und leisten / an
( an) dem thun Ir was Ir zuthun schuldig und gepüert. / Und wir seindt es gegenn
Euch, als gehorsamen Underthanen, in allen Gnaden zu erkennen, wie auch Euch beÿ euwern
herbrachten Rechten und Gerechtigkeiten, altem loblichen Harkhommen, gnedigst verpleiben zu lassen
auch dabeÿ zu schützen unnd zu schirmen geneigt. / Zue Urkundt, haben Wir diesen
Gewalt mit eignen Handen underschrieben, und mit unserm auffgetruckten Insigel
Becreffrigen lassen / So beschehen inn unser Statt Elsas Zabern, den dreizehenden
Monats Julii, im fünfftzehenhundert zweÿ unnd neünzigsten Jahre.
Traduction:
Nous, Charles, par la grâce de Dieu Cardinal Évêque de la sainte église romaine, de Strasbourg et Metz, duc de Calabre, de Lorraine, de Bar et de Gueldre , Marquis de Pont-à-Mousson et Landgrave d'Alsace, offrons à tous nos agents seigneuriaux, baillis, prévôts, membres des conseils et des tribunaux de nos villes de Rouffach, Soultz, Eguisheim, et des villages et hameaux qui en dépendent, ainsi qu'à tous nos autres sujets de notre Seigneurie et de notre évêché de Strasbourg, notre bienveillante volonté. Nous les informons également par la présente qu’à la suite du décès de l'évêque Johann de Strasbourg et Landgrave d'Alsace, notre cher seigneur et prédécesseur, de pieuse mémoire, par la disposition spéciale et la prévoyance du Tout-Puissant, ainsi que par une élection régulière, nous avons été élu et proclamé légitimement et dûment comme nouvel évêque de Strasbourg. En raison de troubles guerriers causés par certains agitateurs dans notre chapitre, nous ne pouvons pas recevoir personnellement l'hommage de nos sujets et avons donc délégué cette tâche à nos représentants, Eberhardt, Comte de Manderscheidt et Blanckenheim , custode de notre chapitre de Strasbourg et gouverneur de notre domaine de l'Obermundat, ainsi qu'à nos fidèles conseillers et Hofmeister, Jacob von Raigecourt et Johann von Bachum. Nous vous ordonnons donc de prêter serment d'allégeance, de fidélité et de loyauté, à nos représentants en notre nom et de leur témoigner toute l'obéissance et le respect qui leur sont dus. En retour, nous nous engageons à vous reconnaître comme nos sujets loyaux et à vous protéger et défendre dans vos droits et privilèges traditionnels. En témoignage de quoi, nous avons signé de notre propre main et apposé notre sceau sur cette proclamation. Fait en notre ville d'Alsace Saverne, le treizième jour du mois de juillet de l'an mil cinq cent quatre-vingt-douze.
Sources et Bibliographie :
1. Der Anfang des Straßburger Kapitelstreites von Max Lossen. 1889
2. Les chanoines du chapitre cathédral de Strasbourg aux XVème et XVIème siècles (1440-1541) par Philippe Lorentz « in Positions des thèses soutenues par les élèves de la promotion de 1988 pour obtenir le diplôme d'archiviste paléographe, École nationale des chartes, Paris, 1988, p. 129-138.
3. Sceau 1199/1247 Base Sigilla Chapitre cathédral de Strasbourg
4. Guerre des évêques : hainons-nous les uns les autres in De Valva à Valff
5. Wikipédia : Guerre des évêques (Alsace)
6. Archives de Strasbourg : Le fonds du grand chapitre de la cathédrale
7. Marc Lienhard La Réforme en Alsace et en Moselle
8. Georges Bischoff in Revue d’Alsace n°132 2006 : L’Alsace à l’avant-scène des Guerres de religion : La Nouvelle Jérusalem, Eleutheroville et les Schelmes
9. Cercle d’histoire de Wasselonne n°49 : Wasselonne pendant la guerre des évêques
Pour les amateurs de paléographie...
Gérard MICHEL
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