À gauche de l'église N.D., la chapelle st. Nicolas, avec le toit à bâtière de son clocher et son chœur polygonal.
On trouve décidément de tout dans les comptes-rendus des séances du Magistrat, les conseils municipaux de l'époque! Dans la même session, il peut être question de coups et blessures, de paroles calomnieuses, de diffamations, d'injures, de tricheries au jeu, d'adultère... Ces conseils se tiennent ordinairement le mardi, mais il est fréquent que d'autres aient lieu d'autres jours, et même le dimanche! Des conseils dédiés à des sujets particuliers, comme les marchés annuels, les visites ou inspections de maisons, des affaires pressantes entre particuliers, et même, comme dans le sujet qui nous occupe dans cet article, une affaire de divagation de moutons, qui sera traitée lors d'un conseil secret, à huis-clos.
Schaff
Heimlich Rath gehalten uff Osswaldi A° 49
Nachdmen bißhar manche leuth schaff inn sannt Claus
Cappel, und auch uffm Kirch Hoff gangen
unnd dieselbigen verwüst, ist erkannth, wan
man fürther hin schoff oder lam(er) an g(edachten) enden
findt, das man sie inn spittel weile
unnd gegen gebürlicher straff den leuthen
dern sie seindt und verfolgen lassen soll.
Daruf man den botten bevelch geben.
A.M.R. BB 4 fol. 185
Traduction:
Conseil secret (à huis-clos ?) tenu le jour de la saint Oswald 1549 (5 août)
A la suite des ravages et dégradations causés par des moutons que des gens avaient fait entrer dans l’enclos du cimetière et la chapelle saint Nicolas, il a été ordonné par le Conseil que dorénavant les moutons ou agneaux trouvés sur ces lieux soient menés et parqués à l’hôpital. Ils ne doivent être rendus à leurs propriétaires que contre le versement d'une sévère amende et après des poursuites judiciaires…
Ordres ont été donnés aux sergents de ville (Boten) pour qu’ils fassent respecter cette décision…
La chapelle-ossuaire Saint Nicolas
Cette chapelle Saint Nicolas s'élevait dans le cimetière attenant à l'église, sur l’actuelle place, entre le côté sud de l’église et l’actuel presbytère.
Une partie de cette chapelle, un espace voûté, en sous-sol, était l'ossuaire du cimetière et de l'église voisine... Elle disposait d’un autel et était desservie par un chapelain... Pour ce qui est de son architecture, de ses dimensions, et de la date de sa fondation, nous ne disposons d'aucun document. Tout ce que l'on sait, est que la prébende attachée à cette chapelle a été instituée en 1330. On en fait mention dans le Liber Vitae, l'obituaire de Notre-Dame, et nous avons conservé des traces de ses prébendiers jusqu'en 1534, date à laquelle ses revenus furent rattachés à la paroisse Notre-Dame.
Tous les ans, à la Toussaint et le jour des Morts, elle était soigneusement désinfectée, ainsi d'ailleurs que le cimetière, par la fumigation de rameaux de Reckholder... (Sambucus nigra, le sureau noir ou Juniperus communis, le genévrier commun ?) qui devait chasser l’« air méphitique » ! Rappelons à ce sujet que les exigences relatives à l'inhumation des corps n'étaient pas aussi sévères qu’aujourd’hui : les cimetières, les ossuaires et les églises étaient connus pour leurs exhalaisons «corruptueuses » ... Sous les dalles funéraires que nous foulons au sol de nombreuses églises anciennes, reposaient les dépouilles de défunts, seigneurs, notables ou religieux sous une simple dalle de pierre, incapable de contenir les émanations...
La chapelle saint Nicolas est reconnaissable sur le plan de la Cosmographie de Sébastian Münster daté de 1548, avec son toit à bâtière et un chœur polygonal.
Jean Simon Müller évoque cette chapelle-ossuaire dans l’Urbaire de la Ville (1720) lorsqu’il raconte comment, en mars 1636, la population affamée avait été contrainte de voler et manger des cadavres qui avaient été entassés dans la chapelle saint Nicolas dont ils avaient fracturé les portes…
Le cimetière occupait une grande partie de la place située entre l'église et l'actuel presbytère. Sa suppression fut décidée au lendemain de la Révolution. Le 7 décembre 1793, Jean-Michel Vogelgsang raconte :
...le cimetière avait été, [...] transformé en un immense champ de ruine. Les habitants de Rouffach avaient mis en lieu sûr les pierres tombales et les croix des tombes familiales. Mais tout ce qui n’avait pas été emporté ou n’avait pu l’être fut réduit en morceaux...
Le médecin THOMAS proposa d’agrandir encore l’espace rendu disponible, en démolissant l’ancienne chapelle-ossuaire qu’il qualifiait de vieille masure. Son avis fut malheureusement suivi et Rouffach perdit un de ses plus antiques monuments.
Qu'en reste-il aujourd'hui? Cet édifice ne se trouvait pas dans le périmètre prospecté lors des fouilles effectuées sur la place il y a quelques années. On suppose que quelques éléments ont été récupérés après sa démolition pour être réutilisés dans le mur sud de l'église. En particulier l'épitaphe de Serena, la première épouse de Ludwig Horneck von Hornberg, bailli épiscopal de Rouffach de 1533 à 1537, celle de Theobald Wolfhard, rédigée par ses deux fils, Konrad et Theobald et cette autre dalle qui porte l'inscription suivante:
GONT HER U. SEHENT
DAS REHT / HIE LIT DER HER BI
DEM KNEHT / NUN GONT FURBAS
IN / UND LUGET WER MAG DER
HERE SIN
c'est à dire: Venez et voyez la justice : Ici git le maître auprès du valet…Et maintenant, approchez, et regardez lequel peut bien être le maître !
Ces éléments proviennent-ils bien de cette chapelle? Rien ne permet de l'affirmer. Pour ce qui est de la dernière dalle, c'est plus que vraisemblable: il est fréquent de trouver sur les murs ou les linteaux des ossuaires conservés aujourd'hui une inscription semblable, en particulier la suivante, qui se trouve sur la chapelle de Dambach la Ville:
Was Ihr seid, sind wir gewesen - Was wir sind, werdet ihr werden:
Ce que vous êtes, nous l’étions / ce que nous sommes, vous le deviendrez…
Rouffach, bras de transept sud de l'église N.D. (extérieur)
Mais revenons à nos moutons! Comme tous les cimetières, celui de Rouffach devait être clos, même si on n'en a pas, pour l'instant, d'attestation formelle. Une enceinte autour d'un cimetière était une nécessité pour éviter l'intrusion d'animaux, en particulier celle des cochons qui divaguaient librement dans nos villes et villages, se nourrissant de déchets, ménagers et autres, assurant "l'assainissement" des rues, des ruelles et des "schluppf" entre les maisons, et parfois celle des tombes. Donc, si des moutons se trouvaient dans le cimetière, c'est qu'on leur avait ouvert les portes pour les laisser y entrer !
Rappelons qu'en pays de collines et de montagne, le mouton est, dans une moindre mesure que la chèvre, un prédateur pour les cultures et la forêt. et l’accès à la forêt leur était interdit en raison des dégâts qu’ils pouvaient causer aux jeunes repousses. On en arriva même, en 1616, à demander l'interdiction d'élever des chèvres sur le territoire de la commune !
Le domaine des troupeaux de bergers et des bergeries est la plaine et moutons et chèvres ne sont les bienvenus ni dans le vignoble, ni dans la forêt. Un cimetière clos, qu'il faut imaginer sans les allées gravillonnées tirées au cordeau qu'on leur connait aujourd'hui, un cimetière où poussent les herbes sauvages et quelques buissons, est donc une aubaine pour un troupeau de moutons ! Pour quelles raisons le Magistrat a-t-il décidé de les en déloger et de punir leurs propriétaires ? Le texte n'en dira pas plus...
Je ne résiste pas au plaisir de publier ici une photo d'une série prise lors d'une visite au cimetière israélite de Rosenwiller, l'un des plus étendu et mieux conservé d'Alsace, où j'ai surpris un troupeau d'une vingtaine de chèvres débroussaillant en toute liberté les espaces entre les tombes! L'affaire fit subitement grand bruit, curieusement le lendemain de ma visite, où on cria au scandale dans la presse, alors que ces braves biques faisaient ce travail depuis quelques années, en toute innocence, sans avoir été inquiétées... Je ne sais pas si on les a enlevées depuis...
Faut-il voir dans cette présence de l'irrespect, de la profanation?
" Que t'en semble, lecteur ? Cette difficulté vaut bien qu'on la propose! "
Les deux amis. J de la Fontaine
Un troupeau de chèvres paissant librement dans le cimetière juif de Rosenwiller (67)
Photo G.M. du 3 août 2006
Gérard Michel
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