Détail d'un des panneaux du retable surmontant le maître-autel de Notre-Dame de Rouffach. (photo G.M.)
Un document découvert récemment dans une collection privée permet d'ajouter un élément supplémentaire à l'histoire de l'église Notre-Dame de Rouffach, grâce à un petit détour par l'église du couvent des Dominicains de Colmar. En 1720, les Dominicains furent mis au goût de l'époque avec l'installation d'un décor baroque, et quelques années plus tard, la Révolution en fit un magasin d'artillerie puis un grenier à blé. Le mobilier en fut dispersé, et c'est là que nous revenons à Rouffach: la Ville de Rouffach a racheté, en 1803, le maître-autel de l'église des dominicains de Colmar pour l'installer dans l'église de Rouffach !
L’ancien maître autel de l’église paroissiale de cette ville de Rouffach aÿant été, de même que les autres, non seulement dévastés mais brûlés, par l’effet de la Révolution qui fut en son comble dans les années 1792 et 1793, celui-ci a été acheté au mois de Thermidor an XII ( : août 1803 :) du maire de la ville de Colmar par celui de Rouffach. Ce fut le maître-autel des ci-devant Dominiquains à Colmar. Il a été conduit en cette ville par les Laboureurs d’ÿ-celle, par corvée. En même temps les bancs et confessionnaux ont été reconstruits en neuf et l’Eglise blanchie.
Sur le même document figurent d’autres informations fort intéressantes :
Les autorités locales de la ville de Rouffach sont les Citoÿens :
- Ignace Schneider, juge de Paix
- François-Joseph Schmidt, Maire
- Jean Riefert, premier adjoint
- François Sommereisen, second adjoint
- Jean-Baptiste Schirmer, greffier du juge de Paix
- Joseph Antoine Werner fils, secrétaire de la municipalité
Membres composans le Conseil municipal de la Ville de Rouffach, les Citoÿens :
- Valentin Probst
- Paul Wirth
- Michel Frick, maître de Poste
- Louis Jaenger
- Antoine Zwibel
- Xavier Ruehl
- George Bilger
- Ignace Kugler
- Rudolf Freÿer
- Joseph Bach
- Donat Schneider
- Jean-Baptiste Schirmer
- Georg Seiller
- Valentin Friess
- Joseph Jonète
- Antoine Heilmann
- Oswald Hüffel, père
- Sebastien G’schickt
- François Fischer
Membres composans le bureau de la fabrique ou l’administration de l’Eglise, les Citoÿens :
- François-Joseph Schmidt, Maire, président-né
- Antoine Schneider, secrétaire
- Antoine Schneider
- Joseph Chevalier
- Jean Villemin, receveur
Membres composans le bureau de Bienfaisance ou l’administration des pauvres, les Citoÿens :
- François-Joseph Schmidt, Maire, président-né
- Ignace Schneider, juge de Paix
- Louis Nessel, de Soultzmatt
- Donat Schneider, secrétaire
- Oswald Hüffel, père, de Rouffach
- Joseph Dornstaetter de Hattstatt
- Michel Frick le jeune, de Pfaffenheim
- Antoine Weingand, receveur.
Membres composans l’administration de l’hôpital civil, les Citoÿens :
- Rudolf Treyer, président
- Ignace Kugler
- Joseph Bach
- Xavier Müller
- Antoine Schemmel, secrétaire
Ouvriers qui ont reconstruit cet autel :
- Jean Holstein, menuisier
- Xavier Hecht, charpentier
- Michel Weber, maçon
Fait en la Mairie de la Ville de Rouffach, ce 9 fructidor an onze de la république française, le 27 août 1803
le Maire de la Ville de Rouffach : Schmitt
par la Mairie : Werner secrét.
Un grand feu de joie avec les tabernacles et tous les autels de l'église devenue Temple de la Raison:
Les autels, comme tout le mobilier intérieur de l’église, avaient servi à alimenter un grand feu de joie, sur la place de l’église . Relisons Jean-Michel Vogelgsang qui note dans son journal, à la date du 9 décembre 1793 :
« L’après-midi les gardes nationaux procédèrent à la démolition des 10 autels de l’église, qui, bien qu’étant en bois et non en pierre, étaient tous de magnifiques chefs d’œuvre de la sculpture. Les grandes statues, portées par trois ou quatre hommes, furent placées devant l’église où le capitaine des soldats les tourna en dérision, leur posant des questions, crachant sur elles ou les frappant au visage... voilà jusqu’où allait le blasphème...
Le 9 janvier 1794, eut lieu le premier service divin dans l’église transformée en Temple de la Raison :
« Après toutes ces festivités dans le Temple de la Raison, on alluma sur la place un grand feu de joie. On y brûla les tabernacles, les piétements des autels, leurs colonnades et autres parties en bois. Les images des Saints ne furent pas touchées, la municipalité, qui tenait encore à faire preuve d’un peu d’esprit chrétien, les avait fait mettre en sécurité dans une des tours de la ville.
Sur le bûcher étaient également déployés les drapeaux des trois corporations...
La Déesse de la Raison mit le feu à une botte de paille disposée dans le tabernacle, tenant d’une main le flambeau, de l’autre la pique coiffée du bonnet républicain.
Lorsque le bûcher s’enflamma, on forma tout autour une ronde qui dansa au son de la musique.
C’est là que l’on pouvait prendre conscience de ce que signifiait le mot Egalité : il y avait là des riches et des pauvres, hommes et femmes, jeunes et vieux, main dans la main, gambadant (hüpsen !!!) autour des flammes qui dévoraient les symboles de la vieille religion pour laquelle on éprouvait tant de dégoût !
Après cela, on distribua de l’argent aux pauvres, à l’occasion de ce premier culte célébré sous le signe de la Raison...
A la nuit, il y eut un grand bal dans la maison communale. »
transcription et traduction Gérard Michel
Tous les autels, tabernacles compris, ont donc été victimes du bûcher de la grande célébration patriotique du 9 janvier 1794. L’église Notre-Dame comptait alors, en dehors du maître-autel, au moins huit autels secondaires, dont deux autels du maître sculpteur baroque Anton Ketterer, plus le monumental autel de la Sainte-Croix qui trônait au milieu du chœur, cachant en partie le maître-autel, et divers autels de confréries desservis par des chapelains.
( Parlait-on à cette époque-là déjà de " decorum " et d’ " encombrement " ? )
Qu’est-il advenu du maître-autel des Dominicains de Colmar, acheté par Rouffach en août 1803 pour remplacer l’autel brûlé par les patriotes de 1793 ? C’est lui qui a été remplacé par l’autel actuel, inauguré le 28 octobre 1900, réalisé par les ateliers Wey de Colmar, par l’artiste sculpteur munichois J. Maier, et dont deux panneaux peints sont attribués au peintre Martin Feuerstein.
On peut imaginer, sans pouvoir en apporter la moindre preuve, que la porte de tabernacle conservée au musée de la Ville de Rouffach soit celle de l’ancien maître-autel de l’église des dominicains de Colmar. A moins qu'elle ne vienne de l'abbaye de Pairis ou de celle de Marbach?
Nous laissons la réponse aux experts :
Quid de l'autel sur lequel était posé l’imposant retable, réalisé pour le maître-autel de l’église des Dominicains de Colmar, attribué à Martin Schongauer et son entourage ? Ce retable, daté de 1480, était jusqu’à la Révolution conservé dans l’église du couvent des Dominicains de Colmar. Un autel très certainement en pierre... encore en 1803 ?
Quid des autels secondaires Louis XV ou Louis XVI conservés encore aujourd’hui dans l’église du couvent et qui proviennent eux-mêmes des abbayes de Pairis et de Marbach ?
Une fois de plus, il est question de blanchiment de l'église. Mais si l'église était déjà blanchie en 1803, comment l'abbé Straub a-t-il pu voir des peintures murales recouvrant la presque totalité de l'église, avant le "grand lessivage" malencontreusement entrepris de 1867 à 1869 par l’entreprise HILLER qui a effectué le décrépissage, grattage, lavage et enlèvement de peinture des murs?
Gérard Michel