La chapelle du Schauenberg, gravure de Rothmuller
Peut-on expliquer l’histoire par le climat ? Si le climat ne peut tout expliquer il reste néanmoins un facteur important qui détermine quantité d’événements de l’histoire : combien d’émeutes et de révolutions pour du pain… De nos jours et sous nos climats, une année de mauvaises récoltes n’entraîne plus de disettes et les épidémies qui s’ensuivent. Avant la navigation à la vapeur, le chemin de fer et les échanges commerciaux qui limitèrent progressivement les effets des mauvaises récoltes, quels secours nos anciens pouvaient-ils attendre, à quels saints pouvaient-ils se vouer? Et bien, aux saints, justement, par la prière, les offrandes, les processions…
1709 était une de ces années particulièrement difficile : elle avait commencé par un mois de janvier très froid qui coûta la vie à de nombreuses personnes et anéantit les réserves dans les caves et les greniers. Les mois suivants furent à l’image des précédents et les récoltes s’annonçaient catastrophiques. Restait une dernière chance : la prière et une procession au Schauenberg… Cette procession eut-elle l’effet escompté ? Sans doute… puisque le chroniqueur Jean Simon Muller note pour 1709:
Les champs de blé d’hiver ont été retournés et on y a semé de l’orge. Le peu qui y avait survécu fut touché par l’oïdium (milthau ou mehltau). Mais cette année-là, il y eut une belle récolte d’orge et une belle récolte d’été de toutes les sortes de fruits d’été. Que Dieu en soit loué.
dans obermundat.org 1709 un hiver particulièrement rigoureux et meurtrier
Le document qui suit est une page du protocole des conseils du Magistrat de l'année 1709: démuni devant les intempéries qui s'abattent sur le pays et compromettent la récolte, le conseil décide d'organiser une journée de prière, suivie d'une procession au Schauenberg et il en réfère au curé doyen, qui refuse tout net de coopérer, pour une malheureuse histoire de sous!
Texte original:
Wirdt referiert alß man nach dem Ambt der h. Mess vergangenen Sonntag sich unterredt, daß wegen continuirlichen Regenwetters die Wasser dermasen angeloffen, daß dasselbe sowol Winter alß Sommer Veldter und die Früchten überschwemet, das augenscheinlich Gott der Allmächtige die Sindrye (Sünder) wolt zue straffen genuegsam Vordeitung (Vordeutung: présage, annonce) thuet, dahero geschlossen were, einen Bethtag auf den gestrigen Tag anzustellen, undt volgents auf ersteren nachvolgenden Tag eine Prozession in den Schawenburg zue der Mueter Gottes, umb dieselbe zue bitten, daß Sie wolle bey ihrem lieben Sohn, unserem Heyland und Erlöser, erbitten, umb die Nachlassung unß angetroheter Straff und dan daß Wetter sich bessern möchte, zue deme Ende zwey Herren des Raths und zwey Zunfftmeister zue Herren Pfarrern geschickht, dises Vorhaben anzuedeiten, mit Bit, daß selbiger zue Bewerkstelligung das Seine darbey thuen wolle, welche Deputierten zurückgebracht, daß waß die Bethstunden anlangt Er solche verrichten lassen wolle. Was aber die Procession anlangt, so erkläre er sich für ihnen und beydte Caplän, daß wan ihnen von der Gemeind und nit von der Pfarrkirchen der Lohn nit gegeben werde, er solche nit Verrichten lassen wolle. Worüber dann heut noch malen man sich unterredet, daß zue allem Überfluss noch ein mahl zween Herren dahin deputiert werden mit dieser Erklärung, daß man Morgens die Procession vornemen werde, und wan Herr Pfarrer und die beidte Caplan mit zue gehen sich widter verhoffen weigern wurdten, daß unangesehen dessen, die Prozession ihren Fortgang nemmen solle, und die Procession ohne Ihrer verrichten, und folgents solches an gehorig Orth berichten, neben gravamina, derentwegen man schon längstens Ursach gehabt einzuekhomen. 25. .Juni 1709.
A.M.R. BB. 80,99. protocoles du Magistrat
Traduction:
Les pluies incessantes qui ont fait monter le niveau des eaux au point qu’elles submergent les champs et les céréales, sont un avertissement du Dieu tout puissant pour punir les pécheurs. Aussi a-t-il été décidé par le Magistrat, à l’issue de la messe de dimanche, une journée de prière et par la suite une procession au Schauenberg pour prier la mère de Dieu d’intervenir auprès de son fils, notre Seigneur et notre Sauveur, afin qu’il sursoie à la punition qui nous menace et afin que le temps soit plus clément…
Nous avons envoyé deux membres du conseil ainsi que deux chefs de tribu chez Monsieur le curé pour lui faire part de ces projets et le prier de faire le nécessaire de son côté. Les quatre émissaires sont revenus, disant que pour ce qui concerne les heures de prière, il voulait bien les autoriser. Mais pour ce qui était de la procession, il avait déclaré que si ce n’était pas la commune qui payait leur salaire il ne l’autoriserait pas et que ni lui, ni les deux chapelains n’y prendraient part!
A la suite d’une nouvelle réunion, nous avons dépêché deux envoyés chez le curé pour l’informer que nous allions organiser la procession le lendemain et que si le curé et les deux chapelains refusaient à nouveau d’en être, elle se ferait sans eux !
Le Magistrat promet d’en référer à qui de droit, sans préciser à qui, mais on se doute bien qu’il se plaindra à l’évêque de Bâle et au seigneur de l’Obermundat, l’évêque de Strasbourg. Il semblerait que les raisons de se plaindre s’étaient accumulées depuis quelque temps et que cette dernière dissension avec le curé avait fait déborder le vase !
Ce document nous prouve, s'il en était encore besoin, combien étroite était l'interpénétration du laïc et du religieux dans la vie de nos anciens, encore à la veille de la période contemporaine: une grande sécheresse ou des pluies incessantes sont nécessairement une punition de Dieu pour les fautes commises par les hommes et seules la prière, la pénitence et l'intercession de la Vierge mère de Dieu ou d'autres saints peuvent calmer sa colère et rétablir des conditions plus clémentes.
Permettons-nous une petite plaisanterie, même si le sujet est grave: imaginons-nous un instant cette procession du lendemain, conduite par le prévôt et le conseil au grand complet, faisant au passage un grand pied de nez au curé furieux gesticulant sous le portail de son église... Peppone et don Camillo?
Gérard MICHEL août 2018
A lire:
Climat : le regard de l’historien par Emmanuel Le Roy Ladurie (https://www.cairn.info/revue-regards-croises-sur-l-economie-2009)