La Piéta de l'église Notre-Dame de Thierenbach
Le 13 mai 1142, la ville de Rouffach et ses habitants font le vœu solennel de se rendre en pèlerinage à Thierenbach, sous peine de malédiction éternelle, chaque année et à perpétuité, le mercredi qui suit le dimanche de la Pentecôte,
« avec dévote procession, humblement et avec soumission, à condition qu’un homme adulte de chaque maison y assiste et offre en esprit de dévotion à la Reine du Ciel, sur son autel, un denier pour la conservation des édifices de sa maison… »
Copie de la charte datée du 13 mai 1142 dans un Cartulaire du 15ème siècle A.M.R. AA 9
Cunctis futuri evi hominibus presenti scripto clarescat, quod nos universitas nobilium et civium sexus utriusque opidi Rubiaci maturo previo consilio tribulatione incommodorum diversorum anxiati, de scitu voluntate et consensu curatorum animarum nostrarum solemni et perhenni voto promisimus et presenti scripto promittimus sub nostra catholica fide, cui nos successoresque nostros, dicti nostri opidi incolas sub pena eterne maledictionis astringimus, quod cenobium dei genitricis in Thierenbach in proprio ecclesie Argentinensis noviter fundatum, ordinis Cluniacensis, Basiliensis diocesis, singulis annis mercurii in hebdomada sancti Spiritus cum devota processione humiliter et obedienter visitabimus cum pacto, ut de una quaque domo unus homo adultus eat et regine celi in suo altari unum denarium pro conservandis sue domus edificiis devota mente offerat, ob id videlicet, ut ipsa virgo gloriosa ex sua mitissima misericordia nos ab instantibus malis liberet nostrosque successores a similibus preservet nostraque bona tam in vineis quam in agris nostrosque etiam infantulos in suam protectionem suscipiat suaque pia prece protegat et defendat ac ad superna celorum gaudia perducat. Amen. Custodientibus prelibatum nostrum votum sit pax et letitia. Amen. Violantibus et frivole pretermittentibus sit luctus et vae et maledictio eterna. Amen, amen, amen.
Actum anno domini M°C° XL III° tertio idus maii, feliciter gubernante sanctam Argentinensem ecclesiam domino Gebhardo, qui predictum nostrum votum auctoritate pontificali confirmavit et servandum in perpetuum mandavit. Accessit etiam premissis consensus pii patris domini Ortlibii, episcopi Basiliensis, qui veluti diocesanus pro gloria regine celi votum pretactum auctorisavit et in perpetuum illibatum custodiri voluit.
La ville de Rouffach et ses habitants font le vœu solennel de se rendre, sous peine de malédiction éternelle, chaque année à perpétuité, le mercredi qui suit le dimanche de la Pentecôte « avec dévote procession, humblement et avec soumission, à condition qu’un homme adulte de chaque maison y assiste et offre en esprit de dévotion à la Reine du Ciel, sur son autel, un denier pour la conservation des édifices de sa maison… »
Cette charte en latin, dont l’original aurait disparu et dont il n’existe qu’une copie tardive du quinzième siècle, n’a sans doute jamais été rédigée et il s’agit de toute évidence d’un faux : elle aurait été signée en 1142 sous l’évêque Gebhard qui est mort en 1141, un détail chronologique qui la rend plutôt suspecte La première attestation de ce pèlerinage à Thierenbach date du 12 août 1532 dans le registre des recettes et dépenses de Martin Mitterspacher greffier de la ville :
„…Item, verzert uff dem Crutzgang gen Dierenbach 5pf. 13 sch. 4 d….“ , dépensé pour les repas à l’occasion du pèlerinage à Thierenbach cinq livres, 13 schillings et 4 deniers. A.M.R. GG 28
Cette procession annuelle devait, selon les termes de la charte de 1142, être dévote, humble et recueillie : il apparait qu’elle ne devait plus l’être en 1748, puisque Joseph Guillaume, évêque de Bâle, l’interdit en des termes sévères : « …étants informés des abus considérables qui se commettent avec scandale à l’occasion de la ditte procession… des abus qui se glissent souvent sous le voile de piété et de dévotion… ». Et le curé est sommé de ne plus y assister à l’avenir ! A.M.R. GG 15 5 Mai1748
De quels abus est-il question ? Les documents que nous avons consultés ne le disent pas. Peut-être les curés de Rouffach se plaignent-ils d’une perte de revenu au profit de Thierenbach et s’en sont-ils plaints à leur évêque qui règle le problème en interdisant la procession ?
Ou alors, plus simplement, les hommes de Rouffach, puisqu’il s’agit d’une procession réservée aux hommes, se sont-ils si mal comportés que l’évêque en a eu vent et a pris les mesures qu’il fallait : sur la route de Rouffach à Thierenbach les tavernes et les cabarets ne manquaient pas, et le soleil du mois de mai aidant, les esprits se sont peut-être échauffés…
Bibliographie :
- Elisabeth Clementz: Le prieuré clunisien de Thierenbach (12e - 18e siècles) et son pèlerinage in Revue d’Alsace 2012
- A.Gasser: Le pèlerinage de Thierenbach in Revue d’Alsace années 1921 à 1924
- Theobald Walter: Urkundenbuch der Pfarrei Rufach 1900