Les mains en prière d'Adelaïde Beger, épouse du chevalier Guillaume Kappler
église Saint Sébastien de Soultzmatt (1496) photo G.M.
La prière de quarante heures est une tradition ancienne qui remonte au seizième siècle. Ces quarante heures rappellent aux fidèles les quarante heures que le Christ a passées au tombeau avant sa résurrection au matin de Pâques. Cette prière collective, à laquelle est conviée l’ensemble de la population de la ville, se tient habituellement à l’entrée de la semaine sainte. Mais elle peut également être ordonnée à d’autres moments, lors des périodes difficiles où la prière est le dernier recours, en cas de guerres, d’épidémies, de disettes. Les fidèles se relaient à intervalles réguliers pour la prière devant le saint Sacrement, exposé sur le maître-autel.
Le document que nous proposons dans le présent article est extrait d’un protocole de réunion du Magistrat de 1629 : le curé vient de soumettre au Conseil un mandement de l’évêque de Bâle ordonnant la tenue de la prière des 40 heures dont il fixe le début au dimanche Reminiscere [1]. La présence à cette prière est obligatoire pour tous les habitants de la ville et personne ne doit pouvoir en être dispensé sans motif valable. Pour pouvoir contrôler l’assiduité de chacun, l’affaire est confiée au Magistrat de la ville qui en délègue l’organisation aux quatre tribus : à l’Éléphant, à la Licorne, à la Fleur de Lys et au Châtelet. Tout bourgeois de Rouffach étant obligatoirement membre d’une de ces tribus, le Magistrat peut ainsi s'en remettre aux chefs de tribus pour contrôler qu’aucun de ses membres n’échappe à la prière !
On trouve là un exemple de plus de l’interpénétration du laïc et du religieux dans la vie quotidienne de l’homme du Moyen-Âge et du début des temps modernes… Ici, l'évêque de Bâle, autorité religieuse, transmet un ordre au Magistrat de Rouffach qui le fait exécuter, alors que l'autorité, à Rouffach est l'administrateur laïc, seigneur de l'Obermundat, l'évêque de Strasbourg...
Par ailleurs, ce texte est aussi une illustration d’un des rôles essentiel des tribus et des corporations : elles sont le relais entre la population de la ville et les autorités, c’est par elles que sont transmises toutes les instructions et directives émanant du Magistrat, du bailliage ou de la régence épiscopale.
Ordnung wie das 40. stundig gebett in bevor stehender Fasten anzustellen
Herr Pfarrer ist in Rath beschickt und mit Ime wegen des 40. stündig von Ihro frst. Gnaden Bischoffen zu Basell anbefohlnen Gebett in Abtheilung der Stunden nach folgende Ordnung gemacht, die auf Sontag Reminiscere anfangen solle
- Von 5 bis 6 Uhren früeher Zeit sollen beim gebett zu einem glückhlichen anfang erscheinen die Priesterschafft, Rathsverwantte und alle gefreÿte Persohnen, sambt deren Knecht und dienern von Mans Persohnen
- Von 6 bis 7 Uhren die freÿ. und Räthen Weiber, sambt Ihren döchtern und Mägten, derselbigen stundt in der Kirchen mit Andacht abwarten
- Von 7 bis 8 Uhr sollen in feiner gezierter Ordnung in der Kirchen sich erzeÿgen und dem Gebett ein stundt lang bis zu dem gebenden Zeichen abwarten die Zunfft brüeder und Burger zum Helffandt sambt dern Sohn und Knechten
- Von 8 bis 9 Uhrn aller der Burgern zum Helffandt weiber sambt dern döchtern und Mägten
- Von 9 bis 10 Uhrn. die Burgern aus Bürgelin Zunfft mit Ihren angehörigen von Mans Persohnen
- Von 10 bis 11 Uhrn der Burgern Weiber, döchter und Mägt zum Bürgelin
- Von 12 bis 1 uhrn würdt die Kinder Lehr gehalten
- Von 1bis 2 Uhrn erscheindt beÿ dem Gebett die Zunfft zur Gilgen von Mans Persohnen
- Von 2 bis 3 Uhrn deroselben Weiber, döchter und Mägt
- Von 3 bis 4 die Burger zum Einhorn mit Knecht und Söhnen
- Von 4 bis 5 deroselben Weiber, Mägt und döchter und enden sich hiemit die 10 stunden.
[1] Reminiscere = souviens-toi. Premier mot de Psaumes 25.6 en latin : (Psaumes 24.6 dans la Vulgate) « Souviens-toi, ô Éternel, de tes compassions… », prière adoptée par les anciennes liturgies comme « introït » du 5e dimanche avant Pâques ; d’où la désignation de ce jour par ce mot latin.
Traduction:
Ce document est un « planning » qui définit avec précision qui doit être présent à l'église et à quelle heure :
- de 5 à 6 heures (du matin !) : le clergé, les membres du conseils et tous les « privilégiés », ainsi que leurs valets et serviteurs de sexe masculin
- de 6 à 7 heures : les épouses des conseillers du Magistrat et ainsi que celles des « privilégiés », leurs filles, et leurs servantes, qui devront avoir une attitude recueillie pendant toute la durée de l’heure. Pourquoi cette précision pour les femmes alors que les hommes n’y ont pas eu droit ?
- de 7 à huit heures, devront se présenter en bon ordre in feiner gezierter Ordnung les confrères et bourgeois de la tribu à l’Eléphant, ainsi que leurs fils et leurs valets, et ils devront demeurer à l’église pendant toute l’heure jusqu’à ce qu’on leur donne le signal du départ…
- de 8 à 9 heures : les épouses de tous les bourgeois de la tribu à l’Eléphant, ainsi que leurs filles et leurs servantes
- de 9 à dix heures : les bourgeois de la tribu au Châtelet ainsi que tous les leurs.
- de 10 à 11 heures : les épouse, filles et servantes des précédents
- de midi à 13 heures : c’est l’heure de catéchisme des enfants « Kinderlehr »
- de 13 à 14 heures : les membres de la Tribu à la Fleur de Lys
- de 14 à 15 heures : les épouse, filles et servantes des précédents
- de 15 à 16 heures : les bourgeois de la Licorne, leurs fils et valets
- de 16 à 17 heures : les femmes, filles et servantes des précédents
Là se termine la première journée de prière de 10 heures. Le document ne précise pas quand auront lieu de trois autres jours des prières : les trois dimanches suivants ?
Quelques petites notes dans le texte suggèrent que cette prière obligatoire ne suscite pas un enthousiasme général :
- il semble nécessaire de rappeler aux hommes de la tribu à l’Eléphant qu’ils devaient se présenter en bon ordre et ne pas s’éclipser avant la fin de l’heure : il est même prévu un service d’ordre chargé de donné le top du départ !
- il semble aussi nécessaire de rappeler aux femmes qu’elles devaient conserver une attitude recueillie...
Gérard MICHEL septembre 2018