Photo: le cardinal de Rohan, par Hyacinthe Rigaud
Le texte qui suit est un des nombreux documents édités, maintes fois réédités et complétés par la Régence épiscopale, destinés à réglementer la vie quotidienne des sujets de l'Obermundat. On ne peut que louer une telle démarche chez un évêque qui se montre si soucieux de la vertu et du salut de ses ouailles! Mais si les premiers articles peuvent paraître en rapport avec les préceptes religieux enseignés par l'église, ce n'est plus du tout le cas des derniers. De plus, les manquements aux règles ne sont plus punis d'une pénitence sous la forme de prières à réciter, de cierges à offrir à l'église ou de pèlerinages à effectuer, mais se payent avec des amendes substantielles à verser dans le trésor du prince... Ce règlement est en fait une liste d'infractions et de délits, touchant plus ou moins les préceptes de l'église, avec, noté en face de chaque manquement, le "tarif": jusqu'à trois cents livres d'amende pour avoir joué aux cartes... à verser au prince-évêque...
Armand-Gaston-Maximilien, prince de Rohan (Paris, 26 juin 1674 - Paris, 19 juillet 1749) est un ecclésiastique et homme politique français. Évêque de Strasbourg en 1704, il devient cardinal en 1712, puis grand aumônier de France en 1713 et membre du conseil de Régence en 1722.
Texte original en français, transcrit en respectant l'orthographe et la ponctuation initiales.
Armand Gaston par la grâce de Dieu Evesque et prince de Strasbourg, prince de Rohan et de Soubize, Landgrave d'Alsace, prince du saint Empire, Salut; les Evesques nos prédécesseurs et particulièrement Jean premier et Erasme ont establys des leoix et fait des Reglements si équitables et si pieux pour le gouvernement de leurs subjects, que s'ils avoient esté exécutez, aucuns peuples n'auroient esté mieux régis n'y gouvernez, mais la guerre quy a presque toujours esté portée depuis ces temps dans la province d'Alsace, la negligence des juges et la faibloisse des subjects ont non seulement destruit les bonnes intentions de ses seigneurs, mais au lieu de la simplicité quy régnoit pour lors, la malice s'est introduitte à un point si haut que les menaces ne seroient pas capables de l'empêcher, si on n'y joignoit la peine; les mesmes desseins nous ont obligés à faire recherche dans nos archives de tous les Reglemens et porté à en faire un nouveau quy engagera par la peine des officiers et les habitans de nostre Evesché à faire leurs devoirs spirituels et temporels; à ces causes de l’advis des gens quy composent nostre conseil, nous avons en conséquence du pouvoir que sa Majesté nous a donné par les lettres patentes de l’année mille six cent quatre vingt deux, dit, déclaré et ordonné :
Article premier
Que tous ceux qui seront assez malheureuxs de blasphémer le saint nom de Dieu seront punis
suivant la rigueur des lois et condamnés à une amende qui ne pourra être moindre de cent livres
Article deuxième
Que ceux qui l’auront reniés, faits des imprécations et autres jurements abominables contre Dieu, la Vierge
et ses Saincts, seront aussi punis extraordinairement et condamnés à une amende arbitraire au juge,
suivant l’énormité de l’injure et la qualité des personnes
Article troisième
Que ceux qui travailleront les fêtes et les dimanches seront condamnés chacun à six livres d’amende et
l’ouvrage confisqué
Article quatrième
Deffences à quy que ce soit de vendre et traffiquer les dits jours, excepté ceux quy en ont la permission, aussy
à peine de confiscation et de pareilles amendes
Article cinquième
Deffendons à tous joueurs d’instruments de jouer publiquement les jours de festes et de dimanches pendant le service
divin, à peine de trente livres d’amendes, confiscation des instruments et de six livres contre chacun des danseurs et spectateurs
Article sixième
Ne pourront les dits joueurs d’instruments jouer en chambre pendant les mesmes services, à peine de
dix livres d’amendes contre chacun et de trois livres contre chacun des danseurs et spectateurs et de
trente livres contre celui qui aura presté sa maison
Article septième
Pourront les dits joueurs d’instruments jouer les jours de festes hors le service, après qu’ils en auront
obtenus la permission du bailly ou prévost quy sera donné gratis, mais cesseront de jouer l’hyver
à neuf heures du soir et l’esté à dix, à peine de dix livres d’amendes contre chacun de ceux qui joueront plus
tard, de quatre livres contre chacun des danseurs et spectateurs et de vingt livres contre celuy qui aura presté sa maison
Article huitième
Deffendons à quy que ce soit d’injurier et quereller, à peine pour les moindres injures de quarante sols d’amende contre
les plus pauvres et suivant la qualité des injures et des personnes, l’amende sera augmentée
Article neuvième
Ceux qui se battront avec des instruments qui peuvent causer la mort, seront condamnés chacun à vingt livres d’amende,
sauf la poursuite extraordinaire si les cas y échoient
Article dix
Celui ou celle au long ( ?) une personne qui ne se sera pas deffendue sera condamné à vingt livres d’amende et aux dommages
et intérêts de la personne maltraitée
Article onze
Lorsqu’il n’y aura pas effusion de sang, l’amende sera moindre suivant la qualité des personnes ; elle ne pourra cependant
estre au dessous de quarante livres.
Article douze
Les cabaretiers vendans vin, caffetiers et limonadiers qui à heure indue, à scavoir en hyver à neuf heures et en esté à dix
du seoir passé, auront donné du vin, caffé ou liqueurs et à des domiciliés, seront condamnés à trente livres d’amendes
Article treize
Deffendons aux cabaretiers vendans vin, caffetiers, limonadiers de donner à beoir chez eux les jours de festes et dimanches
aux bourgeois habitans des lieux pendant le service divin, à peine de six livres d’amendes contre les dits cabaretiers,
caffetiers et limonadiers et de quarante sols contre chacun des beuveurs
Article quatorze
Deffendons à toutes personnes publiques et autres de tenir académie de jeux de Bassette, Pharaon, Landsquenette
et autres défendus, à peine de trois cents livres d’amendes
Article quinze
Et à qui que ce soit de jouer publiquement pendant le service divin, les jours de festes et de dimanche, à peine
de quarante sols d’amende
Article seize
Ceux qui auront courrus ou fait nuitamment du bruit à des heures indues, seront condamnés chacun à six livres d’amende
Article dix sept
Les convaincus d’adultère seront punis suivant les rigueurs des leoix de la province et de nostre evesché
Article dix huit
Un garçon qui aura engrossy une fille et quy ne l’aura pas espousée, sera condamné à vingt livres d’amende et la fille
à dix, lesquelles amendes seront solidaires, et si la fille est au dessus de la condition du garçon, il sera poursuivi extraordinairement
Article dix neuf
Et au cas que le garçon et la fille s’espousent, pour le scandale ils payeront quinze livres d’amende qui sera aussi solidaire
Article vingt
Les filles qui auront zélé leurs grossesses aux juges lors qu’elles
seront tenues en jugement de le déclarer, serons condamnées à cinquante livres d’amende
Article vingt et un
Ceux qui souffriront un mauvais commerce chez eux d’hommes, femmes, garçons et filles, seront condamnés chacun à cent
livres d’amende
Article vingt deux
Ordonnons à tous marchands, cabaretiers, boulangers, bouchers et autres, d’avoir des aulnes, mesures, pots et
poids estallonnés, mesurées et marquées, à peine de confiscation des dites aulnes, mesures, pots et poids et de trois livres d’amendes
Article vingt trois
Et si les dits aulnes, mesures, pots et poids ne se trouvaient pas justes aux estallons ou que ceux estallonnés
se trouvaient altérées, les particuliers chez quy elles seront trouvées seront condamnés chacun à cinquante livres d’amende.
Article vingt quatre
Déffendons aux boulangers, cabaretiers et bouchers de vendre leur pain, vin et viande au-delà du prix taxé, à peine de
confiscation de la chose vendue et de trente livres d’amende pour chacune contravention
Article vingt cinq
Ne pourront les dits boulangers, cabaretiers et bouchers exposer du pain, vin et viande en vente que de bonne qualité,
à peine de dix livres d’amandes et seront pareilles choses rejettées comme immondes.
Article vingt six
Celui quy, au préjudice des cabaretiers aura logé pour
de l’argent des passants estrangers, sera condamné à une
amende de douze livres.
Article vingt sept
Ceux quy achepteront des armes, habits ou autres choses de soldats ce quy ne leurs est pas permis de vendre, seront
obligés à la restitution et condamnés à six livres d’amendes
Article vingt huit
Les laboureurs qui auront desplacé une borne par malice, seront condamnés à dix livres d’amendes, dont les
maîtres seront responsables, et s’ils sont propriétaires des terres ou que les propriétaires l’ait
conseillé, il sera condamné à cent livres d’amende et si la borne a esté enterrée par la charrue par mesgarde,
le laboureur sera condamné à 6 livres d’amende pour n’y avoir fait attention.
Article vingt neuf
Le maître qui aura fait enlever les fruits de sa terre quy doist dîme sans l’avoir laissé prendre ou laissée
suivant l’usage, sera condamné à la restitution et à 100 livres d’amende et si c’est son domestique quy
l’ait fait sans sa participation, il sera condamné à vingt livres d’amende, dont son maître en sera responsable.
Article trente
Ceux qui couperont des arbres fruictiers et pieds de vignes seront condamnés à une amende quy ne
pourra estre moindre de vingt livres et poursuivys extraordinairement, si le cas y écheoit.
Article trente et un
Les vols faits dans les lieux et à la campagne seront poursuivis extraordinairement et les accusés
condamnés suivant l’exigence des cas.
Article trente deux
Ordonnons à toutes personnes demeurantes dans les villes de nostre évesché de nettoyer et faire
nettoyer au devant de leurs maisons la rue jusqu’au ruisseau, tous les samedys, à peine de
six livres d’amende et aux Magistrats de faire enlever les ordures des rues passagères, sinon qu’elles seront
enlevées à leurs frais et ce qu’il en coustera sera supporté par tous les habitants
Article trente trois
Déffendons de jeter dans les dîtes rues aucun fumier et ordure, à peine de trois livres d’amende et des frais
qu’il en coustera pour faire enlever les dits fumiers et ordures
Article trente quatre
Et afin d’éviter l’incendie, ceux qui ne feront pas nettoyer leurs cheminées dans les dites villes tous les
six mois, seront condamnés à vingt livres d’amende
Article trente cinq
Déffendons de porter des chandelles dans les escuries que dans des lanternes, à peine de trois livres d’amende.
Article trente six
Celui qui, à l’insu du prévost du lieu, aura achepté ou vendu quelques meubles ou immeubles et quy
ne fera pas la déclaration dans les vingt quatre heures pour la sûreté de nos droits du trente et
cinquantième, sera condamné à six livres d’amende dans le moindre cas et à proportion suivant la conséquence de la chose.
Article trente sept
Ordonnons que tous les contracts de vente d’immeubles de l’étendue de nostre evesché seont passé par
devant les Notaires et Greffiers des villes et bailliages
…
Il y a 50 articles en tout : à partir de l’article 39 inclus, il n’est question que de la réglementation du paiement et de la perception des amendes prévues par les articles précédents…
...
… donné en nostre palais épiscopal à Strasbourg, ce deuxième septembre mil sept cent huit
Signé: Armand Gaston Evesque et prince de Strasbourg…
Gérard MICHEL juin 2018
Les jeux de carte aux XVIIe et XVIIIe siècles:
Le piquet : premier jeu à bénéficier d'une règle imprimée. Type de jeu de levées sans atout pour 2 joueurs, il tire son appellation de l'une de ses combinaisons gagnantes : "pic" et "repic". Premier grand jeu national au XVIIe siècle, il est d'abord joué avec 36 cartes. Ce n'est qu'après 1690 que le "petit piquet" à 32 cartes devient le grand jeu classique que l'on sait (sa pratique ne cessera en France qu'avec la Seconde guerre mondiale).
L'hombre : venu d'Espagne vers 1660, ce jeu à trois joueurs connaît un grand succès dans les classes cultivées. C'est un jeu avec atouts et enchères dont les règles sont extrêmement savantes et font appel à une terminologie aussi raffinée que celle du bridge aujourd'hui.
Le reversis : jeu de levées "à l'envers" - d'où son nom - est fort apprécié à la cour de Versailles.
On opposera à ces jeux plutôt savants quelques jeux de hasard, dont les deux plus connus sont le brelan, nécessitant trois cartes de même valeur pour gagner, et le lansquenet qui repose sur la sortie d'une seule carte. Le jeu de la bassette, en provenance de Venise, vient les concurrencer. Limité au simple pari que font les joueurs ou "pontes" sur la sortie d'une paire de cartes par le "banquier", la bassette entraîne désordre et endettement à un point tel que Louis XIV, victime lui-même, doit l'interdire dès 1679 ; rebaptisé "pharaon", ce jeu ne disparaîtra qu'avec la Révolution. On trouve aujourd'hui son héritier direct aux Etats-Unis sous le nom de "faro".