Le Restitutio universalis de Remus Quietanus
1. La précession des équinoxes.
En 2016 un échange avec l’archiviste de la Ville de Rouffach m’a conduit à m’intéresser de plus près à la biographie de notre astronome local Johannes Remus Quietanus.
Nous avions là sur le cadran solaire du couvent des Récollets une représentation peu courante du Système solaire qui devait, croyait-on, commémorer une éclipse de Lune, et à l’intérieur de l’église Ste Catherine de ce même couvent, la tombe de l'épouse de celui qui (c’était une première mondiale) a observé un transit de Mercure en 1631 à Rouffach.
Depuis lors, j’ai vainement essayé de trouver une connexion entre ces deux sujets d’étude : la fresque astronomique des Récollets et la biographie de l’astronome local, mais hormis cette coïncidence géographique et chronologique, je n’ai pas trouvé d’autre relation jusqu’ici. Dans cette quête, je demandais à la Ville d’acquérir une copie numérisée d’un manuscrit que Remus Quietanus avait rédigé en 1615, alors qu’il était élève de Christoph Grienberger au Collège de Rome : le Restitutio universalis motuum caelestium. Le déchiffrage de ce fascicule, le plus scientifique que Quietanus nous ait laissé, ne m’a pas permis de valider mon hypothèse, mais il nous donne l’occasion de faire plus ample connaissance avec l’auteur et de mesurer ses connaissances et compétences en Astronomie. Quelques autres articles reviendront sur cette étude.
Jacques Mertzeisen
Le Restitutio universalis motuum Caelestium a été écrit en 1615. Remus Quietanus séjourne alors à Rome où il est médecin assistant à l’hôpital Santo Spirito in Sassia. Sur le frontispice, il précise qu’il est docteur en Médecine et en Philosophie. Son travail est dédié au futur cardinal Stephano Pignatelli, pronotaire apostolique, qui est aussi l’ami intime du cardinal Scipione Borghese, neveu du Pape Paul V.
Constitué de 80 pages manuscrites en latin, parfois agrémentées de croquis, l’ouvrage contient essentiellement une étude des mouvements du Soleil et de la Lune et de leurs rencontres ou oppositions célestes : les éclipses. On y trouve ainsi des descriptions d’éclipses de Soleil ou de Lune qui se sont produites à la fin du XVIe ou au début du XVIIe siècles, et aussi des prévisions d’éclipses pour les 10 années à venir. Nous y reviendrons dans un article ultérieur.
Exemple d’illustration : schéma d’une occultation de l’étoile Spica de la Vierge par la Lune.
L’année tropique
Dès le préambule, Remus Quietanus adopte une position œcuménique pour ce qui concerne la controverse entre les partisans de l’héliocentrisme de Copernic et les défenseurs du système géocentrique de Ptolémée :
Ce n’est ni le lieu, ni l’heure, (et il n’est pas) dans mes capacités, à vrai dire, de régler les différends de ces hypothèses : pour cette démonstration, nous adopterons la position commune [1] d’une Terre immobile, et il est facile d’utiliser les excellents artisans de notre époque, plus marquants, les plus connus et populaires [2].
Au Collège de Rome, il lui serait peut-être difficile d’embrasser franchement le point de vue héliocentrique, mais assurément, le copernicien Johannes Kepler compte parmi ces « excellents artisans de son époque ». Remus Quietanus l’a consulté par une correspondance épistolaire en 1612, dans laquelle des considérations techniques préalables à la rédaction de ce Restitutio apparaissent clairement. On peut d’ailleurs remarquer que la description ou le calcul prévisionnel des éclipses peuvent se faire dans chacun des deux systèmes : que le ciel tourne autour de la Terre ou que la Terre tourne autour de son axe conduit aux mêmes observations, ce n’est qu’une question de relativité des mouvements. Nous en faisons l’expérience tous les jours : le Soleil fait son parcours d’Est en Ouest dans le ciel pour l’observateur terrestre. Il s’agit plutôt de décrire cette course avec précision et l’auteur s’y emploiera en essayant d’évaluer au mieux la durée de l’année tropique et la précession des équinoxes. De même il devra bien connaître le mouvement complexe de la Lune pour pouvoir prédire avec justesse les dates et heures de ses rendez-vous avec le Soleil.
Dans les premiers chapitres, il est question de l’année tropique : c’est la durée qui sépare deux équinoxes de Printemps (ou deux passages du Soleil au-dessus de l’équateur céleste). Quietanus écrit :
« … si un 20 mars à midi, la vraie hauteur du Soleil est 48° 10’ à Rome [3], l’année suivante le même jour elle sera de 48° 4’ 32’’, accusant un déficit de 5’ 28’’, une déclinaison qui correspond à peu près à 5 heures 48 ½ min. »
Il en déduit que la durée de l’année tropique est de 365 jours, 5 heures et 48 min ½. Cette estimation est d’une précision remarquable : selon nos connaissances actuelles, elle devait être de 365 j 5h 48 min et 50 s [4] et il précise qu’elle n’a pas été obtenue par des mesures seules mais aussi par des calculs. Il distingue ensuite l’année sidérale, une notion qui est plus facile à appréhender avec une vision héliocentrique du système solaire : c’est la durée d’une révolution complète de la Terre autour du Soleil dans un repère lié aux étoiles fixes. Remus Quietanus l’exprime comme suit :
« À partir d’une longue série d’années il a été observé que les étoiles fixes bougent de 50’’ 2/5 (d’angle), ce qui correspond à un arc parcouru par le Soleil en 20 min 27 s [5]. Il est alors connu et l’on retiendra que l’année sidérale fait 365 jours, 6 heures, 8 min, (56+5/6) secondes ».
Là encore, la durée proposée pour l’année sidérale est excellente, puisque de nos jours, on admet qu’elle fait 20 minutes et 24 secondes de plus que l’année tropique moyenne. Remus Quietanus n’est pas le premier à constater cette différence : il dresse un historique de l’étude de ce lent « mouvement des étoiles fixes », comme il le formule, donnant au passage un aperçu de son érudition :
« Tous statuaient sur le défaut d’un degré (…) C’était 66 années pour les uns, tel Al-Battani ou Mahomet l’Aratin, rabi Levi, Abraham Zacuto et Alphonse [6] lui-même après correction de ses tables, 75 pour Azrael le Maure et Thebit Bencora le fils, 78 pour Hipparque, 80 selon Regiomontanus, 100 selon Ptolémée, 136 pour Rabi Isaac Hazan, le chantre de la synagogue de Tolède... »
On savait depuis Hipparque [7] que le passage du Soleil sur l’équateur ne correspondait plus avec son entrée dans la constellation du Bélier, mais tout ce monde n’était pas d’accord sur la vitesse de cette lente dérive. La valeur proposée par Remus Quietanus, 1 degré en 71 années et 157 jours, est juste à quelques dizaines de jours près [8]. La figure ci-dessous donne les deux présentations de ce phénomène que l’on appelle la précession des équinoxes.
À gauche, la présentation géocentrique : la Terre est au centre du Monde et les corps célestes tournent autour d’elle accrochées à des sphères transparentes emboîtées, mobiles les unes par rapport aux autres. Le firmament constitué des constellations d’étoiles peut ainsi se déplacer par rapport aux signes du Zodiaque.
À droite, la présentation moderne : la Terre tourne sur elle-même comme une toupie tandis que l’axe de la rotation décrit lentement un cône en sens inverse. Ce mouvement de précession de l’axe de rotation de la Terre a une période de 25 800 ans environ, avec deux conséquences notoires : l’étoile polaire n’est pas toujours la même au fil des millénaires, puisque l’axe de la Terre ne pointe pas constamment dans la même direction et les saisons se décalent puisque le plan de l’équateur bouge par rapport au plan écliptique. L’intersection de ces deux plans est matérialisée sur les cartes du ciel par le point vernal qui se déplace au fil des siècles le long de l’écliptique comme on peut le voir sur la figure 4 :
La comparaison d’une carte du XVIIe siècle avec une carte actuelle fait apparaître un déplacement du point vernal de presque 6 degrés qui correspond bien à une dérive de 1 degré toutes les 71 années et demie. Sur cette carte, le Soleil parcourt l’écliptique de droite à gauche.
La réforme du calendrier de 1582
Les romains estimaient la durée de l’année à 365 jours et 6 heures. Ainsi, en 46 av J.-C., Jules César avait instauré le calendrier julien qui compte 365 jours pour les années ordinaires et 366 pour les années bissextiles qui se présentent tous les 4 ans lorsque le cumul de 4 fois 6 heures donne un jour de plus. Cette règle était simple, mais nous avons vu précédemment que l’année tropique est légèrement plus courte et au fil des siècles, le passage du Soleil au point vernal, qui marque le début du Printemps se produisait de plus en plus tôt. À la fin du XVIe siècle, cette anticipation des saisons atteignait 10 jours.
Le pape Grégoire XIII désigna une commission d’astronomes et de mathématiciens jésuites qui devaient préparer une réforme du calendrier julien. Élaborée par Christoph Clavius et ses pairs, cette réforme fut présentée en 1582 au pape qui l’accepta et mit en place un nouveau calendrier, dit grégorien.
On fit d’abord un bond de 10 jours pour rattraper la dérive des saisons : le lendemain du 4 décembre 1582 fut le 15 décembre et pour éviter que le phénomène ne se reproduise dans les siècles à venir, il fut décidé que les années séculaires (ou portant un millésime multiple de 100 ) n’auraient pas de 29 février sauf si leur millésime est multiple de 400.
Le calendrier grégorien fut d’abord adopté dans les pays catholiques avant de se diffuser petit à, petit dans la plupart des pays du monde. Il est encore en vigueur actuellement et l’année 1900, par exemple, ne fut pas bissextile, mais il y eut bien un 29 février en 2000.
Christoph Clavius enseignait au Collège de Rome à la fin de sa vie (†1612). Il n’est pas sûr que Remus Quietanus l’ait rencontré, mais dans la suite de son Restitutio universalis, nous trouverons un intéressant compte-rendu d’une éclipse de Soleil observée par Clavius à Coimbra (Portugal). À suivre.
Jacques Mertzeisen, mars 2021.
Bibliographie
- Johannes Remus Quietanus, Restitutio universalis motuum caelestium, Rome 1615, consultable aux archives de Rouffach (latin).
- Camille Flammarion, La précession des équinoxes, L’Arbre d’Or, Genève 2007, e-book consultable en ligne.
- Wikipédia : Précession des équinoxes consultable en ligne. Voir aussi Précession, pour une animation du mouvement.
Illustrations :
- Frontispice du Restitutio universalis motuum caelestis de Remus Quietanus. Biblioteca Casanatense, Roma, MS 1582.
- Occultation de Spica par la Lune, Remus Quietanus, Restitutio universalis.
- Schéma astronomique des sphères célestes, Peter Apianus, Cosmographia (1529) et Earth Precession, NASA, Wikimedia.
- Déplacement du point vernal. Johann Bayer, Pisces in Uranometria (1603) et Wikimedia, Pisces constellation map-fr. Composition : J. Mertzeisen.
- Christoph Clavius, gravure d’après un portrait par Franceso Villamena (1606), Wikimedia.
Notes:
[1] « commune », ici au sens de « la plus courante » : Copernic ou Kepler ne s’y rangent pas !
[2] Les citations peuvent être approximatives, comme ma maîtrise du latin. J.M.
[3] C’est le complément de la latitude ou colatitude de Rome, la latitude est environ 41° 50’.
[4] Source Wikipédia, la durée de l’année tropique diminue d’½ s par siècle.
[5] Déplacement annuel par rapport à la voûte céleste.
[6] Alphonse X de Castille fit travailler des savants dont Abraham Zacuto, à l’édition de tables astronomiques.
[7] Hipparque : astronome grec du IIe siècle av.J.C.
[8] Selon Wikipédia, la précession est de 1° tous les 71,58 ans, soit 71 ans et 211 jours.
Droit d'auteur et propriété intellectuelle
L'ensemble de ce site relève de la législation française et internationale sur le droit d'auteur et la propriété intellectuelle. Tous les droits de reproduction sont réservés. Toute utilisation d'informations provenant du site obermundat.org doit obligatoirement mentionner la source de l'information et l'adresse Internet du site obermundat.org doit impérativement figurer dans la référence.