Le canal Vauban à l'entrée de Weckholsheim (photo G.M.)
Le confinement de ce printemps 2020 n'aura pas été une période d’oisiveté pour ce qui concerne les recherches complémentaires à la construction du canal Vauban. Il y a de cela plusieurs années, Gérard Michel, historien de Rouffach, m’avait informé qu'il avait eu en main des dessins d’ouvrages relatifs au canal, alors qu’il était à la recherche de tout autre chose à la Bibliothèque Universitaire de Strasbourg. Depuis j’ai essayé d’entrer, via Internet, dans cette vénérable institution. Je m’y suis remis alors que nos hautes autorités nous avaient laissé entendre que les « vieux » se devaient de ne pas mettre le nez dehors. et j’ai pianoté durant de longues heures jusqu'à ce que je retrouve ces dessins datant des années 1698/99.
Le propos du présent article ne sera pas l’histoire de la construction du canal qui reliait Pfaffenheim au site de la future Neuf-Brisach, - ceci a déjà été fait dans un article paru dans J'aime Rouffach -, mais le travail des ingénieurs de l’équipe de son concepteur, Jean Baptiste de Règemorte , ingénieur hollandais au service du roi Louis XIV.
Note: les images illustrant l'article sont conservées à la Bibliothèque Universitaire de Strasbourg (B.N.U. "Différents dessins relatifs aux projets de Neuf-Brisach et du canal de Neuf-Brisach à Rouffach, de 1698 à 1716" et sont accessibles en cliquant sur le lien suivant: Gallica B.N.U.
Les besoins en matériaux et les délais de construction, chiffrés avant le premier coup de pioche!
Pour ceci, exploitons les propos annexes au courrier que M. de Règemorte a envoyé à Vauban le 14 Janvier 1699 (document mis à notre disposition par les Archives de l’Armée conservées au Château de Vincennes à Paris.
« Il y a 102 bateaux anciens qui sont destinés pour le transport des matériaux. Savoir :
Dix pour la voiture de la chaux. Chaque bateau pourra faire 6 voyages par mois et chaque voyage pourra fournir de la chaux pour faire 50 toises- cubes (= 400m3 de maçonneries, la toise = 1,95m; on l’arrondira à 2m, la toise cube fera donc 8 m3).
Ainsi les 10 bateaux travaillant pendant les 8 mois où la navigation pourra se faire, à savoir depuis le commencement de mars jusqu’à la fin octobre, pourront fournir la chaux pour faire 24.000 toises-cubes (192.000 m3) de maçonnerie.
Il faut 4 jours pour faire un voyage. Les 6 voyages se feront en 24 jours. On compte qu’on ne pourra pas travailler davantage à cause des fêtes et du mauvais temps.
D’ailleurs il arrivera souvent des accidents, soit au canal, soit aux bateaux qui coulent à fond, ce qui retarde la navigation assez fréquemment.
Six [jours] pour le transport des bois nécessaires pour les échafaudages, ponts… Les bois de corde pour la cuisson de la chaux arrivent en flottant depuis l’aqueduc de la Lauch jusqu’aux fours à chaux des carrières de Pfaffenheim.
Le bois de chauffage est acheminé depuis Bergholtz par ce qui s’appelle encore aujourd’hui le « Holtzkanal » (Canal à transporter le bois.
Les 86 bateaux restants seront occupés à transporter les pierres de taille, les moellons piqués et les moellons bruts. Mais il faut compter qu’il n’y aura au plus que 80 bateaux qui pourront travailler continuellement, attendu qu’il y aura toujours au moins 6 bateaux hors d’état de servir.
Chaque bateau pourra faire 8 voyages par mois parce que la pierre est plus tôt chargée et déchargée que la chaux.
Les 80 bateaux pourront faire pendant 8 mois, 5120 voyages à raison de 4 toises-cubes (32 m3) de moellons chacun, ce qui fera 20.480 toises-cubes (163.840 m3) de moellons et de pierres de taille, dont il faut déduire 1/5° attendu que 5 toises-cubes de moellons ne seront que 4 toises cubes de maçonnerie.
Partant, cela fera en maçonnerie : 127.680 m3!
L’année passée les bateaux ne faisaient que 6 voyages par mois. Ils en font 8 à présent parce qu’ils sont plus diligemment déchargés, l’étendue de la décharge étant augmentée. De même que le nombre d’hommes pour le chargement et le déchargement.
Au commencement mes bateaux portaient 4,5 et jusqu’à 5 toises-cubes de moellons (de 36 à 40 m3). Mais ayant été tout l’hiver dernier sous l’eau, ils sont devenus pesants et on n’en porte plus que 4 toises-cubes (32 m3).
L’entrepreneur fait construire encore 20 bateaux neufs qui pourront être terminés à la fin du mois de mai et travailler pendant 5 mois, ce qui fournirait encore du moellon pour faire de la maçonnerie : 2.560 toises-cubes (20.480 m3).
Il est dit par le marché que l’entrepreneur pourra employer un tiers de cailloux dans la maçonnerie, mais l’ingénieur trouvant que c’est trop, le réduisit à peu près à 1/7°. Des 20.000 toises-cubes de maçonnerie, portées dans le projet de cette année, il n’y en aura donc que : 18.384 toises-cubes, soit pour l'année 18.384 toises-cubes (147.072 m3 ) !
Les ouvrages d'art sur le canal
Commentaires des images mises à notre disposition par la BNU de Strasbourg
1. Les ponts
Le canal traversait plusieurs bans de villages et coupait donc de nombreux chemins. Il fallait donc ériger un grand nombre de ponts. Le canal faisait 15 mètres 70 de large et était bordé de part et d’autre d’un chemin de halage. Par contre nous pouvons remarquer que ces chemins étaient coupés par le pont.
2. Le croisement avec les cours d'eau:
Sur le parcours projeté, le canal croisait ou enjambait des cours d'eau. Comment se faisait l’entrée des eaux d’une rivière dans celles du canal ? Nous avons la réponse pour le cas de la Thur (en fait ce que nous appelons aujourd’hui la vieille Thur qui passe près de la Hummelmühle de Rouffach) et qui alimentait le canal à l’endroit où celui-ci est encore visible dans la forêt).
Plan du passage de la Rivière de la Tour (sic) à travers du Canal
En fait la Thur entrait de plain-pied dans le canal. Mais pour réguler la hauteur d’eau de celui-ci on avait aménagé des vannes barrant la rivière à quelque distance du confluent.
De plus des portes situées en amont sur le canal pouvaient, en cas d’incident grave (rupture de digue…) être fermées, empêchant de la sorte la fuite de l’eau.
3. Le franchissement des rivières
Le canal Vauban franchit trois rivières :
- Un petit cours d’eau arrivant du sud, entre la Lauch et Rouffach, passant près d’une chapelle et se jetant dans le port de Pfaffenheim. (cette chapelle est déjà mentionnée le 4 janvier 1675, lorsque les troupes de Turenne ont rejoint Pfaffenheim pour un bivouac au nord de la colline du Bill).
- La Lauch
- L’Ill
Il a fallu construire des ponts canal ou aqueducs, rigoureusement étanches,franchissant ces rivières tout en étant rigoureusement étanches quoique faits en bois de chêne !
- Le pont canal de l’Ill comporte 16 piles de 9 piliers soit 144 troncs de chêne enchâssés dans des sabots en fer enfoncés dans le lit de la rivière.
- Celui de la Lauch est porté par 11 piles de 9 piliers, soit 99 troncs.
- Enfin le pont canal de la Chapelle ne comporte que 2 piles de 9 piliers, soit 18 troncs !
Profil de l'acqueduc d'Oberhergue sur la rivière d'Ill, profil de l'acqueduc sur la rivière de la Lauch, profil de l'acqueduc près de la Chapelle
Il faut savoir que les arbres destinés au bois d’œuvre provenaient pour la plus grande partie de la forêt du Hohberg, au-dessus du Schauenberg !
(pour la petite histoire : depuis le haut moyen âge les habitants des localités bordant ce plateau du Hohberg avaient pour habitude de mener leurs porcs à la glandée, entre fin octobre et mi-décembre. Par moments, il y avait plus de 1500 cochons. Mais voilà, avec la disparition des chênes, suite à la construction du canal et de la Ville de Neuf-Brisach, toute la population sera privée de cette manne durant de longues années! c.f. l'ouvrage de Marc Grodwohl et Gérard Michel: Cochons de ville, cochons des bois)
Les écluses
Quinze écluses régulaient la hauteur de l’eau tout au long du canal. Une écluse mesurait 16 mètres de large et plus de 40 mètres de long, elle pouvait contenir 4 barges (deux de front). La dénivellation avoisinait les 2 mètres. Chaque écluse représentait un important travail de maçonnerie: en effet, les parois du sas ou bajoyers, et le radier (fond du canal) étaient le plus souvent en pierre, parfois en bois !
Lorsque l’on saura que la première pierre de ce gigantesque ouvrage avait été posée le 16 octobre 1698, que la construction dudit canal aura duré 6 mois - 36 kilomètres de canal, 15 écluses, 3 ponts-canal et nombre de ponts- et qu’enfin la construction de Neuf-Brisach était quasiment achevée en 1703 (hors l’extension ouest qui ne sera jamais construite et l’église), on mesurera l’immense savoir-faire et l’ingéniosité des bâtisseurs de l’époque !
Romain SIRY
Le canal Vauban avant l'entrée dans Neuf-Brisach photo G.M.