Les archives municipales de Rouffach conservent dans leur fonds ancien les protocoles des audiences du Magistrat depuis la toute fin du XVème siècle jusqu'à la Révolution, avec une interruption de 1631 à 1642 due aux troubles de la Guerre de Trente Ans.
Ces protocoles sont une source inépuisable de renseignements pour le chercheur: Tout au long des pages, le lecteur y découvre les événements, même les plus secrets, de la vie quotidienne des hommes et des femmes du Rouffach ancien.
Rappelons qu'un membre du Magistrat est à la fois conseiller, c'est-à-dire qu’il siège dans les assemblées qui gèrent les affaires courantes de la ville mais aussi juré dans les assemblées qui jugent les délits mineurs qui relèvent de la police de la ville : déplacement de bornes, litiges au sujet de clôtures ou de murs, pâturage sur des terres non autorisées, injures, coups et blessures... A d’autres moments il peut également être amené à siéger comme juré dans des affaires criminelles : vols, vols dans les églises, impudicité, adultère, assassinats ...et sorcellerie. Le Magistrat a donc une double fonction : celle d’une cour administrative et celle d’une cour de justice. Bien souvent d'ailleurs, le même conseiller peut être désigné - ou alors il signe lui-même - tantôt par « des Raths » tantôt par « des Gerichts » apposé à la suite de son nom : Jacob FISCHER des Raths et Jacob FISCHER des Gerichts, Jacob FISCHER membre du Conseil ou Jacob FISCHER membre du tribunal.
Le présent article propose un extrait du registre BB 39 qui consigne les protocoles des années 1626 à 1629 qui traitent de sujets aussi divers que le balayage et la propreté des rues de la ville, la réception de nouveaux bourgeois, la répartition de la glandée des porcs dans la forêt du Hochberg, et, dans le document qui nous intéresse, la nomination et le salaire de l'organiste et du souffleur de l'orgue de l'église Notre-Dame. Cet orgue est, en 1626, un orgue neuf, puis qu'il venait d'être installé par Thomas Schott facteur d'orgues de Bremgarten, en Suisse. Cette orgue avait été déchargé le 5 mai de la même année d’un bateau du Rhin à Neuenbourg sur cinq chariots et était arrivé dans la soirée à Rouffach accompagné par le facteur d’orgue et une vingtaine d’autres personnes.
Transcription du texte original:
Organisten Bestallung
Organisten Bestallung
ein Rath hatt beschlossen dass man einem jeweils anwesenden Organisten zur Jahrs Bestallung geben solle an Gellt 20 Pfundt und die gewohnliche Früchten ist 6 frtl Korn
Orgeltretter
Hans Burth der Schneider, bittet Ihme zu verwilligen das er möchte die Orgel tretten und soll man Ihme ein Lohne schepfen (schöpfen)
# ist darzue erkhandt und Ihme zum Lohn geschepfft 5 Pfundt, beneben fronen und der Tag Wacht freÿ, der Nacht Wacht aber nit.
Traduction:
Nomination et salaire d’un organiste :
Le conseil a décidé qu’un organiste devait percevoir en argent pour son salaire annuel 20 livres et un volume de grain en nature, calculé selon le droit et l’usage, soit 6 quartauts de blé.
Nomination et salaire du souffleur :
Hans Burth, le tailleur d’habits sollicite la charge de souffleur et demande que lui soit versé un salaire.
Réponse du Conseil :
(dans les comptes-rendus du Magistrat, la réponse du Conseil est toujours précédée du signe #)
La charge demandée lui sera accordée et il lui sera octroyé un salaire de 5 livres. En plus, il sera dispensé des corvées et exempté de la garde de jour, mais pas de la garde de nuit.
Commentaires:
L’orgue est un instrument à vent et ce vent est fourni par un ou plusieurs réservoirs qui reçoivent l’air de pompes actionnées par un ou plusieurs souffleurs, et l’emmagasine, créant ainsi une réserve d’air dans laquelle l’orgue puise à volonté. Avant l’électricité qui alimente aujourd’hui un ventilateur qui remplace les pompes, il était nécessaire pour les organistes de s’assurer les services (payants) d’un ou plusieurs souffleurs, selon les dimensions de l’orgue. (Une gravure ancienne montre dix places de souffleurs pour l’orgue de Halberstadt datant de 1361 !)
Les anciens de Rouffach se souviennent sûrement encore du temps où il fallait actionner la pompe à bras de l'orgue de l'église Notre-Dame de Rouffach, (encore fonctionnelle aujourd'hui), avant que fut installée la soufflerie électrique ou au moment des coupures de courant...
Le mot Orgel Treter rappelle que les pompes des soufflets pouvaient être actionnées par les pieds (l’ancêtre du stepper, accessoire de fitness!) ou / et par la force des bras.
Soufflets d'orgue actionnés au pied
Ce texte rappelle également que tout bourgeois était tenu d’assurer régulièrement son tour de garde, en armes, sur les remparts, dans les tours ou aux portes de la ville. Les différents offices religieux qui faisaient appel aux services d’un organiste avaient habituellement lieu de jour, et Hans Burth, le tailleur d’habits, était dispensé de la garde de jour pour rester disponible pour son office de souffleur, en cas de besoin…
L’organiste, quant à lui, bénéficie d’un salaire plus important et d’un surplus en grain, mais d’autres textes évoquent même une exonération du paiement de la dîme, das Gewerf. C’est d’ailleurs ainsi que nous avons pu découvrir, avec la complicité de Paul Faust, l’existence d’un orgue à Rouffach en 1489, en épluchant un livre de comptes dans lequel un certain Hans Knabe figurait comme organiste, dispensé à ce titre du paiement de l’impôt... Il n'y a pas si longtemps, un de mes prédécesseurs à l'orgue de Rouffach touchait encore, à titre gracieux, quelques stères de bois pour le chauffage de son appartement...
Ah! si les organistes d'aujourd'hui pouvaient être, eux-aussi, dispensés du paiement de leurs dîmes et si le Magistrat leur offrait le plein de fioul...
Gérard Michel, organiste titulaire des Orgues de l'église Notre-Dame de Rouffach