Flâner dans les rues de la ville ancienne offre toujours des découvertes à celui qui prend le temps… Combien de fois passons-nous devant une inscription dans un mur, un bas-relief, une sculpture, un petit détail architectural, sans y prêter attention, l’esprit occupé à tant d’autres choses...
Prenons le temps, Rouffach offre sa richesse à celui qui sait regarder…
Le puits renaissance de la rue du Marché
Sur une placette aménagée dans la fourche formée par la rue de Marché et la rue du Maréchal Lefebvre s’élève un puits Renaissance daté de 1579. Il s’agit d’une œuvre de Franz Bauer, un tailleur de pierre originaire d’Ulm. Il avait quitté sa ville natale après sa formation et son parcours de compagnon itinérant l’avait mené à Rouffach. Sa maîtrise du métier attira rapidement l’attention du Magistrat de la ville qui le nomma Werckmeister en 1577. Rouffach disposait alors de deux Werckmeister, maîtres d’œuvres, l’un charpentier et l’autre tailleur de pierre, responsables de l’entretien des ponts, des tours, des remparts et des bâtiments municipaux. Le tailleur de pierre avait également en charge la gestion des carrières de pierre de Rouffach, dont la réputation allait bien au-delà de Rouffach.
Franz Bauer, Steinmetz, Baumeister, Werckmeister à Rouffach...
Franz Bauer a notamment réalisé à Rouffach l’ancien hôtel de Ville, ainsi que quelques autres maisons comme celle de la rue de la Poterne dite A l’Eléphant et plusieurs puits, dont celui de la rue du Marché.
Ce puits a été installé à cet endroit au début du vingtième siècle lors de travaux d’alignement qui nécessitèrent également d’importantes modifications de la façade de la boulangerie-pâtisserie qui donne aujourd’hui sur la placette : dans cette façade ont été à ce moment-là incrustés les montants et l’imposant linteau d’un autre puits, daté de 1616, qui forment aujourd’hui l’encadrement de la porte d’entrée de cette maison.
Le puits de Franz Bauer mérite qu’on s’y attarde. Il est connu comme le puits « bey dem Radt », voisin d’un débit de boisson, auberge ou taverne portant l’enseigne de la Roue. Les deux montants sont ornés d’élégantes cannelures et le linteau est décoré sur trois faces d’intéressantes figures de masques, les uns grimaçants, d’autres tristes, dont l’interprétation reste mystérieuse.
Sur le linteau est gravée une curieuse inscription :
der gast oft teuer mich köft beim würt
komm her zu mir ich schenk dir d’yrt
l’hôte m’achète souvent cher chez l’aubergiste
approche-toi et viens chez moi, je t’offre la consommation
(Irte, souvent écrit Ürte désigne le prix de la consommation à l’auberge (die Zeche) mais également la consommation elle-même).
Cette invitation à boire l’eau d’un puits est étonnante à une époque où l’eau est le plus souvent impropre à la consommation. S’agit-il d’une pique envers l’aubergiste d’en face, celui zum Radt, dont les notes sont trop salées ? Les notes de vin, bien sûr, puisqu’on n’y proposait sûrement pas de l’eau !
Franz Bauer ne veut pas de Welches !
Franz Bauer conserva ses fonctions au moins jusqu’en 1591. Le 8 mai 1590 lui et deux confrères tailleurs de pierre, au nom de l’ensemble des tailleurs de pierre de l’Obermundat, dépose une demande devant le Magistrat pour que soient bannis de la ville et de la seigneurie tous les charpentiers et maçons welches. La Ville se déclare incompétente à régler ce litige. (A.M.R. BB 16)
Y a-t-il un rapport avec ce qui précède : l’année suivante, en 1591, Franz Bauer demande à être radié de la bourgeoisie de Rouffach. Sa demande est acceptée, mais il devra avant de quitter la Ville, terminer ses travaux à l’auberge du Saumon… (A.M.R. BB 15)
A-t-il vraiment quitté la ville? Quelle a été la suite de son parcours? On n’en saura pas plus, pour l’instant !
Réemploi d'un puits Renaissance 1616 comme encadrement de porte...
Sources:
- A.M.R. A / BB 15 et 16
- Thiébaut Walter: Alte Brunnen in Rouffach, dans Jahrbuch für Geschichte, Sprache und Litteratur, vol. 32, 1916
Photos: Gérard Michel