La cour dimière épiscopale de Rouffach
Zehenthoffs Küeffer Ordnung zue Ruffach: Règlement et serment du "tonnelier" de la cour dimière de Rouffach 1603
Avant l'ère du plastique, de la fibre de verre et de l'acier inox qui s'est installée dans beaucoup de nos caves, les corporations faisaient une distinction extrêmement sévère entre les artisans qui fabriquaient les différents contenants utilisés par les vignerons: les dictionnaires des frères Grimm et celui d'Adelung font ainsi la distinction entre Küeffer, Bötticher, Böttcher, Kübler, Fassbinder, Grossbinder, Schwartzbinder, Kleinbinder, etc. Le vin était, avec les céréales, une denrée précieuse, une part importante dans la consommation quotidienne des gens du peuple et une source de revenus importante pour ceux qui en prélevaient la dîme, le seigneur du lieu et les nombreuses maisons religieuses qui étaient possessionnées à Rouffach. Il était donc essentiel de veiller soigneusement à son élaboration et à sa conservation et la bonne qualité des tonneaux, cuves, bottiches, fûts, foudres jouaient là un rôle primordial.
Le sujet de l'article est un règlement qui fixe les droits et les devoirs du Zehenthoff Küeffer, un titre conféré par la haute autorité de l'Obermundat, l'évêque de Strasbourg à l'homme qui sera chargé d'une fonction essentielle, celle d'entretenir les tonneaux de la cave dimière de l'évêque, mais aussi et surtout de surveiller la maturation et l'évolution du vin, denrée précieuse, s'il en est. Une fonction multiple, celle de tonnelier de la cour dîmière, certes, mais aussi et surtout celle de responsable de cave, caviste, maître de chai, dirions-nous aujourd'hui.
Serment de Hans SCHEUBELIN, Zehenthoff Küeffer, tonnelier et "maître de chai" de la cave dîmière de Rouffach 1603
Le Zehenthoff Küeffer est placé sous l’autorité directe du receveur de l’Obermundat, comptable des dépenses et des recettes, receveur de la seigneurie épiscopale de l’Obermundat dont la fonction est la collecte de la dime seigneuriale qui génère des revenus importants en particulier celle du vin et celle en grains. Le vin et le grain, blé, seigle, avoine, outre qu'ils pouvaient être vendus et remplir d'argent les caisses de l’évêque, étaient également une monnaie qui permettait de payer en nature les curés, les baillis, ceux d’Eguisheim et de Soultz, le greffier et le receveur du baillage, le Burgvogt et le Marschalk, les sergents, etc.
Un inventaire du vin de la cour dimière, daté du jeudi 16 mars 1589, découvert aux A.D.B.R. ,donne des chiffres assez impressionnants sur les réserves conservées dans les trois caves de la cour seigneuriale de Rouffach, au total 86 Fuder ; le Fuder équivalant à environ 1000 litres, cela fait 86.000 litres !
Zehenthoffs Küeffer Ordnung zue Ruffach, règlement du "tonnelier" de la cave dimière de l'évêque de Strasbourg
A.D.H.R. 3 G / 2, aujourd'hui aux Archives d'Alsace Strasbourg
Traduction du texte original en allemand:
Il doit avoir en particulier, dit le règlement, une attention toute particulière à la cave, au vin et aux tonneaux, prendre soin des tonneaux, tenir la cave en bon état de propreté ; il doit examiner les vins régulièrement et remplir les tonneaux au moins au minimum tous les quinze jours,(ouillage) et au moins deux fois par semaine, au minimum et aussi souvent que la nécessité se fait sentir, de jour ou de nuit, vérifier que le vin ne se gâte pas ou ne fuit, que les tonneaux ne présentent aucun défaut. Il doit également fermer à temps les portes et les soupiraux d’aération de la cave dès que le temps se modifie ou que le vent ou la pluie se font trop violents, (ce qui ferait que les vins auftreiben (fermenter?) rapidement). Il doit aussi veiller soigneusement à l’ouverture et à la fermeture de ces mêmes portes et soupiraux en été, le matin et le soir.
Il doit également soutirer (ablassen) le vin au bon moment. Les lies qui subsistent doivent être toutes versées dans un même tonneau où il les laissera reposer quelques jours avant d’en soutirer soigneusement le Truswein (vin de lie).
Il doit également fournir au receveur du bailliage (Amtschaffner) un état fidèle des lies récoltées chaque année.
Pendant les vendanges, il doit surveiller tout particulièrement les valets du pressoir, les charretiers et autres, afin que le raisin soit acheminé, livré soigneusement et qu’il soit pressé biß zue Endt, (jusqu'à sec!), que les mouts soient transvasés dans les tonneaux de façon qu’ils ne subissent aucun dommage et qu’il n’en soit rien perdu.
Il doit également être présent, aux côtés du receveur du bailliage, au moment du décompte des Zehentwein, pour l’assister dans le décompte, et s’il constate une quelconque anomalie qui pourrait léser ou nuire aux intérêts de notre Seigneurie, il devra immédiatement en faire part au Statthalter ou au receveur du bailliage.
Il ne devra, ni lui-même ni son personnel, sans une raison sérieuse et sans l’autorisation du receveur du bailliage, faire entrer quelle que personne que ce soit, dans les caves et encore bien moins y tenir un festin ou se livrer à des beuveries, et lui-même ou ses aides (s’ils ont à travailler dans ces caves) ne doivent s’adonner au vice de l’ivrognerie.
Mais s’il devait arriver que dans le temps de sa fonction, à cause de son manque de zèle, le vin subissait des dommages, qu’il soit négligé ou qu’il en soit perdu à cause de fuites, c’est-à-dire qu’il n’aurait pas fait à temps et avec soin tout ce qu’il devait faire, il sera obligé d’en subir lui-même les frais pour réparer les dommages.
Lorsqu’il est ordonné au receveur du bailliage par sa seigneurie de procéder à la vente de vin, il doit lui, le tonnelier de la cave dimière, chaque fois et avant que le vin ne soit transvasé dans les tonneaux des voituriers, examiner soigneusement ces tonneaux, estimer leur capacité et s’ils correspondent à la jauge, afin que notre seigneur ne subisse aucun préjudice. Il ne doit pas pour cela se laisse séduire par des cadeaux ou des pourboires de la part des charretiers…
Lorsque le receveur du bailliage lui commande d’acheter du bois pour faire des tonneaux ou des cercles ou bandages, il doit s’en acquitter avec tout le zèle nécessaire. Et lorsqu’on lui commande d’en faire des tonneaux pour un salaire convenable, il doit les fabriquer sans défauts afin qu’ils offrent les meilleures garanties.
Il ne doit pas, sans l’accord du receveur, sortir de la cour dimière ni bois, ni cercles, ni lies ou autres ustensiles.
Il ne doit pas vendre à un acheteur plus ou moins de vin que ce qui lui a été commandé par le receveur et s’acquitter de cette tâche fidèlement.
Un jeu de clés des caves lui est confié, ainsi qu’au receveur, afin qu’il puisse veiller au mieux au vin, mais il ne doit jamais laisser trainer ces clés à la vue de ses gens ou de toute autre personne, ni les confier à un domestique (Gesind) ou les suspendre à un clou…
Un maître tonnelier recevra au nom de notre prince et seigneur, des mains du receveur bailliager, le salaire annuel suivant: pour chaque jour où il soutire du vin ou autre activité pendant les vendanges, chaque jour 4 sch. Stebler, ainsi que le repas et la boisson. Pour ein Schnitten brandt également 1 sch. Stebler, ainsi que 4 quartauts de seigle, comme jährlicher Dienstfrucht. Et en plus, conformément à l’usage ancien, il bénéficie du logement gratuit.
Son service prendra effet le jour-même de la prestation du serment de fidélité à ce règlement.
Tout et chaque tonnelier accepté et engagé par la volonté de notre gracieux seigneur, devra suivre fidèlement tout ce que nous avons ordonné précédemment. En particulier, il fera preuve de zèle pour son seigneur et le chapitre, il œuvrera pour leur bien et leurs intérêts et s’appliquera à écarter d’eux toute menace et de tout dommage. Il ne cédera ni aux plaisirs et à la tentation du profit, ni à la haine ou à l’envie.
Pour tout cela, il prêtera serment à Dieu et aux saints, ainsi qu’il a été dit plus haut, et promettra solennellement, en touchant la main [1].
Hans Scheubel a entendu et écouté lire le présent règlement et a juré de lui être fidèle, en présence du seigneur Hermann Adolf, comte de Salm et de Reifferscheidt, Statthalter de la seigneurie de l’Obermundat, du receveur et du greffier du bailliage de Rouffach en l’année 1603.
L’accord a été scellé par une poignée de mains mit handtgegebener Treu. (une poignée de main)
Cet article fait suite à un article sur le vin et les vendanges: Herbst Ordnung: règlement des vendanges à Rouffach 1753
Les archives du département conservent plusieurs de ces règlements ou serments prêtés par les Zehenthoff Küeffer qui, à part quelques variantes, se ressemblent: l'un s'attarde sur le traitement des lies, un autre sur celui des rafles (rien ne doit se perdre!), un autre interdit la présence des enfants et même de l'épouse, qui pourraient être responsables d'accidents... D'une manière générale, le vin est un sujet bien documenté dans les archives, que ce soit sa récolte, son élaboration et sa conservation ou que ce soit sa distribution, qui elle aussi, est source de revenus par un autre impôt, l'Umgelt.
Gérard Michel
Sources:
A.D.H.R. 3G / 2 1603: serment de Hans Scheublin prêté en présence de Herman Adolphs Gravens zue Salm und Reiffenscheidt, Statthalter der Herrschaft Obern-Mundat, de l‘Ambtschaffner e tLandschreiber de Ruffach
voir également: A.D.H.R. 3G / 2 le 20 septembre 1585 : Serment de Quirin Hesser (Küeffers Ordnung im Zehendthoff zu Ruffach) prêté en présence de Johann Weinnold, Amptschaffner et Niclaus Müller Landschreiber
Notes:
KÜFER, m. cuparius, der kufen macht oder bindet
- Von den Böttichern sind sie im Zunftwesen streng unterschieden, sofern sie sich nur allein mit Kufen u. andern großen Gefäßen ... abgeben und daher auch Küfner, Großbinder und Schwarzbinder genannt werden, zum Unterschiede von den Kleinbindern, Küblern, Weißbindern oder Rothbindern, welches die gemeinen Fassbinder oder Böttcher sind. Adelung
- der Küfer geht nur mit Weingefässen um, weiß dabei mit dem Wein umzugehen und dienet in großen Kellereien, trägt ein besteck am Gürtel mit etlichen band - und Kufenmessern, welche den Küblern und gemeinen Fassbindern nicht erlaubt sind. In Weinkellern, Weinhäusern warten sie zugleich den Gästen auf, daher Küfer oder Küper auch von Aufwärtern in Gast- und Weinhäusern überhaupt, die keine gelernten Küfer sind ( Adelung).
[1] mit handtrew angloben, accompagner le serment de la main, un geste fort, puisque cette main pouvait être coupée aux parjures.
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