Depuis 2016, nous nous employons à rappeler le passé astronomique de Rouffach, en particulier par la publication de quelques articles consacrés à Johannes Remus Quietanus (1588-1654), rouffachois d’adoption à partir de 1620. Sa correspondance avec les fondateurs de l’astronomie moderne, Galilée et Kepler, montre qu’il a participé avec pertinence au débat astronomique de son époque. Mais cette fois nous nous intéresserons davantage à ses pratiques médicales (il a accédé au grade de docteur en médecine en Italie vers 1610) et nous verrons que pour ce disciple de Paracelse, le macrocosme et le microcosme sont intimement liés.
Nous savons que c’est à Padoue que Remus Quietanus a rencontré Galilée et il est plus que probable que c’est également là qu’il a été initié à la dissection humaine, puisque l’université de Padoue était dotée d’un théâtre anatomique depuis 1594. Plus tard, à Rome il a travaillé en qualité de médecin-assistant à l’hôpital de Santo Spirito in Sassia [1] en compagnie de Giovanni Faber, connu lui aussi pour avoir étudié l’anatomie sur des écorchés. En tous cas, peu de temps après son arrivée chez les Habsbourg, il aura l’occasion de pratiquer son art plusieurs fois en peu de temps :
En novembre 1618, après le décès de l’Archiduc Maximilien III, il raconte à Kepler :
La tête était pleine d’eau, le poumon fragile et marqué de taches, la rate petite à peine plus grande qu’une main, le foie grand et blanc, les reins et le cœur en bon état, l’estomac assez bien et la cage thoracique remplie d’eau…[2].
L’impératrice Anne rendra son âme à Dieu le 4 décembre et Matthias Ier, son cousin et mari la suivra au printemps de l’année suivante. En août 1619, Quietanus écrit à Faber :
Je vous envoie l’Anatomie de l’Empereur et de l’Impératrice, vous pourrez la rapporter au Révérend Monseigneur Meraldi .
La pièce-jointe a malheureusement disparu, mais dans la lettre, Quietanus précise :
...il avait la maladie française qui s’appelle Herrenkrankheit… *
* Herrenkrankheit: il s'agit de la syphilis, communément appelée vérole, grande vérole, Franzosenkrankheit, mal français ou mal de Naples.... C'est à cette maladie que le quartier si touristique de la Petite France de Strasbourg doit son nom: il s'y trouvait un établissement accueillant les personnes atteintes de la syphilis, le mal des français! )
Né sous une bonne étoile ?
Dès ses jeunes années, Remus Quietanus a eu connaissance des écrits de Théophraste Bombastus von Hohenheim, dit Paracelse, médecin et philosophe, théoricien des forces surnaturelles qui dans ses pérégrinations a fait étape à Bâle, Colmar et Strasbourg. Il s’y réfère notamment dans sa première publication, la description de la comète de 1607 et il est convaincu de l’influence des phénomènes célestes ou des aspects du ciel sur les affaires de notre bas-monde.
Ainsi, l’astrologie est prise en compte dans le traitement du patient. Quand Quietanus veut connaître une personne, il lui importe de savoir si elle est née sous une bonne étoile. Ce sera le cas lors de l’élection du pape Grégoire XV [3], mais aussi en 1619, quand il fera la connaissance de sa future épouse Maria Schlitzweck [4]. Il ne s’agit pas simplement de savoir si elle est du signe du Lion comme dans les horoscopes de nos journaux, mais de connaître précisément l’état du ciel à l’heure de sa naissance pour déterminer ses ascendants, les étoiles ou planètes qui se lèvent à cette heure.
Dans sa Practica und Witterung auff das Jahr 1651, on retrouve le schéma de correspondance des signes du Zodiaque avec les organes du corps humain, une bijection bien anthropomorphique encore utilisé de nos jours par certains adeptes d’une médecine astrologique: la tête est associée au Bélier, le cou au Taureau, le pénis au Scorpion (on comprend pourquoi) et les pieds aux Poissons (peut-être à cause de l’odeur ?) … Cette image illustre la page Funff nützliche Regulen vom Schröpffen und Aderlassen où il édicte des conseils pour la pose de ventouses ou la pratique régulière de saignées suivant les aspects de la Lune et la Complexion de la personne, c'est-à-dire sa typologie. Dans ses calendriers, Remus Quietanus met d’ailleurs des signes particuliers pour indiquer les dates des ventouses et saignées.
De même, on retrouve dans la littérature de son époque des schémas de correspondance entre les planètes et les organes, mais aussi entre les 7 planètes et les 7 métaux [5], ce qui permettra de définir une pharmacopée. Ainsi on ne s’étonnera plus trop de lire que le docteur Quietanus soigne ses patients par administration de pilules de Mercure [6] ou de Soleil buvable (Or potable), il reste juste à savoir comment il obtenait sa solution.
La recette de la Pierre Philosophale ?
Dans une lettre adressée à Giovanni Faber vers 1620, il évoque le Meisterstück in Chymicis ou Grand-Œuvre de l’Alchimie et il donne une recette sommaire: s’agit-il de la pierre philosophale ? Nous avons quelques difficultés à déchiffrer le texte :
Je renvoie le schéma, j’espère qu’il (te) plaît. Annoté de 12 Fondements de la chimie mystique 4 éléments dans ceux-ci comme matrice 3 principes (Potasse Soufre, Mercure), 7 Planètes et tout le processus chimique ; Il faudrait ajouter ceci, (mais je ne ferai pas parce que tu as du flair.) Extrais des corps le carré et du carré le triangle et du triangle réduit en rouille dans le carré, tu auras un corps régénéré prêt à priver de maladies et des corps physiques et métalliques (?)
C’est le chef-d’œuvre en Chimie, mais beaucoup en finissent là où ils doivent commencer, ainsi de oi² re? pour devenir cendres des cendres le sel, du sel l’huile, et de l’huile, par des opérations insistantes le (Mercure et distillation ?) Erps? Deviennent orâ? Par sol(ution?), coagulation et ébullition simple période longue stable (constante) etc.
Pour accéder à une version numérisée du document original dans une meilleure définition, on pourra se rendre sur le site des Archives de l'Academia dei Lincei à l'adresse suivante: http://archivio.lincei.it/icaatom-1.3.1/index.php/119r-v-119r;isad
Certains signes ou abréviations restent mystérieux. C'est dommage, nous tenons peut-être la recette de la panacée universelle !
Jacques Mertzeisen, avril 2019
[1] En 1616, il signe ses Observationes eclipsis lunaris par Ioanne Remo Quietano, Thuringo, Medico assistente in Archihospitali Sancti Spiritus in Saxia.
[2] Max Caspar, Johannes Kepler Gesammelte Werke, volume 17, lettre n° 801.
[3] Voir l’article Qui est ce nouveau pape ?
[4] Il demande son horoscope à Kepler en octobre 1619.
[5] : Soleil-or ; Lune-argent ; Mercure-mercure ; Venus-cuivre ; Mars-fer ; Jupiter-étain ; Saturne-plomb.