L’histoire des prisons et cachots de Rouffach est une longue histoire dont la plus grande partie reste à écrire…
Les textes anciens parlent de la prison Sainte Catherine, souvent évoquée dans les pages d’obermundat.org. On y enferme les coupables de délits, coups et blessures, conflits de voisinage, jeux interdits, tapage nocturne, injures, jurons, blasphèmes, etc. D’autres mentionnent celle du château Isenbourg, réservée aux criminels comme le précise un vieil urbaire de la Ville de 1530 (A.M.R. FF 4 / 3). Les personnes accusées d’un crime, susceptibles d’être condamnées à la peine de mort, meurtre, assassinat ou sorcellerie, étaient toujours emprisonnées dans les geôles du Château depuis leur arrestation jusqu’au procès et l’exécution de leur peine. La tradition populaire rapporte que les prétendus sorciers et sorcières étaient enfermés dans la Tour des Sorcières, une tradition qui n'est étayée par aucun document d’archives. A noter également que la désignation de Tour des sorcières est récente et ne figure dans aucun document ancien…
Les délits mineurs eux, étaient punis d’un séjour en käffig (cachot), ou exposés en public dans le Narren-Häusslein (maisonnette des fous) ou la Trille pour quelques heures… ou encore la Geige (un carcan en forme de violon) ou le Lasterstein, la pierre d’infâmie, pour un circuit dans les rues de la ville, sous les huées et les quolibets de la foule !
Au XIXème siècle, les choses ont changé, le code criminel n’est plus la Carolina, remplacée par celui de 1789 et le code pénal de 1810.
Il existait alors à Rouffach une prison communale, maison de police municipale, dont je sais pour l’instant peu de choses, sinon qu’elle se trouvait sur la place de l’église et qu’elle avait un mur mitoyen avec l’ancienne recette du Grand-Chapitre, avant son extension de 1778. Histoire à suivre…
Par contre les archives sont un peu plus riches pour une autre prison de la Ville, le dépôt de sécurité ou maison de transfèrement ouverte vers 1830.
De quoi s’agit-il ?
Les maisons de transfèrement ou dépôts de sureté, anciennes prisons cantonales, ainsi que les chambres de sûreté établies dans les casernes de gendarmerie reçoivent des condamnés de passage, en route vers leur destination pénale. Au début du siècle, ces condamnés gagnent cette destination les plus souvent à pied, sous l’escorte de la gendarmerie, avant qu’une ordonnance royale de 1836 ne les dirige vers les maisons centrales dans des voitures cellulaires fermées. Ces maisons de transfèrement permettaient ainsi de recevoir dans des conditions acceptables et avec toute la sécurité nécessaire, ces condamnés, pour une courte étape d’une ou deux nuits.
La prison cantonale de Rouffach :
A.M.R. M1 /M 28 28 décembre 1811
Lettre du Préfet au maire de Rouffach :
… la maison de police municipale de votre ville, qui doit remplir sa destination pour le service de tout le canton, a besoin de différentes réparations …
… vous faisant observer qu’un établissement de cette espèce doit se composer de deux chambres de discipline bien salubres et éclairées, l’une pour les hommes et l’autre pour les femmes, d’une pièce de sûreté pour les personnes arrêtées et enfin d’un corps de garde…
La maison de transfèrement ou dépôt de transfèrement, dans la Tour des "sorcières":
A.M.R. M1 M 28 / 3 du 28 décembre 1832, lettre de la Préfecture au maire de Rouffach
- Demande de renseignements détaillés sur les dépôts de sûreté ou maisons de transfèrement du département
- En quoi consiste le local affecté à cette destination dans votre commune
- Dans quel bâtiment est-il situé
- Dans quel état il se trouve
- Quel est le mobilier qui en dépend
- S’il est confié à la garde d’un concierge
- Quel est le traitement de cet employé
- Si votre commune y pourvoit à elle seule ou si les autres communes du Canton y contribuent
- Si le concierge est logé au dépôt ou s’il reçoit une indemnité de logement, quelle est l’importance de cette indemnité
- Quel a été, en 1832, le nombre de journées de détention par matière de police simple
A.M.R. M1 M 28 / 4 du 22 avril 1833
Rapport de l’architecte du département sur l’état du local affecté à la prison de transfèrement dans la commune de Rouffach, dressé en conséquence de la lettre de M le Préfet du 22 février 1832:
La prison de transfèrement de la commune de Rouffach est située dans une ancienne tour, spacieuse, existante non loin de l’ancienne mairie, elle est divisée en deux étages dont l’un au rez-de-chaussée destiné aux homme et l’autre au 1er étage destiné aux femmes.
Ces locaux présentent toute la sûreté, la salubrité et la commodité convenables et n’ont besoin que de quelques légers travaux d’entretien en portions de plancheyage [1] et de crépissage et en réparations de ferrement ; il a aussi paru nécessaire d’agrandir un peu le jour du rez-de-chaussée par un évasement intérieur ; le mur étant très épais empêche l’air de pénétrer facilement par l’ouverture actuelle.
Il y a dans chaque étage un lit de camp bien établi.
Cette prison est sous la surveillance d’un concierge payé par le département, à raison de deux cents francs par an.
… la commune se chargeant en outre d’entretenir ces locaux en bon état et de les faire blanchir au lait de chaux deux fois par an
A.M.R. M1 M 28 / 9 du 14 juillet 1833
Les archives ont conservé quelques états dans les colonnes desquels sont renseignées les réponses aux questions posées dans le courrier du préfet du 28 décembre 1832 :
dans celui du 14 juillet 1833, il est répondu à la question sur l’état des locaux que l’édifice était solide mais que certaines parties, où étaient les détenus, devaient être planchëie (sic) à neuf. Quant au mobilier, il n’y avait d’autre mobilier que deux lits de camp, trois couvertes, mais qu’il n’y avait pas de fourneaux pour le chauffage des détenus en temps d’hiver. La garde était confiée à un concierge qui touchait un traitement de 800 francs et il était logé à ses frais et ne recevait aucune indemnité.
A.M.R. M 1 M 28 / 8 du 26 août 1834
Cette prison étant à l’usage du canton, le Conseil général a voté, au budget des dépenses variables, une somme de 50 francs pour le loyer annuel, à condition que la commune de Rouffach en assure les réparations demandées par l’architecte du département et qu’elle tienne constamment la maison en bon état d’entretien.
***
J'ai voulu constater de mes propres yeux si les locaux dont il était question offraient véritablement toutes les conditions de sécurité, de salubrité et de commodité que l'architecte du département décrivait dans son rapport de février 1832. Muni de l'autorisation accordée par M. le Maire, j'ai pu pénétrer dans les lieux, accompagné d'un responsable des services techniques de la Ville. Seul le rez-de-chaussée de la Tour est accessible en toute sécurité, l'état des planchers et des escaliers ne permettant pas, pour l'instant, d'accéder aux étages.
Je connaissais l'endroit pour y avoir participé, il y a bien longtemps, à un chantier de fouilles préventives avec Pierre-Paul Faust, avant qu'on y installe un poste de transformation électrique... et pour avoir passé quelques heures à gratter, brosser avec de vieilles brosses à dents et laver les tessons de poteries qu'on y avait déterrés.
Il s'agit d'une salle ronde d'environ trois mètres cinquante de diamètre, avec une voûte hémisphérique (coupole). C'était le 1er février, il faisait 0 degrés à l'extérieur et autant à l'intérieur et j'ai cherché instinctivement l'ouverture dans la voûte qui aurait pu évoquer une présence de fourneau destiné à chauffer les détenus: pas d'ouverture ! Des murs de près d'un mètre quatre-vingt d'épaisseur et une seule ouverture, grillagée et protégée par d'épais barreaux, éclairant chichement les lieux. Les murs sont couverts d'un badigeon à la chaux qui couvre un enduit qui s'effrite dans le bas. Quelques graffitis et un grand soleil dessiné, que je n'ai pas réussi à dater... Le crépi de la voûte est récent. La porte ancienne a disparu, mais la taille des gonds, scellés dans la pierre, témoigne de ses dimensions et de son poids.
Le lieu semble sec, ni trace ni odeur d'humidité, mais le niveau du sol n'est plus celui d'origine et a vraisemblablement été rehaussé pour permettre un drainage, avant d'y installer le transformateur électrique.
"....ces locaux présentent toute la sûreté, la salubrité et la commodité convenables et n’ont besoin que de quelques légers travaux d’entretien ..." écrivait l'architecte du département en 1833. Sûrs sans doute, les barreaux et la solidité de la lourde porte devaient y veiller, mais salubres et commodes sans doute pas, même pour quelques nuits de "transfèrement" vers une maison centrale, peut-être plus confortable.
Le lieu n'engage guère à la rêverie et rappelle plutôt à la mémoire des lectures et des récits sur la vie de ces hommes et de ces femmes que l'on avait enfermés, à cette époque, dans de pareils cachots... les récits de Dumas, Balzac ou Hugo, par exemple, pour ne citer qu'eux.
Criminels peut-être ou sans doute, mais ils restaient des hommes et des femmes...
Inn's Giggerla !
Les anciens de Rouffach se souviennent sûrement du temps de leur enfance où leurs parents les menaçaient, lorsqu'ils n'étaient pas sages, de les faire conduire par le Wachter, le policier de la ville, dans le Giggerla... C'était ce cachot-là, sans doute, dont ils menaçaient les bambins effrayés ! Pour ce lieu, Paul Faust utilisait aussi le mot Tirlitum: je n'ai entendu que lui utiliser cette expression, qui faisait peut-être référence à la Trille, cette cage tournante dans laquelle on exposait les petits malfaiteurs ?
Gérard Michel
Sources:
- Histoire des prisons et de l'administration pénitentiaire Christian Carlier OpenEdition
- Archives municipales de Rouffach (A.M.R.) série M1 M 28
[1] Planchéier, verbe trans., le plus souvent au part. passé. Garnir de planches le sol (éventuellement les murs ou le plafond) d'une pièce.
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