On ne saurait, semble-t-il, concevoir de fête médiévale sans sorcières, tant l'imagination populaire associe sorcellerie et Moyen-Âge. Mais on est parfois amené à s'interroger sur les spectacles qui nous sont présentés. Ainsi celui vanté par un annonce passée dans le supplément Loisirs du journal L'Alsace, en date du 12 juin 2009. Voici comme était présentée une fête médiévale dans une charmante petite bourgade viticole du proche Bas-Rhin:
... la fête[...] souhaite mettre l'accent sur le caractère d'authenticité de la manifestation. Un marché médiéval est lui aussi voulu au plus près de ce qu'on pouvait trouver au Moyen-Âge. Des animations, le bourreau et ses sorcières, des saynètes sur le thème de la torture, des guerriers en armes, entre autres, égaieront la journée...
Il n'est pas dit si les organisateurs avaient prévu un atelier torture, pour occuper les enfants, et rendre encore plus attractive cette sortie familiale...
La torture ne peut être ludique, le martyre de centaines de femmes, d'hommes et d'enfants ne peut distraire et encore moins égayer. Si des faits tragiques de notre histoire doivent être représentés en spectacle, ce ne peut être que dans le but d'instruire et de mettre en garde contre l'obscurantisme et la barbarie... pas pour passer un moment récréatif en famille.
Les procès criminels Malefiz Gericht sont parfaitement codifiés, et suivent une procédure rigoureuse, sévèrement contrôlée. Toute infraction, tout manquement, est puni par les autorités de la Régence. Les juges de Rouffach et d'Eguisheim en ont fait l'amère expérience: pour n'avoir pas respecté à la lettre un article du code de procédure de Charles Quint, la Carolina, le Seigneur de l'Obermundat les condamne à une amende de cent florins. Dans leur supplique adressée à l'évêque, ils invoquent leur ignorance: peu d'entre eux savent lire et aucun d'entre eux n'avait entendu parler de ce recueil de lois! Ils étaient tout de même, tous, membre du Conseil du Magistrat de Rouffach et d'Eguisheim, et ils venaient de condamner à la mort sur le bûcher une pauvre malheureuse qu'ils avaient auparavant fait tenailler aux fers rouges sur les bras et sur le sein! On leur a rappelé que ce dernier traitement n'aurait pas dû être appliqué dans son cas! Un détail sans doute...
Le propos du présent article est la Question: le prévenu, dirions-nous aujourd'hui, est interrogé par ses juges, en présence des Sibner, sept témoins, d'abord de manière "douce", güetlich, puis de manière moins "aimable", peinlich, c'est-à-dire par le bourreau et ses assistants. A l'issue de chacune des phases de l'interrogatoire, il est dressé un procès-verbal qui sera lu au procès et dont l'authenticité sera confirmée par les Sibner. Les aveux spontanés après un interrogatoire "doux" sont insuffisants et toujours suspects: le passage entre les mains du tourmenteur fait partie de la procédure et il est lui-même très sévèrement codifié par les textes.
Notre objectif n'est pas dans notre article de faire un inventaire de toutes les peines que l'on faisait subir à ces malheureux pour leur faire avouer des horreurs qu'ils n'avaient pas commises. Nous nous tiendrons aux informations que nous fournissent les documents d'archives concernant les procès tenus à Rouffach.
La chemise noire
Lorsque le prévenu est amené devant le bourreau et ses aides, il est d'abord entièrement dévêtu et on lui passe un vêtement noir, fait de tissu grossier de lin ou de laine:
Item den 16. Aprilis Hanns BORTHen dem Schneider und Kirrchwarten in Rufach vernüegt um willen er ein schwarzen zwilchenen Rockh für die Maleficanten in der Folterung zuegebrauchen gemacht… [AMR FF 12/ 16]
Le rasage du corps
Puis on procède au rasage de tout le corps pour éviter toute possibilité de dissimuler une amulette ou un quelconque papier aux vertus magiques
Dans l’interrogatoire d’Elisabeth FRANCKH, die KOLLERIN de Pfaffenheim [ADBR W346] :
...als wür nun diese scheren und das schwarze Kleidt anlegen lassen…
… lorsque nous l’avons fait tondre et revêtir la robe noire…
Dans les aveux d’Anna, l’épouse de Lienhart EKHART, le greffier note qu’avant d’être soumise à la torture l’accusée est d’abord tondue puis revêtue d’une robe noire :
…und dan mit Anlegung eines schwarzen Rockhs und Abschürung der Haaren, volgents mit leicher Tortur und hernach Anhenkhung des Gewichts examiniert… [ADBR W346]
La recherche de la marque du Diable
Ursula SCHEDLERin a, sur le bras gauche une tache de la dimension d’une pièce de monnaie « ein Plappert gross », de la dimension d'une pièce de monnaie, semblable à de la chair morte. Maître Melchior, le bourreau, a examiné cette marque et l’a sondée en enfonçant dans la chair une longue aiguille « mit einer Guffen die hienein gestochen » sans qu'Ursula ressente la moindre douleur ce qui constitue une preuve de la culpabilité de la prisonnière : elle a été marquée dans sa chair par son amant diabolique !
L’usage de l’eau bénite (Weichwasser)
Dans l’interrogatoire d’Elisabeth FRANCKH, die KOLLERIN de Pfaffenheim [ADBR W346] :
… Weÿch Wasser zu trinckhen geben und Agnus Dei [*] anhenkhen lassen…
Au sujet d’Anna HESSerin, die SCHNIPERin de Soultz : [ADBR W 346]
…ihre Kleide verendert und das Essen allzeith mit Weichwasser vermischt, sÿe auch darmit getränckht…
Dans les aveux d’Anna épouse de Leinhart EKHART:
… wan wür ihren Weichwasser zue trinckhen geben lassen, hat sie dasselbig neben dem Mundt abfliessen lassen, bis weÿlen lang im Mundt behalten ob sie etwas abgeschluckht…
… lorsque nous lui fîmes donner à boire de l’eau bénite, elle l’a laissée couler de ses lèvres et l’a gardée longtemps dans la bouche avant d’en avaler…
La progression dans la torture
La question comporte cinq degrés :
- Premier degré : menacer avec sévérité le prisonnier de la question, hors du lieu où elle doit se tenir
- Deuxième degré : faire conduire le prisonnier dans la chambre de la question où sont présents le bourreau et ses aides et où les instruments nécessaires à la question sont visibles
- Troisième degré : faire dépouiller le prisonnier de ses vêtements pour l’attacher
- Quatrième degré : faire appliquer le prisonnier réellement aux tourments
- Cinquième degré : redoubler la force de ces tourments
Les deux derniers degrés sont uniquement applicables pour des délits méritant la peine de mort.
Christina ECKHARTERIN, die alt Marschalkherin, la vieille épouse du Marschalk, sera questionnée, sans résultat pendant « ungefohr 2 ½ Viertell Stundt » et plus tard « uff dritt halb vierthell Stundt »…
Le supplice de l’estrapade
Le supplice couramment pratiqué à Rouffach est celui de l'estrapade. Il s'agit d'une méthode de torture dans laquelle le bourreau attache les bras de la victime à des cordes, le plus souvent dans le dos, puis la hisse jusqu'à la suspendre et la laisse tomber brusquement, mais sans laisser le corps toucher terre. Pour intensifier la traction, des poids sont fixés aux pieds de la victime pour le cinquième degré. Le résultat est une dislocation des épaules accompagnée d'une intense douleur.
Chronologie de l'affaire des poisons de Gueberschwihr et progression de la torture
11 juillet lettre de Saverne (weltliche Rath) à Rouffach ( Beambte zu Ruffach), le 11 juillet 1628 au sujet d' Ursula et de sa sœur Rünigolt, de Gueberschwihr, dont on ignore l'âge mais dont il est dit qu'elles sont fort âgées...
… seÿe dahero ihr sie ehesten einziehen lassen, über die wider sie ergangene Indicien erstlich examinieren und da sie dordurch zu keiner Bekandtnuss zubringen, torquiren lassen…“ [ADBR W 343]
19 juillet lettre de Rouffach à Saverne le 19 juillet 1628 au sujet d’Ursula:
… haben wür die Ursula SCHEDLERin umb überschriebenen zauberischen Verdacht in Hafft gezogen, dieselbige gestrigen Tags, wohl auch den Abend zuvor, güetlichen examiniert, die hat weder uff das ein noch mal das wenigste nit bekhennen wöllen, sonder frisch und Ire Antwortungen gleichem mit lachendem Mund verrichtet…
… nous avons fait emprisonner la femme Ursula Schedler pour suspicion de sorcellerie et nous l’avons interrogée hier ainsi que la veille au soir, sans recours à la torture : elle n’a pas voulu reconnaître quoi que ce soit, elle s’est montrée « fraîche » et a répondu aux questions avec le sourire…
Le stade suivant, toujours dans le même courrier :
… letzlichen seint wür mit sterckerem Ernst volgents mit Betrawung der Tortur an sie gerathen, ihren die selbige Marter alles ernsts viel und offtermahlen vorgebildet…
… après cela, nous l’avons interrogée „avec plus de sérieux“ en la menaçant de la torture et nous lui avons décrit les tourments qui l’attendaient avec beaucoup de vigueur et à plusieurs reprises…
Le stade suivant:
…und letztens, (…) sie würkhlich torquiren und ohne Gewicht auffziehen lassen…“
… puis nous l’avons soumise à la torture de l’estrapade, mais sans utiliser de poids aux pieds…
- mais sans résultat:
… sie aber bestendig in Ihrer Verleügnung gebliben und als ein rösche, gesund, starkhe Fraw sich dergleichen an der Tortur, ob wölle sÿ ein
mehreres austehen, und ohne sonderbaren hochclagenten Schmerzen erleiden khönnen, erzeigt.
… mais sous la torture, elle a continué à nier ce dont on l’accusait, et s’est montrée une femme solide, vigoureuse et en bonne santé, comme si elle voulait en subir encore davantage, et sans se plaindre particulièrement des douleurs qu’elle endurait…
Etape suivante: l’eau bénite:
...unter dessen haben wür Ihren Gewichtwasser zue trinkhen geben, welches sÿ mit dem Wort „Pfuÿ“ wiederumb heraus gespauen und das wenigste trötslich nicht herunter lassen wölle…“
… nous lui avons fait boire de l’eau bénite qu’elle a recrachée aussitôt en criant « Pfuÿ », refusant d’avaler la moindre gorgée…
Devant l’échec de ce premier interrogatoire, la Régence de Saverne ordonne aux "fonctionnaires" de Rouffach, Notter et Ottmann, respectivement receveur du bailliage et greffier du bailliage, dans un courrier du 22 juillet de répéter la question, cette fois avec des poids mais auparavant de faire boire impérativement à Ursula de l’eau dans laquelle on aura versé de l’eau bénite et de lui suspendre au cou un Agnus Dei *
Dorothea, sa sœur, subira le même interrogatoire ainsi que le décrit le rapport de Rouffach à Saverne du 29 juillet :
…und weÿl sÿ umb solcher guet: nicht bekhennen wöllen, sÿ demnach anbünden und nach langer Besprochung auffziehen lassen...
… et comme elle n’avait voulu rien reconnaître au cours d’un premier interrogatoire sans usage de la torture, nous l’avons liée à l’estrapade, et après avoir longuement tenté de la raisonner, nous l’avons fait soulever du sol…
Mais Dorothea n’a sans doute pas la résistance physique de sa soeur Ursula et passe immédiatement aux aveux, qu’elle renouvellera plus tard, le 11 août, après une nouvelle question ordonnée par Saverne mais que NOTTER et OTTMANN font légère, à cause de l’âge et de la faiblesse de Dorothea « in Betracht dieselb gar alt und schwachem Leib ist ». Un peu de compassion et d’humanité ?
Un courrier du 29 juillet informe Saverne qu’Ursula n’a toujours rien avoué. Et pourtant les gens de Rouffach avaient bien suivi les ordres : ils ont utilisé une charge d’un poids moyen, « mit einem geringen Stein auffziehen lassen », ils lui ont fait boire de l’eau bénite, ils ont lui ont accroché au cou un Agnus Dei et d’autres médailles bénites, rien n’y fit, elle persistait dans ses dénégations et affirmait qu’elle n’avait rien à voir avec le Malin.
Décontenancés devant cette femme, ils constatent que la torture n’a sur elle aucun effet, que c’était une femme de bonne constitution avec des membres particulièrement solides et qu’elle n’avait jamais versé la moindre larme.
La réponse est immédiate, datée du premier août :
...mit stärckheren Gewicht … torquiren… … utilisez avec elle des poids plus lourds…
Mais Ursula n’avouera rien, montrant une résistance extraordinaire qui met Rouffach dans l’embarras :
… anfanges des Uffziehens, klagt sÿ den Schmerzen.
Wann sÿ uffgezogen, schweigt sÿ still, verbeist den Schmerzen, gibt Ir kein Tortur etwas zue schaffen, man red mit Ir was man wölle, gibt sÿ kein ander Antwurt dann sÿ wisse von dem bösen Geist nichts, hab in nie gesehen. Wissen derowegen solcher Gestalten und mit dergleicher torquiren mit Iren nichts auszurichten...“
… dans les premiers instants lorsque l’on tira sur la corde elle se plaignit de la douleur. Mais rapidement elle cessa de se plaindre, serrant les dents, en silence, comme si elle était insensible à la douleur de la torture. On pouvait lui demander ce qu’on voulait, à toute les questions elle répondait invariablement qu’elle ne savait rien de l’Esprit mauvais et qu’elle ne l’avait jamais vu…
Les deux officiers du Bailliage, Notter et Ottmann, voyant qu’ils n’arrivaient à rien avec la torture envoyèrent un courrier à la Régence de Saverne. La réponse ne se fit pas attendre, elle leur parvint le 14 août:
„ … nochmalen, soviel Ihr Sterkhe zugibt, würckhlich torquirn…
… ayez encore une fois recours à une torture plus énergique, autant que sa résistance le permet…
Le 26 août, une lettre de Rouffach informe la Régence du décès d’Ursula:
…nachdem wür die Ursula SCHEDLERin in ihr Haus condemniert und ohnen Kranckheit in Massen sie ein frisches Gemüets wahr, widerumben Ir Losament gehen Geberschweÿer füeren lassen, auch etlich Tag im Haus herumb gangen, dass sie bald in geschwünde Krankheit gefallen und Todt verfahren...“
… après que nous eûmes condamné Usula Schedler à la réclusion dans sa maison et que nous l’avons fait conduire chez elle à Gueberschwihr, Ursula a été atteinte d’une prompte maladie dont elle est décédée, alors qu’elle avait un bon moral et était en bonne santé….
Ursula n’a donc pas avoué et conformément à la Carolina, elle n’a pas été libérée mais condamnée à la réclusion dans sa maison de Gueberschwihr.
Les fonctionnaires de Rouffach semblent surpris de cette mort alors qu’elle était sortie de leur cachot « en bonne santé », après plus d’un mois de captivité dans les conditions qu’on imagine et surtout après trois passages entre les mains du bourreau…
De Dorothea on apprendra par un courrier de février 1629 qu’elle avait été exécutée…Elle a été jugée et condamnée le 27 août 1628 et exécutée le même jour, jour du décès de sa sœur Ursula…
Elisabeth FRANCKH
Le 2 août 1630, quelque temps après son arrestation, Elisabeth FRANCKH, die Kollerin, Vve d’Andres KOLLER de Pfaffenheim [ADBR W 346] est interrogée « examiniert » « bis uff dreÿ viertel Stundt », sans résultat.
Le 27 août 1630, un courrier de Saverne autorise les autorités de Rouffach à utiliser « die Beinschrauben oder wie mans nennet das Plateÿslin gegen ihren brauchen… »
Le 8 septembre, avait déjà été soumise pour la troisième fois à la Question et qui, malgré l’emploi de Beinschrauben, [C’est l'unique fois que nous avons rencontré l’usage de cet instrument dans les procédures que nous avons parcourues.] n’avait toujours pas avoué les méfaits dont on l’accusait
Le 9 novembre 1630, Notter et Ottmann rendent comptent aux autorités de Saverne du dernier interrogatoire d’Elisabeth :
… und weÿl sie ganz nichts gestehen noch
davon wissen wöllen, uff ein Stundt lang torquirt…
…et comme elle refusait d’avouer et même d’en entendre parler de quoi que ce soit, on la soumit à une nouvelle épreuve de torture qui dura une heure…sans effet puisqu’elle persista dans ses dénégations:
…sagt seÿe unschuldig wie Christus am Creuz, der Hals würt iren plösterig, schweÿgt bis weillen ann der Tortur hangendt ganz stüll ob hab sÿ khein sonder Marter, vergeüst khein Zäher, schreÿt under Weÿllen auch starckh, sagt wölle under unseren Händen sterben. Unsers Erachtens würt mit der Tortur wenig von ihr zue bringen sein…
Elle disait qu’elle était aussi innocente que l’était le Christ sur la Croix, elle ne dit mot et resta silencieuse sous la torture comme si elle ne ressentait pas la moindre douleur et ne versa aucune larme. Parfois elle poussait de grands cris et disait qu’elle allait (voulait ?) mourir sous nos mains… A notre avis, nous n’en tirerons rien sous la torture…
„…Im torquieren beist zÿ die Zähn uff ein ander, schlecht die Augen alzeüt under sich in die Wünckhel, schreit inder weÿllen erschröckhlich und darnach widerumb ein Weÿl gannz stüll und gibt ir in allem die Tortur nit veÿl zue schaffen…
Sous la torture, elle serrait les mâchoires en se mordant les dents et ses yeux se révulsaient dans les orbites. Puis, de temps à autre, elle poussait un grand cri terrifiant, et retombait à nouveau dans le silence…
…schreit über die Mass, vergeüst aber kheinen Zeher…
… und laufft ihren bisweÿlen den Schaum von dem Mundt aus
und wirth ihren der Hals sehr gross geschwollen…
Elle hurlait mais ne versait pas la moindre larme…Elle dit que même si on lui arrachait le cœur, elle ne pourrait rien avouer, elle n’avait rien à dire au sujet de „bösen Sachen » et que si elle était véritablement une sorcière elle ne se laisserait pas torturer aussi longtemps !
En désespoir de cause, NOTTER et OTTMAN sollicitent l’intervention d’un vicaire de Rouffach à qui ils demandent d’exorciser la chambre de torture !
Un détail tout à fait intéressant et unique :
…anstatt der Tortur von Seÿl und Gewicht, einen Sessel brauchen, damit man viel ausrichtet und die Gefangene zue Verhüetung Erlämung der Glieder zuer Bekhandnuss bringen können. Wie es nun damit bewandt und ob E: Gn: uns einen solchen Sessel zue machen auch gnedig erlauben, und was für ein Modus damit zu gebrauchen, sie uns zue informieren gn: geruehen wollten…
… nous avons eu connaissance de la possibilité d’avoir recours, au lieu de cordes et de poids, à un siège, qui serait très efficace et éviterait au supplicié la paralysie des membres. Vous voudrez bien nous faire savoir si votre grâce nous autoriserait à faire confectionner un tel siège et nous dire la manière de s’en servir…
Une correspondance entre le bailli de Guebwiller (Obervogt) Seraphin HENNOT et le magistrat de Molsheim fait mention d’un tel instrument qui serait utilisé à Molsheim et que le bourreau souhaiterait examiner dans le but d’en confectionner un semblable ! [ADBR 2 B 10 ROUFFACH 170], « … ein Vigili: oder Wachstuel… », un siège de veille, conçu de telle manière qu’il interdit à celui qui y est lié de s’endormir sans se blesser cruellement.
Notter et Ottman parlent d’Erlämung, de paralysie des membres : pensent-ils à une paralysie temporaire causée par une trop forte douleur qui finit par anesthésier les membres, ce qui rendrait la poursuite de la question inopérante. Ou évoquent-ils une paralysie définitive causée par la rupture des tendons ou des fractures des vertèbres occasionnées par un recours trop brutal à la question ? La question ne doit pas laisser de séquelles physiques et celui qui la subit doit, dans l’éventualité où il ne serait pas condamné à la peine capitale, en sortir sain et sauf… C'est tout l'art du bourreau d'éviter les blessures graves qui entraîneraient une infirmité définitive. L’intérêt que Notter et Ottman portent à ce fauteuil suffit à laisser penser que ce n’était pas souvent le cas.
Emprisonnée le 2 août, Elisabeth sera encore en prison le 12 novembre, soit plus de trois mois après son premier interrogatoire ! Qu’en adviendra-t-il ?
Procès de Jacob MONER, document du 22 novembre 1623 [ADBR W 340] :
...Jacob MONER […] welcher nachdeme er zweÿ mahl ohne Gewicht also angezogen, dass er allein mit den Zehen den Boden berierth, volgendts nidergestellt worden, darauf beckhändt wie volgt…
A la suite de ce compte rendu les autorités de Saverne rappellent à celles de Rouffach dans une note du 20 janvier 1624 que celui ou celle qui subit la question ne doit pas toucher le sol avec les orteils mais qu’il doit être élevé au-dessus du sol !
Anna, épouse Lienhart ECKHART
Dans le compte rendu des aveux d’Anna, épouse de Lienhart ECKHART [ADBR W 346] du 23 août 1630 Ottman note qu’Anna est particulièrement éprouvée par les tortures endurées la veille et demandent à leur autorité des ordres pour poursuivre l’interrogatoire, avant de noter en post scriptum que la malheureuse venait de décéder dans sa cellule :
…weil nun dises Weib wie gemelt abermahls crafftlos und schwach wegen vorderigen Tags ausgestandener Tortur als haben wür weiters an sie nit sezen khönden sondern solchen Verlauff E.Gn. berichten deren ferneren Befelch dorüber einholen…
NOTTER et OTTMAN se demandent ingénument si le décès en prison de la malheureuse Anna avait des causes naturelles ou non… Son corps sera tout de même brûlé et ses biens confisqués…
Eben in der Stunden, beÿ Beschliessung dises, seindt die Wächter zue den Gefangenen bestelt zue uns khomen undt angezeigt wie das obgemelte Anna unversehens Tods verscheüden. Ob nun solcher Todt natürlich oder nit mögen wir nit wissen, wie und was Gestalten…
Ils demandent aux autorités de Saverne ce qu’ils doivent faire de ce corps et attendent des ordres au sujet de la succession. La réponse tombera quelques jours plus tard : le corps doit être brûlé et les biens confisqués.
...
Gérard Michel août 2018
* Agnus Dei: il s’agit d’un médaillon en cire, souvent de grand format, empreint de la figure d’un agneau portant la croix-étendard. Ils étaient fabriqués avec les restes du cierge pascal. Bientôt seul le pape en bénissait la première année de son pontificat, puis tous les sept ans. Ils étaient en grande vénération et on les renfermait parfois dans des reliquaires. Ils avaient pour effet de détourner le diable. Les gamins de Molsheim ne possédaient sûrement pas de pareilles raretés. Ils portaient, à la rigueur, des « Agnus Dei » de petit format, fragments de cire renfermés dans des pochettes en étoffe. Mais probablement s’agissait-il plutôt de médailles, de scapulaires, voire d’images pieuses avec des motifs similaires à ceux qui décoraient les vrais « Agnus Dei ». ( Louis SCHLAEFLI dans Particularités relatives aux procès de sorcellerie intentés aux enfants à Molsheim au XVIIème siècle in Revue d'Alsace)